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que, dès le milieu du Ie siècle, l'Évangile de saint Jean ait été, sans contestation, reçu de tant de partis contraires et en tant de lieux, il faut qu'il ait été, depuis longtemps déjà, universellement reconnu une nouveauté apocryphe n'eût pas fait si facilement son chemin. Ajoutons que les Pères catholiques auraient dû s'en défier plus que personne, ne fût-ce que pour ôter à certains gnostiques, aux Montanistes, par exemple, l'appui qu'ils y cherchaient par de fausses interprétations'. Mais nous ne sommes pas réduits à ces témoignages de la deuxième moitié du second siècle. Papias et Polycarpe, qui ont connu saint Jean, ont parlé de ses écrits. Ils faisaient du moins allusion à la première Épître de l'Apôtre, au rapport d'Eusèbe2; et Polycarpe en cite un passage (x, 3) dans son Épître aux Philippiens, que nous avons encore aujourd'hui3 : or, la première Épître est évidemment du même temps et du même auteur que l'Évangile. Et l'Évangile, nous l'avons déjà montré ailleurs, est cité, en plusieurs endroits, dans les Épîtres de saint Ignace, épîtres plus contestées, je l'avoue, que l'Évangile lui-même, mais néanmoins faciles à défendre. On est donc ramené vers le temps où saint Jean vivait. Or, du vivant de saint Jean, ou du temps de ses premiers disciples, aurait-on facilement mis sous son nom un Évangile qui n'eût pas été de lui? Et qui l'aurait fait ? un de ses disciples? Mais comment n'aurait-il pas laissé sa trace dans l'Église? En ce temps-là, on ne voit qu'un homme capable d'une pareille œuvre, et cet

'Tholuck, p. 283. - Hist. eccles. III, 39.

· Πᾶς γὰρ ὃς ἂν μὴ ὁμολογῆ Ἰησοῦν Χριστὸν ἐν σαρκὶ ἐληλυθέναι, ἀντίχρι Tóc oti. Polyc. Ep. ad Phil. § 7, ap. Patr. apost. t. II, p. 188.

✦ Voy. au ch. 1 les citations des Pères apostoliques. Voy. aussi Tholuck, p. 283-290.

homme est saint Jean: car il y a dans ses écrits comme en ceux de saint Paul, cette marque du génie que le faussaire ne contrefait pas.

Mais si l'on veut des témoigages, nous irons plus loin, et nous alléguerons celui de saint Jean lui-même et de ceux qui ont reçu son Évangile et qui l'ont publié.

3

Il y a plusieurs traditions sur le lieu où fut composé cet Évangile. Les uns désignent Patmos ; les autres Éphèse 2. Saint Irénée dit qu'il fut publié à Éphèse '; et la Synopse jointe aux œuvres de saint Athanase, qu'il fut fait à Patmos et publié à Éphèse par Gaïus, ami de l'Apôtre, ce qui paraît concilier les deux opinions: saint Jean, du lieu de son exil, aura fait parvenir son Évangile à ses fidèles d'Éphèse, en leur laissant le soin de le répandre. Or (c'est encore le docteur Hug qui l'a fait remarquer), la première Épître de saint Jean est comme la lettre d'envoi de l'Évangile. Elle est écrite quand l'Apôtre est séparé de son troupeau, probablement par l'exil, comme la seconde et la troisième; elle fait allusion à un état de l'Église d'Éphèse, qui répond bien au tableau qu'il en fait encore dans l'Apocalypse une église travaillée par des imposteurs, et qui

'Hippolyt. de Duod. apostol. traité compris parmi les ouvrages douteux du saint martyr, append. p. 30; Theophyl. Comm. in Joan. præf. (ex Doroth. martyre, Tyr. episc.), t. I, p. 500 (Venise, 1754); ap. Hug, II, 69 et de Wette, § 111.

2 Les souscriptions de la traduction syriaque et de la traduction arabe d'Erpennius, citées par Hug, ibid.

3 Iren. c. Hæres. III, 1, § 108.

4 Synopsis script. in Athanas. 76, t. II, p. 202 F (édit. des Bénéd.): Τὸ δὲ κατὰ Ἰωάννην Εὐαγγέλιον ὑπηγορεύθη τε ὑπ' αὐτοῦ τοῦ ἁγίου Ἰωάννου τοῦ ἀποστόλου καὶ ἠγαπημένου, ὄντος ἐξορίστου ἐν Πάτμῳ τῇ νήσῳ, καὶ ὑπὸ τοῦ αὐτοῦ ἐξεδόθη ἐν Ἐφέσῳ διὰ Γαΐου τοῦ ἀγαπητοῦ καὶ ξενοδόχου τῶν ἀποστόλων, περὶ οὗ καὶ Παῦλος Ῥωμαίοις γράφων φησί· ἀσπάζεται ὑμᾶς Γάϊος... Voy. Hug, ibid.

