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des vérités plus sublimes, que ses miracles prouvent mieux sa puissance, et que son action sur le peuple a plus d'énergie et d'empire. Le prodige accompli à Béthanie est le dernier terme d'une progression saisissante dans l'œuvre entière de Jésus; il est à son ministère judéen ce que la multiplication des pains, dans le désert de Bethsaïde, est à son apostolat de Galilée.

L'affirmation d'un témoin si exactement instruit de ce qu'il raconte, garantit contre toute attaque l'historicité de la résurrection de Lazare. Quelque prodigieux qu'il soit, le fait s'impose à tout esprit non prévenu.

La critique panthéiste ou matérialiste a crié à l'impossible. Les morts ne ressuscitent pas, affirme-t-elle imperturbablement. L'histoire lui oppose des résurrections certaines; et la raison qui enseigne un Dieu personnel, tout-puissant, ne voit aucune impossibilité à admettre que Lazare, mort depuis quatre jours, se lève du tombeau à la voix du Fils de Dieu. Tirer du néant ce qui n'est pas, donner la vie à ce qui ne vit pas, la rendre à qui l'a perdue, appartient à un même pouvoir. Mais Lazare n'était qu'endormi du sommeil catalepLes témoins affirment qu'il était mort. C'est tique 1? invraisemblable. L'histoire n'est qu'un tissu d'invraisemblances pour notre esprit borné. Nous ne saisirons jamais qu'une faible partie des causes qui produisent les phénomènes; à chaque instant, des faits inattendus déroutent la raison, et leur étrangeté soufflette ce que nous appelons notre logique.

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Au lieu d'accepter le récit évangélique dans sa teneur, la critique négative le dénature ou le nie. Certains n'ont voulu Y voir qu'une légende habile, un tableau fictif destiné à traduire en fait la thèse métaphysique formulée par ces mots : « Je suis la Résurrection et la Vie 2. » D'autres, une création arbitraire, fantaisiste, de la conscience chrétienne qui a dû attribuer à Jésus, comme Messie, des résurrections semblables à celles que l'Ancien Testament prêtait aux prophètes. Des critiques plus

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PAULUS, Exeg. Handbuch.

BAUR, Theol.-Jahrs., t. III; KEIM, Jes. v. Naz., t. III

3 STRAUSS, Das Leben Jesu, t. II.

récents, considérant avec justesse ces interprétations comme de véritables expédients de théologiens aux abois, ont renouvelé avec plus de finesse le vieux stratagème des anciens rationalistes allemands.

La tradition, par une série de méprises dont la parabole du pauvre Lazare a été le point de départ, a d'abord attribué un frère malade à Marthe et à Marie; le mot de Jésus : « Lazare lui-même reviendrait à la vie, qu'on ne le croirait pas », a été mal entendu; on a dit qu'en réalité il était sorti du tombeau. et ainsi la légende a pris cours.

Toutes ces suppositions que rien n'appuie se condamnent par leur fantaisie mėme; elles prouvent de combien peu l'esprit se contente, et quelles ruses il sait inventer pour supprimer, en les dénaturant, des faits en opposition avec ses doctrines.

Au témoignage formel, précis, détaillé, du quatrième Évangile, on a opposé le silence des trois premiers. Il y a lieu de s'étonner, en effet, de prime abord, qu'un événement si extraordinaire en lui-même, si considérable dans ses résultats, ait été omis par trois des quatre écrivains qui ont entrepris de raconter la vie de Jésus.

L'étude attentive de ces documents divers explique et justifie cette omission.

Aucun des Évangélistes, même saint Luc, qui a pris tant de soin à ordonner son récit, n'a prétendu rappeler les innombrables enseignements ni tous les actes du Maître. Leurs « Mémoires sont essentiellement fragmentaires : on ne saurait arguer du silence de l'un contre le témoignage de l'autre. Les synoptiques ont un trait de physionomie commun : ils datent le ministère public de Jésus, de son avénement en Galilée, après l'emprisonnement de Jean-Baptiste, et ils n'ont relaté du ministère judéen que la dernière semaine. Saint Jean seul raconte les voyages de Jésus à la métropole, et quelquesuns des enseignements et des miracles appartenant à cette période de sa vie. On voit, dès lors, comment tout ce qui concerne l'action de Jésus à Jérusalem et en Judée, conséquent, le miracle de la résurrection de Lazare,

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et, par

a été

omis par les autres; le cadre de leur récit ne le comportait

pas.

La réunion du Sanhedrin, les débats qui l'agitèrent, l'intervention du grand prêtre, la résolution de l'assemblée et le mot qui l'inspira : « Il faut qu'il meure », tout fut bientôt connu à Jérusalem et ne tarda pas à l'étre à Béthanie. Jésus avait, jusque dans le grand Conseil, des amis secrets qui durent l'avertir du danger devenu menaçant. La joie dont il avait comblé ses hôtes s'assombrit tout à coup; le sort du Maître bien-aimé les remplit de tristesse et d'angoisse.

