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l'eût amenée à un état habituel de surexcitation. Ce qui n'est pas douteux, cependant, c'est que, dès l'époque où nous voici parvenus, cette séduisante idée lui était déjà apparue avec tous ses vertiges; et s'il n'avait pas encore osé établir avec confiance ses visées et ses rêves sur ce terrain interdit jusque-là à l'homme, il dut au moins se cramponner, avec un redoublement d'énergie, à l'espoir de plus en plus fondé de se faire agréer par Jéhovah comme héritier d'une royauté dont l'immortalité pouvait être la conséquence. Dans tous les cas, la plus simple prudence lui commandait impérieusement de soustraire à la vue de tous le texte sacré, condamnation formelle de cette royauté entendue humainement.

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La stupéfaction produite quatre siècles plus tard par la découverte d'un exemplaire de ce texte démontre surabondamment que cet exemplaire avait toujours été unique. Mais les souvenirs transmis au sein des familles, et les lectures récentes que Samuel avait dû faire à son école de prophètes, suffisaient pour que quelques-unes des ordonnances les plus importantes ne pussent être ignorées d'un assez grand nombre d'Israélites. La plus remarquable de ces ordonnances, celle que l'accord régnant pour la première fois entre toutes les tribus devait inévitablement rappeler aux esprits un peu instruits du passé, était le commandement bien net et bien précis d'élever à Jéhovah le palais dans lequel il devait

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résider (1) au milieu de son peuple. Tous ceux qui avaient entendu parler des instructions minutieuses données dans la Torah au sujet de ce palais, s'étaient plu sans doute à y reconnaître l'attentive sollicitude d'un souverain pour la construction et les dispositions intérieures de la demeure qu'il devait définitivement adopter. Et David pouvait maintenant se convaincre, à chaque ligne du texte qu'il avait sous les yeux, que c'était bien une présence 1 réelle qui avait été promise par le monarque divin.

Sans doute déjà, parmi les mieux renseignés, des réclamations s'étaient fait entendre à ce sujet. Car le sentiment national a eu de tout temps dans ce peuple des rapports si intimes avec le sentiment religieux, que ce qui éveille l'un doit nécessairement éveiller l'autre 2. A ce moment de son histoire, il dut se produire, entre ces deux sentiments, un effet de réciprocité tout à fait inverse de celui qu'avait prévu Moïse; il comptait sur le lien religieux pour serrer et maintenir le lien politique; ce fut, au contraire, l'unité politique - opérée précisé

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1. Le verbe étre présent, si souvent répété dans ce sens, a donné lieu à la formation du mot rabbinique schéchina, présence de Jéhovah.

·

2. A quel peuple auraient pu être empruntés les solides appuis que le trône et l'autel se prêtent l'un à l'autre, si ce n'est à celui chez qui est née l'idée de ne faire du trône et de l'autel qu'une seule et même chose? O prestige des principes irraisonnés !

ment par les moyens qu'il s'était tant appliqué à écar

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qui fit renaître en Israël le besoin de l'unité de

Accorder au vœu public, plus ou moins ouvertement exprimé, la construction d'une résidence royale pour Jéhovah, avant d'avoir consolidé sa propre royauté, était pour David une pierre d'achoppement au moins aussi redoutable qu'eût pu l'être la divulgation du manuscrit qui en détaillait le plan. En effet, ou cette résidence perdrait entièrement le sens politique que la Torah voulait qu'on y attachât, ou elle devrait nécessairement, selon les prévisions du législateur, devenir le centre matériel autour duquel chaque Israélite viendrait peu à peu grouper tous les détails de sa vie civile et privée 1. A quoi se réduiraient dès lors les fonctions et le pouvoir du second roi? Élever le palais de Jéhovah, c'était démontrer l'inutilité du sien.

La première chose à faire était donc de trouver, avec l'agrément de Jéhovah, le moyen de contenter le peuple

1. A ne considérer que le mérite de la conception, on ne saurait assez admirer la grandeur et la simplicité de l'idée de Moïse, quand on l'a pleinement dégagée des obscurités que tant de malentendus ont accumulées sur elle. Supposez, tout autour de la résidence royale, une foi parfaite en la présence réelle du roi immortel qui s'y cache, et telle est la puissance d'enchaînement qui rattache tout le système à cette donnée fondamentale, que vous chercherez en vain ce qui pourrait troubler dans son immobilité l'ordre social qui en résulte.

tout en renvoyant à une époque indéterminée la construction du temple. Quant au manuscrit pris dans la caisse du témoignage, il était évidemment revêtu d'un caractère trop sacré pour que David osât l'anéantir devant ce Dieu dont il avait à obtenir tant de grâces; mais, jusqu'à ordre contraire, il pouvait se croire autorisé à le dissimuler. Dans tous les cas, il y avait un souvenir si directement opposé à ses projets qu'il devait, par tous les moyens possibles, chercher à le faire rentrer dans l'oubli, c'était le souvenir de Moïse.

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Avec quelle ferveur ne dut-il pas, dès ce moment, solliciter du ciel l'approbation, manifeste ou tacite, des inspirations que la parfaite entente de ses intérêts lui fournissait si bien! Qui lui disait que ces inspirations n'étaient pas des ordres? De la part d'un Dieu que rien n'empêchait de parler, n'était-ce pas obtenir une promesse que de ne pas s'entendre expri mer de refus? Ne paraissait-il pas aussi, à en juger par l'exemple de Jacob et par d'autres, que certaines violences adroites ne déplaisaient pas à Jéhovah? — Il· fallait ne point se lasser d'aller au-devant de ses grâces et savoir à propos forcer ses consentements.

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De toutes ces réflexions et de tous ces calculs mêlés sans relâche des plus ardentes prières, quel fut enfin le résultat? Nous allons l'apprendre, en reprenant le récit hébraïque où nous l'avions laissé. On sut un jour

à Jérusalem qu'entre le roi et son prophète Nathan il s'était dit et fait ce qui suit (Samuel, II, ch. vii):

«... Le roi dit à Nathan, le prophète : Vois donc; moi je demeure dans une maison de cèdre, et l'arche du Dieu (□) habite dans des courtines. — Nathan dit au roi Va, fais selon tout ce qui est dans ton cœur, car Jéhovah est avec toi. »

« Ce fut dans cette nuit que la parole de Jéhovah fut adressée à Nathan, disant: Va, dis à mon serviteur David que Jéhovah lui parle ainsi : Est-ce toi qui veux me bâtir une maison pour ma demeure, à moi qui n'ai pas demeuré dans une maison depuis le jour que j'ai fait monter les enfants d'Israël de l'Égypte? Jusqu'à ce jour, je me suis contenté d'une tente pour demeure. Partout où j'ai marché avec les enfants d'Israël, en ai-je dit un mot à quelqu'une des tribus de mon peuple? Leur ai-je dit: Pourquoi ne m'avez-vous pas bâti une maison de cèdre? Et maintenant toi, Nathan, tu diras aussi à mon serviteur David Ainsi dit le Jéhovah des armées je t'ai pris du bercail, d'auprès du troupeau, pour être chef de mon peuple d'Israël. J'ai été avec toi partout où tu as marché; j'ai exterminé tous tes ennemis devant toi, et je t'ai fait un grand nom comme le nom des plus grands qui sont sur la terre. J'ai donné un établissement à mon peuple, à Israël; je l'ai enraciné; il peut maintenant demeurer en place...

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