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quand ils le font si troublé, c'est quand il se trouble lui-même; et, quand les hommes le troublent, il est tout fort.

6.

L'Église a eu autant de peine à montrer que Jésus-Christ était homme, contre ceux qui le niaient, qu'à montrer qu'il était Dieu; et les apparences étaient aussi grandes1.

7.

JÉSUS-CHRIST est un Dieu dont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir.

8.

La conversion des Païens n'était réservée qu'à la grâce du Messie. Les Juifs ont été si longtemps à les combattre sans succès; tout ce qu'en ont dit Salomon et les prophètes a été inutile. Les sages, comme Platon et Socrate, n'ont pu le persuader.

9.

L'Evangile ne parle de la virginité de la Vierge que jusques à la naissance de Jésus-Christ. Tout par rapport à JésusChrist.

...

10.

Jésus-Christ, que les deux Testaments regardent, l'Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle; tous deux comme leur centre.

11.

Les prophètes ont prédit, et n'ont pas été prédits. Les saints ensuite prédits, non prédisants. Jésus-Christ prédit et prédisant.

12.

JÉSUS-CHRIST pour tous, Moïse pour un peuple.

Les Juifs bénis en Abraham : « Je bénirai ceux qui te béniront [ Gen., x11, 3]. » Mais, « Toutes nations bénies en sa semence [Ibid., xxii, 18]. »

Lumen ad revelationem gentium 3.

Non fecit taliter omni nationi, disait David en parlant de la

1. C'est la fameuse hérésie d'Eutychès, opposée à celle de Nestorius.

2. C'est-à-dire, suivant Pascal, en JÉSUS-CHRIST, qui descend d'Abraham.

3. Lumière qui doit éclairer les Gentils. Luc, 11, 32.

Loi'. Mais, en parlant de JÉSUS-CHRIST, il faut dire : Fecit taliter omni nationi.

Parum est ut, etc. [Isaïe, XLIX, 6]2. Aussi c'est à JÉSUS-CHRIST d'être universel. L'Église même n'offre le sacrifice que pour les fidèles; JÉSUS-CHRIST a offert celui de la croix pour tous 3.

REMARQUES SUR L'ARTICLE XVII.

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Fragment 1. Ce magnifique portrait de JÉSUS-CHRIST a été fort maltraité dans l'édition de Port-Royal. « Ils sont vus, non des yeux, mais des esprits; c'est assez. » Port-Royal met : « Ils sont vus des esprits, non des yeux, mais c'est assez. » Qui ne voit que l'inversion est maladroite, que le mais affaiblit le trait final au lieu de lui donner de la force; que les arrangeurs ont enlevé à la touche du maître ce qu'elle avait de senti, de vif et de fier?

« Il n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions.» Port-Royal : « Il n'a pas donné des batailles, mais il a laissé à tout l'univers des inventions admirables. » On ne cesse de s'étonner que Port-Royal ait si peu compris le style de Pascal. Comment a-t-on pu effacer cette antithèse des yeux et des esprits, qui met la pensée en pleine lumière? On a trouvé bizarre des batailles pour les yeux, mais toutes les œuvres du monde sont pour les yeux, pour l'apparence, suivant Pascal. On a voulu enrichir la fin de la phrase, qui semblait pauvre. Mais il s'agit bien de tout l'univers Comme si l'espace ajoutait quelque chose à la grandeur spirituelle. Et que cette épithète d'admirables est froide ici!

«Oh! qu'il a éclaté aux esprits! » Il a fallu que Port-Royal défigurât encore ainsi cette exclamation superbe : « Oh! qu'il est grand et éclatant aux yeux de l'esprit ! » Ils ont cru rendre la phrase plus correcte; éclater aux esprits, ils ont trouvé que cela ne se disait pas. Mais l'o riginalité de ce langage, fruit de l'originalité de la pensée est précisément d'avoir dit, éclater aux esprits, comme on disait éclater aux yeux, et que cela paraisse tout naturel et tout simple.

<< Saint, saint à Dieu. » Port-Royal écrit une seule fois, saint

1. Il n'en a pas fait autant pour toute nation. » Ps. CXLVII, 20.

2. Voici le texte entier : Parum est ut sis mihi servus ad suscitandas tribus Jacob et fæces Israel convertendas. Ecce dedi te in lucem gentium, ut sis salus mea usque ad extremum terræ. « C'est peu que tu me serves à relever les tribus de Jacob, et à purifier la fange d'Israël. Je t'établis pour être la lumière des nations, et le salut que j'envoie usqu'au bout de la terre. »

3. Dans la messe du vendredi saint seulement, où il n'y a pas de consécration ct de acrifice, l'Eglise prie pour les infidèles et pour les Juifs, pro perfidis Judæis.

devant Dieu. Ils ont peur peut-être que les paroles sacrées, ainsi employées hors de l'église, n'étonnent et ne fassent rire les mondains. Pascal n'a pas tant de précautions, parce qu'il n'a pas tant de sangfroid. Port-Royal discute, Pascal adore.

Mais comment comprendre que Condorcet ait supprimé ce morceau, et l'ait confondu dans la foule des pensées pieuses qu'il retranche comme ne présentant pas d'intérêt à ses lecteurs! Voir les Remarques sur le fragment 33 de l'article xxiv.

« Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. » Voilà ce qui nous explique tant de passages où Pascal s'exprime sur les dignités du monde et sur la royauté même avec une liberté qui a effrayé Port-Royal. Il voit bien bas ces grands de chair, les considérant, non-seulement des hauteurs de l'esprit, mais de celles de la sainteté où il aspire.

