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,,ses couches arriva. Et elle mit au monde son fils premier-né, „et le coucha dans une crêche, parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans l'hôtellerie.. Et des bergers

„des environs vinrent à Bethléem pour adorer le „Seigneur." Evidemment, Monsieur, vous trompez ici le Lecteur, soit en faisant des citations fausses, soit en omettant de citer les passages des Evangélistes qui auraient confondu votre affirmation. Je ne veux pas rechercher votre dessein; je constate seulement un fait. Et la naissance de Jésus à Bethléem a été de tout temps une chose si authentique, que saint Justin, philosophe du IIe siècle, né à Naplouse dans la Palestine, cite au juif Tryphon la caverne dans laquelle le divin Enfant est venu au monde. Origène disait un siècle plus tard à Celse que les ennemis même du Christianisme la connaissent. Et non seulement les anciens prophètes croyaient, d'après la prophétie de Michée, que le Messie naîtrait à Bethléem, mais c'est encorc la croyance des juifs modernes (1). Le Talmud même et les écrits des anciens rabbins disent formellement que c'était là une tradition judaïque: c'est ce que vous reconnaissez vousmême au chapitre XV de votre livre, d'après saint Matthieu, saint Luc et saint Jean. La croyance universelle, dites-vous, était que le Messie serait fils de David et naîtrait comme lui à

Bethlehem.

Comment pouvez-vous donc affirmer, d'après saint Matthieu, que Jésus naquit à Nazareth, puisque cet Evangéliste dit, au contraire, qu'il naquit à Bethleem? pourquoi invoquez-vous le témoignage de saint Marc et de saint Jean qui n'en parlent pas? et d'où vient que vous ne citez pas saint Luc qui est dans son récit aussi clair et aussi formel que saint Matthieu? Vous vous faites donc un jeu de l'ignorance ou de la crédulité de vos Lecteurs?

Il est vrai que toute sa vie Jésus fut désigné du nom de Nazaréen; l'inscription même, mise au haut de la croix par

(1) Munimen fidei, I pars, cap. 33.

ordre de Pilate, porte ces mots: „Jésus de Nazareth, roi des juifs." Mais qu'est-ce que cela prouve, si ce n'est que JésusChrist avait passé toute sa vie à Nazareth et qu'il était né de parents ayant leur domicile habituel dans cette ville? Sa naissance accidentelle à Bethléem ne pouvait pas, en effet, le faire désigner du nom de Bethléemite. Passeriez-vous, par exemple, pour un Américain, pour un Espagnol ou pour un Chinois, si vous étiez seulement venu au monde en Amérique, en Espagne ou dans le Céleste-Empire? Pourquoi donc voulez-vous que Jésus-Christ, quoique né à Bethléem, n'ait pas été désigné et connu sous le nom de Nazaréen, selon ce qui avait été prédit par les prophètes: Il sera nommé Nazaréen ?" car Nazareth était sa véritable patrie, la patrie de ses parents, comme la France est réellement votre patric, bien que vous eussiez pu naître accidentellement à Pékin, à Stamboul ou au Congo. Mais voici des assertions bien plus étranges encore sous la plume

d'un savant.

Vous prétendez dans une note que le recensement opéré par Quirinius, auquel la légende (les Evangiles) rattache le voyage de Bethlehem, est postérieur d'au moins dix ans à l'année où, selon saint Luc et saint Matthieu, Jésus serait né. Ces deux Evangélistes, en effet, font naître Jésus sous le règne d'Hérode(1). Or, le recensement de Quirinius n'eut lieu qu'après la déposition d'Archélais, c'est à dire dix ans après la mort d'Hérode, l'an 37 de l'ère d'Actium (2). L'inscription, par laquelle on prétendait autrefois que Quirinius fit deux recensements est reconnue pour fausse Ce qui prouve bien, d'ailleurs, que le voyage de la famille de Jésus à Bethlehem n'a rien d'historique, c'est le motif qu'on lui attribue: Jésus n'était pas de la famille de David; et, en eût-il été, on ne concevrait pas encore que ses parents eussent été forcés, pour une inscription purement cadastrale et financière, de venir s'inscrire au lieu, d'où

(1) St. Matthieu, ch. II, v. 19, 22; st. Luc, ch. I, v. 5.

(2) Josèphe, Antiquités, livre XVII, ch. 13, No 5; liv. XVII, chap. 1, No 1, ch. 2, No 1.

leurs ancêtres étaient sortis depuis mille ans. Il y a ici une erreur historique presque à chaque ligne. Je vais vous le

prouver.

Et d'abord, saint Luc dit au chap. II de son Evangile qu'Auguste ordonna de faire le dénombrement des habitants de toute la terre (1), et que Jésus naquit à Bethléem à cette occasion. Les censeurs de l'Evangile objectent que les historiens d'Auguste ne font aucune mention de ce dénombrement général,

et ils ajoutent que, s'il y en a eu deux dans la Judée (2), JésusChrist n'a pu venir au monde pendant le premier, mais durant le second; car Cyrinus n'a été président ou gouverneur de Syrie que plus de dix ans après le premier" dénombrement: c'est ce que vous dites, tout en n'admettant pas qu'il y en ait eu deux. Toutefois, ceci n'impliquerait pas que saint Matthieu et saint Luc se soient trompés en faisant naître Jésus à Bethléem. Mais cette objection repose peut-être sur une fausse interprétation du texte de l'Evangéliste qu'on peut traduire littéralement ainsi: Ce dénombrement fut fait premier que ou avant que Cyrinus fut gouverneur de Syrie." Herwart, le cardinal Noris, le P. Pagi, le P. Alexandre partagent ce sentiment, et l'on peut eiter vingt exemples de la même expression dans les Ecritures; alors le texte sacré ne donne aucune prise à la censure.

