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l'arbitre omnipotent de l'usine et de l'atelier, sans que nos sociétés, qui vivent du travail, soient prises tout entières dans sa main. Il n'y a qu'une façon d'établir, à toujours, sur le monde, le despotisme de l'État; mais il y en a une, c'est celle-là.

X

Dangers pour le progrès social de l'ingérence de l'État.- La réglementation administrative, l'initiative privée et l'économie sociale. Répugnances du saint-siège pour le socialisme d'État. - Comment le pape défend l'individu, la famille, les sociétés privées contre l'absorption de l'État.

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Que l'Église a, elle

aussi, ses droits de l'homme et du citoyen. Qu'il est faux que le christianisme ne reconnaisse à l'homme et aux peuples que des devoirs.- Limites qu'imposent à l'autorité et à l'action de l'État les droits reconnus à l'individu et à la famille. Comment c'est à la liberté et aux institutions nées de la liberté que l'Église demande, de préférence, la solution des questions sociales. Comment il ne faut pas toujours identifier la liberté avec l'individualisme.

Et quand l'État moderne serait plus équitable et serait plus éclairé; quand il serait autre chose, en réalité, qu'une collectivité irresponsable exerçant le pouvoir par des mandataires changeants et passionnés; quand il se déferait de son esprit sectaire et de ses procédés tyranniques, nous douterions en

core, pour réglementer l'usine et l'atelier, de sa compétence et de sa capacité. L'État est une machine pesante, aux rouages lents, inutilement compliqués, qui, pour le plus petit travail, exige une dépense considérable de combustible et de main-d'œuvre ; aucune n'a un rendement plus faible et ne laisse perdre autant de force; par suite, plus on étend l'action de l'État, plus on risque d'appauvrir le pays. Au lieu de hâter le développement de la richesse nationale, l'intervention de l'État est faite pour le ralentir, en comprimant les libres facteurs de la richesse et du travail.

Il est un reproche, en tout cas, auquel son ingérence ne peut échapper et qui, en matière sociale ou économique, est des plus graves, c'est que l'immixtion de l'autorité publique énerve l'initiative privée. Or, cela seul serait inquiétant, car l'initiative privée a, de tout temps, été le grand ressort du progrès; le briser ou le paralyser en l'enveloppant de lois et règlements qui en arrêtent ou en gênent le jeu, ce serait entraver les progrès de l'industrie et le progrès de la richesse, partant retarder l'amélioration du bienêtre des masses. Ce n'est point tout dans les questions sociales elles-mêmes, dans les questions proprement ouvrières, l'ingérence de l'État, avec ses procédés vexatoires et ses habitudes tracassières, n'aboutit souvent qu'à déprimer, au lieu de les sti

muler, les forces privées et les énergies vivantes, la philanthropie humanitaire, ou la charité chrétienne. Nous en avons déjà la preuve pour la bienfaisance publique; elle semble, à grands frais, stériliser les champs que fécondait la bienfaisance privée. Prenons-y garde, au lieu de pousser les patrons et les capitalistes, les sociétés industrielles ou les chefs d'industrie, à remplir, plus largement, leur devoir social, l'immixtion arbitraire de l'État menace de les en dissuader ou de les en décourager. Il nous semble déjà, en France, voir des symptômes de ce découragement; et, en vérité, cela est grand dommage.

Nous nous calomnions en effet nous-mêmes, quand nous répétons que, en pareille matière, l'initiative privée est demeurée stérile, et la liberté inerte. Non pas; c'est, au contraire, un des domaines où notre fin de siècle, à tant d'égards si peu digne d'admiration, a le mieux mérité de la France et de l'humanité. Je n'en veux comme témoin que notre exposition universelle de 1889, et ce groupe de l'Économie sociale, ou, comme on disait si justement, de « la Paix sociale », dont les salles silencieuses et trop peu visitées s'ouvraient, sur l'Esplanade des Invalides, à quelques pas du palais de la guerre 1. De larges

1. Le jury du groupe de l'Économie sociale s'était préoccupé d'assurer à cette exposition un caractère permanent, par la formation d'un « Musée-Bibliothèque » d'économie sociale. En

tableaux graphiques aux courbes bizarres, de longues colonnes ou de hautes pyramides de chiffres, des diagrammes de toutes formes et de toutes couleurs, des plans et des modèles de maisons ouvrières, des statistiques, des rapports, des notices de toute sorte et de tous pays montraient, à des curieux trop rares, tout ce qu'ont déjà tenté la liberté et l'initiative privée, les individus et les sociétés, pour relever la situation des ouvriers et pacifier les rapports du travail et du capital.

par

C'était là, dans son austère et froide nudité, un spectacle plein de promesses pour l'avenir. De toutes les sections de cette fastueuse et bruyante exhibition, c'était peut-être la plus suggestive; son inspiration, c'était, à tout le moins, la plus chrétienne. Le saint-père en eût pu recommander la visite à ses prêtres et à ses moines. Il y manquait une chose, il est vrai, qui en eût fait sans conteste la plus admirable des expositions du monde, il y manquait les œuvres de la charité chrétienne, exposition que je voudrais bien voir réunir quelque part, un jour, si ce n'est dans notre profane Paris, à Rome du moins, dans quelque couvent solitaire de

une

attendant que ce souhait, qui ne semblait avoir rien de présomptueux, puisse être réalisé, les objets et les documents rassemblés en 1889 sont, paraît-il, relégués dans les écuries du quai d'Orsay.

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