Et je lui représente qu'il ne peut quitter Rome sans avoir vu une cérémonie à SaintPierre; que dans peu de jours, il aura cette occasion; bref, je l'entraîne, tout stupéfait de mon opiniâtreté, et après avoir été ensemble. faire rayer son nom de la liste des voyageurs, je le conduis à l'église des Augustins et à celle du Jésus. Ce même jour, dînant au palais Borghèse avec M. le comte de Laferronnays, je lui racontais, dans la soirée, ma préoccupation du moment; je recommandais instamment à ses prières mon jeune Israélite. Il me confessait ingénument lui-même, dans l'épanchement de cette causerie intime, la confiance qu'il avait toujours eue à la protection de la sainte Vierge, même à une époque où les agitations de la politique ne lui permettaient pas toujours cette piété pratique, dont il nous a donné l'exemple dans les dernières années de sa vie, << Ayez confiance, me répétait-il; s'il dit le Memorare, vous le tenez, lui et bien d'autres encore. >> Lundi, 17 janvier 1842. Je fis quelques promenades nouvelles avec Ratisbonne, qui vint me prendre vers une heure. Je remarquai avec chagrin le peu de fruit que produisaient nos conversations; car il était toujours dans les mêmes dispositions : hostile et dénigrant pour le catholicisme; cherchant à échapper par la raillerie aux arguments qu'il ne se donnait pas la peine de réfuter. Monsieur de Laferronnays mourut presque subitement le soir à onze heures, laissant aux amis qu'il avait édifiés par la ferveur de ses dernières années, comme à la famille qui le pleurait, l'exemple de ses vertus, et la consolation d'espérer que Dieu ne l'avait appelé à lui que parce qu'il était mûr pour le ciel 1. Habitué depuis longtemps à l'aimer comme un père, je partageais, avec les larmes de tous les siens, les tristes soins qu'imposait cette douloureuse circonstance; mais le souvenir de Ratisbonne me poursuivait jusqu'auprès du cercueil de mon ami. Mardi, 18 janvier 1842. J'avais passé une partie de la nuit au milieu de cette famille si justement éplorée. Comprenant mieux que personne sa douleur, j'hésitais à me séparer d'elle; et pourtant une préoccupation inquiète ramenait sans cesse 1 Voir à la fin de ce volume quelques détails sur les derniers instants de cet homme si noble et si chrétien. ma pensée à Ratisbonne, comme si une main invisible m'eût poussé vers lui. Je ne voulais pas me séparer de ce qui restait ici-bas de mon ami; je ne pouvais pas éloigner ma pensée de cette jeune âme que je voulais conquérir à ma foi. Je dis ma lutte intérieure à M. l'abbé G., que la Providence a établi depuis longtemps l'ange gardien et consolateur de la famille Laferronnays. « Allez, me ré<< pondit-il, allez, continuez votre œuvre ; c'est « vous conformer aux intentions de M. de <«< Laferronnays, qui a prié avec ardeur pour << la conversion de ce jeune homme. >> Me voilà donc de nouveau courant après Ratisbonne, m'emparant de lui, lui montrant les antiquités religieuses, pour fixer sa pensée sur les vérités catholiques; mais je parle en vain. Je voulus qu'il visitât une seconde fois avec moi l'église d'Aracœli. S'il y éprouva encore une certaine impression, elle fut bien fugitive, car il m'écoutait froidement, et ne répondait à toutes mes réflexions que par des plaisanteries. « Je songerai à tout cela, disait<«< il, quand je serai à Malte; j'en aurai le << temps, je dois y passer deux mois. Ce sera <«< bon pour me désennuyer. » Mercredi, 19 janvier 1842. Je dirigeai notre promenade vers le Capi tole et le forum. Près de là, sur le mont Celio, s'élève l'église de Saint-Etienne-leRond, dont les murs sont couverts de fresques, qui représentent avec une effrayante vérité les différents supplices au milieu desquels expiraient les martyrs. La vue de ces tortures fit éprouver à Ratisbonne un sentiment d'horreur. « Ce spectacle est affreux, s'écria-t-il « pour prévenir mes réflexions; mais vos << coreligionnaires ont été tout aussi cruels << envers les pauvres Juifs du moyen-âge, que « les persécuteurs des premiers siècles à l'é«gard des chrétiens. » Je lui montrai à Saint-Jean-de-Latran les bas-reliefs placés au-dessus des statues des douze Apôtres. Ils représentent, d'un côté, les figures de l'Ancien Testament; de l'autre, leur accomplissement par le Messie. Ces rapprochements lui paraissaient ingénieux. Nous nous acheminions vers la villa Wolkonski. Ratisbonne s'étonnait de ma tranquillité; il ne pouvait l'expliquer avec cet ardent désir de le convertir, lui qui, disait-il, était plus Juif que jamais. Je lui répondis que, plein de confiance dans les promesses de Dieu, j'étais convaincu, puisqu'il était de bonne foi, qu'il serait un jour catholique, quand bien même le Seigneur devrait lui envoyer un ange pour l'éclairer. Nous passions dans ce moment devant la Scala santa, et désignant mon compagnon, je dis tout haut, en ôtant mon chapeau : « Salut, << saint escalier, voici un homme qui un jour « vous montera à genoux. » Ratisbonne se prit à rire aux éclats. Nous nous séparâmes sans que je pusse emporter la plus faible espérance d'avoir le moins du monde ébranlé ses convictions. Mais je croyais à celui qui a dit : « Frappez, et on vous ouvrira. » J'allais prier près du bien-aimé défunt; agenouillé près de son cercueil, je le conjurai de m'aider à convetir mon jeune ami, si, comme je l'espérais, il était déjà lui-même au séjour des bienheureux. Jeudi, 20 janvier 1842. Ratisbonne n'a point fait un seul pas vers la vérité; sa volonté est restée la même, son esprit toujours railleur, ses pensées toujours aux choses de la terre. Il entre vers midi au café de la place d'Espagne pour y lire les journaux. Il y trouve mon beau-frère Edmond Humann; s'entretient avec lui des nouvelles du jour, avec un abandon et une légèreté qui excluent l'idée de toute préoccupation grave 1. 1 Il semble que la Providence se soit plu à tout disposer, pour exclure la possibilité du doute, sur |