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historien a fait une mention rapide au moment même de l'assassinat de son malheureux oncle Isboseth; David s'éprend de la plus tendre affection pour ce prétendant cul-de-jatte; il le fait chercher, amener chez lui et combler de bienfaits; « Méphiboseth demeura à Jérusalem, car il mangeait toujours à la table du roi; il était boiteux des deux pieds. » On regretterait que ce trait manquât. Si l'historien de David se bornait à placer au nombre des vertus du saint roi la fidélité au serment et la générosité pratiquée même à l'égard des membres de la famille rivale, nous comprendrions difficilement à quel artifice David avait pu avoir recours pour se donner ce renom. L'heureuse chance d'avoir su trouver un Méphiboseth explique tout.

Un seul peuple restait à soumettre encore pour que la royauté de David fût définitivement assise et à l'abri de toute atteinte du dehors: c'étaient les Ammonites. Mais ce peuple était puissant, et une première expédition n'avait pas suffi pour le réduire. Le difficile était de s'emparer de Rabba, leur capitale. Cette ville enfin prise, il ne resterait plus qu'à célébrer la complète réalisation de toutes les promesses faites par Jéhovah à son peuple. « David envoya donc Joab, et avec lui ses serviteurs et tout Israël, pour détruire les enfants d'Ammon et assiéger Rabba. Mais David resta à Jérusalem. » (Ibid., ch. xI.)

Ici se place le récit de la séduction de Bethsabée, et de l'ingénieux moyen qui permit à David de se défaire d'Uri, après avoir vu échouer ses efforts pour l'amener à se croire le père de l'enfant. Cet épisode est trop connu pour que nous ayons besoin de nous y arrêter.

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On remarque moins le détail qui suit. L'enfant né de cet amour clandestin tomba malade (ch. xii). « David se livra au jeûne; il allait et venait et se couchait par terre. Les anciens de sa maison se levèrent, vinrent à lui pour le faire lever de terre; mais il ne voulut point et ne mangea rien avec eux. Ce fut le septième jour que l'enfant mourut. Les serviteurs de David craignaient de lui dire que l'enfant était mort, car ils disaient Puisque, alors que l'enfant vivait, nous lui avons parlé et qu'il n'a point écouté notre voix, comment dirions-nous maintenant : L'enfant est mort. Il pourrait commettre un malheur. David ayant vu que ses serviteurs se parlaient bas, il comprit que l'enfant était mort. Il dit à ses serviteurs : L'enfant est-il mort? - Ils répondirent: Il est mort. Aussitôt David se leva de terre, se baigna, se parfuma, changea ses vêtements et alla se prosterner devant Jéhovah. Puis il revint à sa maison, demanda à manger et mangea. - Ses serviteurs lui dirent: Qu'est-ce que tu fais ? Lorsque l'enfant était en vie tu jeûnais et pleurais, et, maintenant qu'il

est mort, tu te lèves et tu prends un repas ! » Dans la persuasion naïve où l'on est que c'était par crainte de voir mourir l'enfant. que David s'était livré à ces austérités, on partage pleinement la surprise de ses serviteurs. Comment comprendre, en effet, ce passage subit de l'attitude du suppliant à celle de l'homme soulagé et satisfait ?

En voici l'explication. Le crime commis n'avait pu s'ébruiter sans nuire au prestige de sainteté du roi et sans lui faire redouter le mécontentement de Jéhovah. C'était surtout ce dernier point qu'il importait d'éclaircir. Or, dans les coutumes hébraïques, tout péché était effacé par un sacrifice expiatoire. Que Jéhovah voulût bien agréer une victime, et tout serait effacé, péché et punition. On peut voir, au chapitre xò, le remarquable apologue mis dans la bouche de Nathan à ce sujet, et le discours qui le suit. Les foudres qui grondent au commencement de ce discours s'apaisent tout à coup . à la fin, et ne se réveillent que pour lancer un dernier trait, non plus contre David, mais contre ceux qui, pour l'avoir blâmé, sont appelés les ennemis de Jéhovah (v. 13, 14): «..... Jéhovah a fait passer ton péché; tu ne mourras point. Toutefois, comme tu as été cause que les ennemis de Jéhovah ont blasphémé, le fils qui t'est né mourra. » Donc, le fils étant mort, tout était dit: non-seulement David avait la vie sauve, mais, sur la foi de Jéhovah

lui-même, il était racheté de toute inquiétude et de tout danger. On comprend maintenant le subit changement de sa contenance.

Ce qu'on ne saurait comprendre c'est qu'une circonstance dans laquelle tout se terminait à l'entière satisfaction de David soit précisément celle à laquelle on s'est plu jusqu'ici à rattacher la composition des écrits réunis sous le titre de Psaumes de la pénitence. Par quelle étrange inadvertance ou par quelle volontaire obstination persiste-t-on dans un déplacement de dates que la moins attentive lecture devrait suffire à faire rectifier! Ce moment que l'on suppose tout assombri par le remords et la componction, n'est-il pas celui de la prise de cette ville de Rabba, sous les murs de laquelle David avait envoyé mourir Uri? Et cette prise de Rabba n'est-elle pas le plus beau fait d'armes du règne, la plus

1. Voir, dans les livres de Moïse, les nombreux passages où Jéhovah enseigne lui-même les moyens de l'apaiser. Il s'engage à supprimer toute recherche ultérieure à l'égard des péchés, pourvu qu'ils soient effacés par la victime spécialement affectée à leur rachat.

2. Il est vrai que l'un des plus cités, le psaume LI (canon hébr.), porte cette suscription : « Psaume de David, quand après sa cohabitation avec Bethsabée, Nathan le prophète était venu près de lui. » Passe, si l'on veut, pour ce psaume, bien que de Wette ait montré pour ainsi dire verset par verset qu'il ne pouvait s'appliquer à la circonstance indiquée dans la suscription. On n'ignore pas d'ailleurs le peu de compte que les exégètes tiennent de ces suscriptions ajoutées on ne sait à quelle époque, et distribuées aussi arbitrairement qu'elles pourraient l'être aujourd'hui d'après la connaissance qu'on croit avoir des sentiments de David.

éclatante coopération du Dieu des armées, le triomphe qui devait porter à son comble l'exaltation du roi-poëte, et lui inspirer le chant qui dévoile le mieux sa pensée tout entière ?

Il n'est pas inutile de citer tout le passage relatif à ce grand événement (ch. xò, v. 26 et suiv.), ne fût-ce que pour montrer la part réelle que David prenait au péril et à la gloire des brillantes expéditions militaires de son règne.

<< Joab avait combattu contre Rabba... et s'était emparé de la ville royale. Joab envoya des messagers à David, et dit :... Je me suis emparé de la ville des eaux. Et maintenant, réunis le reste du peuple, campe contre la ville et prends-la, de peur que je ne prenne moi-même la ville et que mon nom y soit proclamé. David réunit tout le peuple et alla à Rabba. Il combattit contre elle, et s'en empara. Il prit la couronne de leur roi de dessus sa tête... et la mit sur la sienne. Il emporta de la ville un riche butin. Il fit sortir le peuple qui y était, le mit sous des scies, sous des herses de fer et sous des haches de fer; il les fit passer par un four à briques 1. Il en fit ainsi à toutes les villes des enfants

1. C'est particulièrement de ce dernier supplice que David, dans ses grandes colères, se plaît à menacer ses ennemis. Quelques prophètes ont insisté sur ce supplice du feu qui est devenu l'image caractéristique de l'enfer chrétien. Le mot indiquerait cet endroit où l'on brûlait des victimes humaines en l'honneur de Moloch, comme cela se fit plus

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