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que Ptolémée Philadelphe, irrité de ses sanglantes satires, fit précipiter dans la mer.

Les vers rétrogrades en grec ne sont pas très-communs. Les plus connus sont les vingt-sept vers de l'empereur d'Orient Léon VI, publiés dans les Excerpta d'Allatius 1641, in-8°.

Les vers de ce genre en latin sont au contraire fort nombreux. L'un des plus célèbres est le suivant, qui, retourné, forme un distique relatif aux sacrifices d'Abel

et de Caïn:

ABEL dit: Sacrum pingue dabo, non macrum sacrificabo. CAÏN répond: Sacrificabo macrum, non dabo pingue sacrum. On l'attribue à Politien, et il se trouvait, d'après le Museum italicum de Mabillon, dans un tableau qui représentait Abel et Caïn, et se voyait au premier cloître de Notre-Dame-la-Nouvelle, à Florence.

Parmi les vers rétrogrades à double sens, nous citerons encore celui-ci, qui, sous sa première forme,

Patrum dicta probo, nec sacris belligerabo,

est mis dans la bouche d'un catholique, tandis qu'il peut être répété ainsi par un protestant.

Belligerabo sacris, nec probo dicta patrum.

Le vers suivant a cela de singulier que toutes les lettres prises à rebours en forment la répétition exacte.

Arca, serenum me gere regem munere sacra.

Le Milanais Lanzinus Curtius, mort en 1511, et l'Allemand J.-H. Risius, ont excellé dans les vers rétrogrades latins.

<«< Frère Jacques Percher, dit Étienne Tabourot dans les Bigarrures et Touches du seigneur Des Accords, avait fait peindre sa chapelle à Saint-Bénigne de Dijon dedans laquelle était cet ingénieux octastique, contenu dans un

grand rouleau que tenaient un ange et un diable. Et était écrit du côté de l'ange:

Lis à l'endroit : Sauvé seras.

" Et du côté du diable,

Lis à l'envers: Damné seras.

Delicias fuge, ne frangaris crimine, verum
Coelica tu quæras, ne male dispereas.
Respicias tua, non cujusvis quærito gesta

Carpere, sed laudes, nec preme veridicos.

Judicio fore te præsentem conspice toto

Tempore, nec Christum, te rogo, despicias:
Salvificum pete, nec secteris dæmonia; Christum
Dilige, nequaquam tu mala concupito.

« A l'envers le sens est ainsi contraire:

Concupito mala tu, nequaquam dilige Christum,
Dæmonia secteris, nec pete salvificum;
Despicias, rogo te, Christum, nec tempore toto
Conspice præsentem te tore judicio:
Veridicos preme, nec laudes, sed carpere gesta
Quærito cujusvis, non tua respicias.
Dispereas male, nec quæras tu cœlica: verum
Crimine frangaris, ne fuge delicias. >>

Les vers rétrogrades en français sont très-rares, et, il faut le reconnaître, très-difficiles à faire. Nous ne connaissons guère que la chanson de Baudoin de Condé, l'un des poëtes les plus estimés du treizième siècle. Chaque strophe est de trois vers qui, retournés, forment une nouvelle strophe. Les derniers vers de chaque strophe riment ensemble.

Amours est vie glorieuse,
Tenir fait ordre gracieuse,

Maintenir veult courtoises mours (mœurs).
Mours courtoises veult maintenir,

Gracieuse ordre fait tenir;

Glorieuse vie est amours.

On trouve encore dans les poésies de Jean Meschinot, dit le Banni de Liesse, mort en 1509, deux huitains assez singuliers. En tête du premier, on lit: Les huit vers ci-dessus se peuvent lire et retourner en trente-huit manières. Le second est précédé de l'observation suivante : Cette oraison se peut dire par huit ou par seize vers, tant en rétrogradant qu'autrement, tellement qu'elle se peut dire en trente-deux manières différentes; et à chacune y aura sens et rime, et commencer toujours par mots différents qui veut.

Les vers rétrogrades ont été aussi appelés cancrins, par allusion à la manière dont on a cru longtemps que marchait l'écrevisse, en latin cancer.