n'a plus son ancienne charité '. Elle est toute pleine de la pensée qui domine son Évangile, et semble le nommer, autant qu'il est possible, en faisant allusion aux mots qui le commencent: Quod fuit ab initio (In principio erat Verbum) annuntiamus vobis 2. L'Épître atteste donc l'Évangile. Cela ne prouverait encore qu'une chose, c'est que les deux écrits, comme nous l'avons induit d'une comparaison plus intime, ont le même auteur. Mais l'auteur est nommé à la fin de l'Évangile, quand après le passage qui le regarde (xx1, 20-23), il est dit : « C'est le disciple qui en a rendu témoignage et qui a écrit ces choses, et nous savons que son témoignage est vrai . » Ce verset et le suivant ne sont évidemment pas de saint Jean : ce n'est pas ainsi que l'Apôtre parle de soi. C'est une attestation mise au bas de l'Évangile par ceux qu'il avait chargés de le publier; et elle a toujours fait corps avec le livre même : car on la trouve nonseulement dans tous les manuscrits, mais dans toutes les traductions. On peut donc croire qu'elle date de la publication même de l'Évangile'. Et saint Jean, à son tour, paraît y faire allusion, lorsque, dans sa troisième Épître adressée, vers la fin de son exil, à ce Gaïus, particulièrement désigné par la Synopse comme ayant publié son Évangile, il rappelle textuellement les termes dans lesquels elle est conçue: « Et tu sais que notre té

'Apocal. 11, 4 et 5; cf. I Joan. 11, 18 et 26, et toutes les recommandations sur la charité: 11, 7 et suiv.; III, 3, 9 et suiv. Voy. Hug, II, 2 Voy. Hug, II, 68.

69.

3 Hic est ille discipulus qui testimonium perhibet de his, et scripsit hæc et scimus quia verum est testimonium ejus. (Joan. xx1, 24.)

Ainsi, dans l'Épître aux Romains, XVI, 22, on trouve, parmi les salutations de saint Paul, une salutation de son secrétaire Tertius. Voy. Hug, II, 75; Norton, note A, § 9, p. xcv. Grotius (Adn. ad h. l.) la rapporte à l'Église d'Éphèse.

moignage est vrai, » Et nosti quoniam testimonium nostrum verum est (III Joan. 12).

Cette induction, superflue d'ailleurs pour établir l'authenticité de l'Évangile de saint Jean, peut servir au moins à en marquer la date. Saint Jean, selon la tradition, fut envoyé en exil par Domitien, dans les derniers temps de ce prince (95-96). Nerva, qui lui succéda et ne régna que deux ans, montra dès le commencement des dispositions à la tolérance: c'est probablement dès la première année de ce règne, que l'Apôtre, écrivant à Electa et à Gaïus, exprime l'espérance d'une prochaine libération'. Ainsi, son Évangile aura pu être publié dans la dernière année du règne de Domitien 2. C'est le dernier fruit de sa longue prédication. Mais parmi les formes qui peuvent révéler son grand âge, il y a toujours comme un rayonnement de cette éternelle jeunesse qui illumine la figure de saint Jean, dans la tradition constante de l'art chrétien, et qui a son foyer dans l'âme du disciple bien-aimé, aux sources les plus pures de l'amour.

II Joan. 12; III Joan. 14.

Ou la première de Nerva, selon Hug, II, 23..

CHAPITRE VI.

INTÉGRITÉ DU TEXTE DES ÉVANGILES.

Nous avons montré comme les divers livres du Nouveau Testament se lient entre eux et se soutiennent. Si quelqu'un d'eux n'avait pas sa preuve en lui-même, il la trouverait dans les autres : car les Épîtres de saint Paul, qu'on ne conteste pas, prouvent, on l'a vu, l'authenticité des Actes; les Actes, celle de l'Évangile de saint Luc; l'Évangile de saint Luc, celle des deux premiers Évangiles; et le quatrième, celui de saint Jean qui se démontre si bien par soi-même, reçoit un complément de preuves de sa comparaison avec les trois premiers. Mais ces preuves s'appliquent - elles aux Évangiles tels que nous les avons? Les témoignages démontrent seulement qu'il y avait, dès le n° siècle, quatre Évangiles semblables aux nôtres ; et l'on pourrait prétendre que les raisons tirées de l'examen et de la comparaison de nos Évangiles, ne prouvent que pour les passages particulièrement allégués. Nous voulons établir qu'elles prouvent pour le tout, et que nos textes sont intégralement aujourd'hui ce qu'ils étaient à l'origine.

C'est ici la dernière épreuve que l'authenticité de nos Evangiles doit subir, et elle est capitale car à quoi servirait-il d'avoir établi que saint Matthieu, saint Marc,

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