Étrange mystère que la destinée des envoyés de Dieu et de celui qui les domine tous ils souffrent persécution, ils meurent pour leurs bienfaits. La plus belle des œuvres de Jésus, la plus touchante, la plus éclatante, celle qui a le mieux révélé sa force infinie et son amour, fait déborder la haine dont ses ennemis le poursuivent et attire sur lui l'arrêt de mort.

Aucune parole d'amertume, aucune indignation. Il ne voit dans les événements et dans les hommes que les instruments de la volonté de son Père, et il va, ferme et tranquille, raffermissant les siens, accomplissant jusqu'au bout sa grande œuvre. Il sait que les douze heures du jour, suivant son expression favorite, s'achèvent, et que la nuit approche.

Il peut encore échapper à l'orage. Le moment n'est pas venu de l'affronter. Il s'éloigne de Béthanie et emmène ses disciples. Il évite désormais de rencontrer les Juifs, il se retire dans un pays voisin du désert, dans la petite ville appelée Éphrem', où il se fixe un instant*.

Pour gagner cette solitude, sans éveiller l'attention, Jésus dut longer, à l'est, le mont des Oliviers et suivre les sentiers montagneux qui traversent Anatot et Mikhmas.

1 JEAN, XI, 54.

* Éphrem a disparu aujourd'hui; elle est devenue le village de Thayèbey, dont le nom arabe signifie bonne, agréable, et paraît être la traduction du nom hébreu de la cité antique*.

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La ville où il se réfugiait était en dehors des grandes routes fréquentées, vers l'extrémité septentrionale de la Judée, à quinze ou dix-sept milles de Jérusalem. Elle était bâtie sur une colline pointue de huit cents mètres d'altitude, au seuil même du désert; ses maisons carrées, en pierre blanche, avaient l'air, au loin, de vieilles tours démantelées.

De l'ancienne Éphrem, il reste les débris d'une forteresse dont les murs, en longs blocs taillés en bossage, s'élèvent encore à plusieurs mètres et ne servent plus qu'à abriter les pauvres fellahs. De cette hauteur solitaire, Jésus pouvait voir tout le pays de Juda, triste et sombre, avec ses montagnes rocailleuses, aussi âpres que son peuple endurci. Il apercevait le mont des Oliviers d'où il s'élèverait dans sa gloire, et au delà, il pressentait Jérusalem, où il devait mourir.

Ce lieu austère encadre bien la phase nouvelle de sa vie, et il donne à Jésus la solitude et la sérénité.

Les jours passés à Éphrem durent être remplis par la prière et les entretiens intimes. Dans son entourage, on s'attend aux grandes luttes. On espère l'avénement du Royaume. La petite troupe était résolue. Elle avait, malgré tout, une foi sans bornes à la puissance du Maître la résurrection de Lazare la raffermissait contre le danger. Ephrem était une halte avant les combats suprêmes. Jésus partit de là pour se rendre à Jérusalem et y célébrer sa dernière Pâque.

CHAPITRE IX

LE DERNIER VOYAGE A JÉRUSALEM.

L'itinéraire de ce voyage peut être reconstitué d'après les indications combinées du troisième et du quatrième Évan gile. Saint Jean marque le point de départ; saint Luc, la route et le point d'arrivée. Le point de départ est Éphrem', sur la frontière nord de la Judée; la route décrit un vaste cercle à travers la Samarie, la Galilée et la vallée du Jourdain; le terme est Bethphagé. Au lieu de se diriger vers Jérusalem, dont il n'était séparé que par cinq ou six heures de marche, Jésus parut s'en éloigner; il prit au nord le chemin de la Samarie, remonta jusqu'en Galilée, à la hauteur de la plaine de Jisréel, descendit sans doute par l'ouady Djaloud, dans la vallée du Jourdain, et s'avança vers Jéricho par la grande voie des caravanes galiléennes.

Quel motif avait déterminé Jésus à ce long détour? Il est probable que, devant donner à son entrée dans la ville sainte un éclat inaccoutumé, un caractère triomphal, il voulut reparaître au milieu de la foule des Galiléens pour signaler son voyage et rallier les nombreux disciples mêlés aux pèlerins qui s'acheminaient déjà vers Jérusalem. Ce que ses frères, il y a six mois, au temps de la fête des Tabernacles, lui avaient demandé, en lui disant : - Montre-toi donc au monde, il allait

▲ JEAN, XI, 54.

Luc, XVIII, 11.

Voir livre IV, ch. t.

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