DES VERS LETTRISÉS

On appelle ainsi les vers dont les mots commencent par la même lettre. Les vers d'Ennius:

O, Tite. tute, Tati, tibi tanta tyranne tulisti.
At, tuba terribili sonitu tarantara dixit.

sont des vers lettrisés.

On a un très-grand nombre de poëmes latins en vers lettrisés. Le plus ancien est celui que Hugbalde, moine de Saint-Amand, mort en 930, composa en l'honneur des chauves pour faire sa cour à Charles le Chauve auquel il le dédia. Il est intitulé: De Laude calvorum, et renferme cent trente-six vers qui commencent tous par la lettre C. Il a été souvent réimprimé. L'une des premières éditions est de Bâle, 1516, in-4°.

Le plus célèbre des poëmes de ce genre est le Pugna porcorum (1530, in-8°) de Leo Placentius.

mots commencent par un P.

En voici quelques vers:

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Plaudite, porcelli; porcorum pigra propago
Progreditur, plures porci pinguedine pleni
Pugnautes pergunt. Pecudum pars prodigiosa,
Perturbat pede petrosas plerumque plateas;
Pars portentose populorum prata profanat.

Tous les

Nous mentionnerons encore le Canum cum cattis certamen, de Henri Hardef; le Certamen catholicorum cum calvinistis, Munich, 1607, in 4°, poëme de neuf cents vers, de Martin Hamconius; le de Venatione, carmen heroicum, de N. Mameranus; le Christus crucifixus, de Christienus Pierius, poëme de plus de douze cents vers (1576, in-8°). La lettre C est la lettre initiale de tous les mots de ces poëmes.

Robert Langelande, poëte anglais contemporain de Chaucer, a composé, en vers non rimés, les Visions de Pierre Plowman, poëme achevé en 1369, et où les mots de chaque vers commencent par la même lettre. On prétend que Langelande avait en cela imité les poëtes

saxons.

Les seuls vers de ce genre que nous connaissions en français ont été composés par Tabourot; mais ils sont si mauvais, que nous n'avons pas le courage de les citer. Il existe aussi en prose plusieurs ouvrages lettrisés, comme le Carmelus triumphans (1688, in-8°) de G. Héris, carme liégeois. C'est un panégyrique des saints de Tordre des Carmes. Tous les mots du chapitre consacré à un saint commencent par la lettre initiale du nom de ce personnage.

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DES VERS LIPOGRAMMATIQUES

On désigne sous le nom de lipogrammatiques (du grec leipo, je laisse, et gramma, lettre) les vers où l'on a omis à dessein une lettre de l'alphabet. - Le plus ancien auteur qui en ait composé est le poëte grec Lasus, qui vivait vers 550 avant J.-C. Élien et Athénée nous ont conservé quelques vers de son Hymne à Cérès et de son ode des Centaures, où manque la lettre S. Après lui, Pindare composa, au dire d'Athénée, une ode où manquait la même lettre.

Cet exemple ne pouvait manquer d'être suivi par les poëtes grecs de l'époque de décadence. Nestor, qui vivait sous l'empereur Sévère, avait composé une Iliade, dont les vingt-quatre chants étaient privés tour à tour d'une des vingt-quatre lettres de l'alphabet. Ainsi le premier chant manquait d'alpha, le second de béta, et ainsi de suite; l'auteur, comme on l'a dit, faisant voir à chacune des lettres, qu'il pouvait fort bien se passer d'elle. - Ce fut à son imitation que Tryphiodore, qui vivait vers le cinquième siècle de notre ère, fiten vingt-quatre chants une Odyssée lipogrammatique, qui a inspiré une boutade assez spirituelle au Spectateur (discours XLVI).

« Ce devait être, dit-il, quelque chose de fort plaisant, de voir ce poëte éviter la lettre excommuniée, avec autant de soin qu'un autre en aurait mis à observer la quantité, et s'échapper à la faveur de tous les dialectes grecs, Jorsque cette malheureuse lettre se trouvait dans quelque syllabe particulière. Il n'y avait point de remède. Il fallait bannir, comme on rejette un diamant taché, l'expression la plus juste et la plus élégante si la lettre proscrite

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