« La grandeur de la sagesse.» Port-Royal met de la sagesse qui vient de Dieu. Port-Royal semble reconnaître ainsi deux espèces de sagesse. Pour Pascal il n'y en a qu'une, comme pour les stoïciens; mais pour lui, elle n'est pas dans cet idéal que les stoïciens appelaient le Sage; elle est en Dieu. C'est elle dont parle l'Écriture, et qui se nomme absolument la Sagesse.

...

<< Tous les corps, le firmament, les étoiles ne valent pas le moindre des esprits; car il connaît tout cela, et soi, et les corps, rien. » C'est la même idée et le même orgueil qu'on a déjà vu exprimés dans le fragment du Roseau pensant, 1, 6. Si Pascal est si éloquent et si fort, c'est qu'il ne dit que des choses dont il est plein. Mais cette pensée, qui semble assez haute pour faire la conclusion d'une philosophie, n'est que le point de départ d'où celle de Pascal va s'élever.

«Tous les corps ensemble..... ne valent pas le moindre mouvement de charité. » C'est-à-dire d'amour de Dieu. Que cette simplicité est haute, et que cette sorte d'élévation est touchante! L'esprit, qui était tout, n'est plus rien. Pour Aristote, Dieu est la pensée purc, et la fin de l'homme, c'est de penser. Le Dieu de Pascal n'est pas seulement intelligence, mais amour. Un élan du cœur atteint à lui mieux que tout l'effort de la science. C'est le Dieu des petits, mais combien il les fait grands!

Je ne sais s'il y a rien dans les Pensées qui surpasse la beauté de ce fragment. Relisez de suite ces paroles, pleines de négligences, mais si fermes et si ardentes. Il y règne un sublime qui étonne l'esprit et qui remplit le cœur. Voilà quelles méditations consolaient Pascal de ses souffrances, et le soutenaient contre les humiliations du dehors. Quand, parmi tant de génies illustres en différents genres, sa pensée

va choisir le prince des physiciens et des géomètres, comment douter qu'il ne songe à lui-même, et à ses propres inventions! Lorsque Racine, à propos de Corneille, osait proclamer que la postérité ferait marcher de pair le grand poëte et le grand monarque, ce n'était pas pour Corneille seulement qu'il parlait. Et lorsque Pascal élevait si haut Archimède, il fixait la place de Pascal. Mais tout à coup il oublie cet orgueil de la pensée; il se prosterne, plein de vénération et de tendresse, devant Jésus pauvre et humilié, mais saint et sans tache. Il se confond, il est ébloui, il le voit radieux et céleste; c'est une transfiguration, mais intérieure et spirituelle. Il n'a pas besoin du Thabor; trois mots suffisent, sans aucun péché! Et aussitôt il s'écrie: «Oh! qu'il est venu en grande pompe aux yeux du cœur! » Et on le sent ravi jusqu'au plus profond de son être. L'idée du saint resplendit dans cette âme, éclat voilé, jouissance austère, mais incomparable. Rapprochez de ce fragment les effusions que Pascal a jetées ailleurs sous ce titre Le Mystère de Jésus. On les trouvera immédiatement à la suite des Pensées.

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Fragment 4. « JÉSUS-CHRIST a dit les choses grandes si simplement qu'il semble qu'il ne les a pas pensées. » Croirait-on que PortRoyal a mis, qu'il semble qu'il n'y a pas pensé ?

Fragment 12. « Les Juifs bénis en Abraham... mais, toutes na«tions bénies en sa semence. » Pascal applique à JÉSUS-CHRIST ces dernières paroles, mais à l'endroit même de la Genèse qu'il citait d'abord, en même temps que Dieu dit à Abraham Je ferai sortir de toi une grande nation, et je te bénirai, et je bénirai ceux qui te béniront; le texte ajoute: Et en toi seront bénies toutes les familles de la terre.

ARTICLE XVIII

1.

La plus grande des preuves de JÉSUS-CHRIST Sont les prophéties. C'est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu; car l'événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l'Église jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant seize cents ans; et pendant quatre cents ans après, il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs, qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà

quelle a été la préparation à la naissance de JÉSUS-CHRIST, dont l'Évangile devant être cru de tout le monde, il a fallu nonseulement qu'il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais que ces prophéties fussent par tout le monde, pour le faire embrasser par tout le monde.

2.

Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de JÉSUS-CHRIST 1, pour le temps et pour la manière, et que JÉSUS-CHRIST serait venu conformément à ces prophéties, ce serait une force infinie. Mais il y a bien plus ici. C'est une suite d'hommes, durant quatre mille ans, qui, constamment et sans variation, viennent, l'un ensuite de l'autre, prédire ce même avénement. C'est un peuple tout entier qui l'annonce, et qui subsiste depuis quatre mille années, pour rendre en corps témoignage des assurances qu'ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu'on leur fasse ceci est tout autrement considérable2.

3.

Le temps, prédit par l'état du peuple juif, par l'état du peuple païen, par l'état du temple, par le nombre des années. Il faut être hardi pour prédire une même chose en tant de manières.

Il fallait que les quatre monarchies idolâtres ou païennes, la fin du règne de Juda, et les soixante-dix semaines arrivassent en même temps, et le tout avant que le deuxième temple fut détruit 3.

...

4.

Qu'en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée, en la septantième semaine de Daniel, pendant la durée du second temple, les Païens seraient instruits, et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs; que ceux qui l'aiment se

1. C'est-à-dire, des prédictions ayant pour objet JÉSUS-CHRIST. 2. Eu titre dans l'autographe, Prophéties.

3. Chacune des parties de cette phrase répond à chacune des parties de la précédente. Les quatre monarchies, c'est l'état du peuple païen; la fin du règne de Juda, c'est l'état du peuple juif; les 70 semaines (semaines d'années), c'est le nombre des années; avant que le deuxième temple fût détruit, c'est l'état du temple. · En titre dans l'autographe, Prophéties.

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