Quant à ce dénombrement général de tous les peuples de l'Empire, dont parle saint Luc, l'empereur Julien ne le révoque point en doute dans ses écrits. Saint Justin l'a cité à l'empereur Antonin; saint Clément d'Alexandrie le donne comme certain; Tertullien dit qu'il était de son temps dans les archives de Rome; c'est aussi l'opinion de saint Jean Chrysostome; Eusèbe le rappelle dans son Histoire, et Cassiodore dans ses Lettres; Suidas en parle au mot Apographè; enfin Prideaux le prouve

(1) Cette expression dans saint Luc ne signifie pas à la lettre ce qu'elle semble dire; car il l'emploit dans son Evangile, ch. IV, v. 25 ; ch. XXIII, v. 44, et dans les Actes des Apôtres, ch. XI, v. 28, pour désigner seulement toute la Judée.

(2) Saint Luc cite, en effet, denx dénombrements. l'un dans son Evangile, l'autre dans les Actes.

par des monuments irrécusables (1). Il est donc évident qu'il y a eu un dénombrement général ordonné par Auguste; et c'est précisément ce que dit saint Luc. Et comme le cens, imposé aux juifs par les Romains, se payait par tête, et que JésusChrist lui-même le paya (2), il a nécessairement fallu un dénombrement pour l'établir. Tout ceci est incontestable. Je ne vois donc pas comment Jésus-Christ n'aurait pas pu naître à Bethléem, sous le roi Hérode, à l'occasion du dénombrement général ordonné par Auguste, puisque le recensement opéré par Quirinius, et dont l'historien Josèphe fait mention, n'aurait été qu'un recensement partiel des habitants de la Judée. Ce n'est donc point par un détour assez embarrassé qu'on a réussi à faire naître Jésus à Bethlehem.

Mais Jésus, dites-vous, n'était pas de la famille de David, d'où vous concluez assez légèrement et de votre propre autorité que le voyage de la famille de Jésus à Bethlehem n'a rien d'historique, et que par conséquent il n'est point venu au monde dans cette ville, comme l'affirment saint Matthieu et saint Luc. C'est une singulière façon de contredire un fait, de nier une descendance, de se débarrasser d'une affirmation incontestable. Nous traiterons ensemble cette question, quand je parlerai de la généalogie de Jésus-Christ; nous reviendrons aussi au recensement de Quirinius.

Pour ce qui est du roi Hérode sous le règne duquel saint Matthieu et saint Luc font naître Jésus-Christ, la confusion n'est pas possible. Il y a eu trois princes différents nommés Hérode, dont parlent les Evangiles d'une manière précise et conforme à l'histoire. Le premier fut Hérode l'Ascalonite, surnommé le Grand; il était Iduméen de nation; sa cruauté le rendit célèbre. C'est lui qui fit rebâtir le temple de Jérusalem, et qui, averti par les mages de la naissance du Sauveur à Bethléem, ordonna le massacre des innocents. Il mourut rongé par les vers, un an après la naissance de Jésus-Christ, selon quelques historiens,

(1) Histoire des juifs, t. II, livre XVII, page 250.

(2) Saint Matthieu, ch. XVII, v. 23.

deux ou trois ans plus tard, selon d'autres. Le second fut Hérode-Antipas, fils du précédent ; c'est lui, dit l'historien Josèphe, qui fit trancher la tête à saint Jean-Baptiste, et c'est à lui que Jésus-Christ, pendant sa passion, fut envoyé par Pilate. Il fut relégué à Lyon avec Hérodiade sa femme par ordre de Caligula, et il mourut dans la misère vers l'an 37 de l'ère chrétienne. Le troisième fut Hérode-Agrippa, fils d'Aristobule et petit-fils d'Hérode le Grand. Par complaisance pour les juifs, il fit mettre à mort saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean l'Evangéliste, et il fit emprisonner saint Pierre, ainsi qu'il est dit au chap. XII des Actes des Apôtres. Il mourut d'une maladie pédiculaire à Césarée, l'an 42 de notre ère. Il eut pour successeur son fils Agrippa II qui fut le dernier roi des juifs, après avoir été témoin de la prise de Jérusalem par Titus, l'an 70. Mais revenons à la crêche de Bethléem où Jésus-Christ est venu au monde.

On ignore la date précise de sa naissance. Elle eut lieu sous le règne d'Auguste, vers l'an 750 de Rome, probablement quelques années avant l'an I de l'ère que tous les peuples civilisés font dater du jour où il naquit. La naissance de JésusChrist sert, en effet, de base à la chronologie. D'après les anciens Pères de l'Eglise, le divin Sauveur est né dans la 749° année depuis la fondation de Rome, la quarantième d'Auguste, la cinquième avant l'ère vulgaire, sous le consulat d'Auguste et de L. Cornélius Sulla. C'est l'opinion la plus sûre et la plus commune. Toutefois, l'usage de compter les années depuis la naissance de Jésus-Christ n'a commencé en Italie qu'au VI siècle, en France au VII et même au VIII sous Pepin et Charlemagne, et chez les Syriens qu'au Xe siècle; les Grecs l'ont rarement adopté dans leurs actes publics. Cet usage est devenu général chez toutes les nations chrétiennes. Mais quand même on ignorerait la date précise de la naissance de Jésus, cela ne prouverait rien ni contre sa divinité ni contre l'autorité des Evangiles. Une date incertaine une erreur même de date n' infirment pas un fait ou un récit attesté par des témoins irrécusables.

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