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fermions d'abord dans une seule de ses branches, au sujet de laquelle le principe ici établi est reconnu, sinon entièrement, du moins jusqu'à un certain point, par les opinions courantes. Cette branche est la liberté de penser, dont il est impossible de séparer la liberté analogue de parler et d'écrire. Quoique ces libertés forment une partie importante de la moralité politique de tous les pays qui professent la tolérance religieuse et les institutions libres, cependant les principes et philosophiques et pratiques sur lesquels elles reposent, ne sont peut-être pas aussi familiers à l'esprit public, ni aussi complétement appréciés par les chefs de l'opinion euxmêmes qu'on pourrait s'y attendre. Ces principes, sainement compris, sont applicables à bien plus qu'une division du sujet, et un examen approfondi de cette partie de la question sera, je le crois, la meilleure introduction au reste. C'est pourquoi ceux qui ne trouveront rien de nouveau dans ce que je vais dire, voudront bien, je l'espère, m'excuser si je m'aventure à discuter une fois de plus un sujet qui a été débattu si souvent depuis trois siècles.

CHAPITRE II

De la liberté de pensée et de discussion

Il faut espérer que le temps est passé, où il aurait été nécessaire de défendre la liberté de la presse, comme une sécurité contre un gouvernement corrompu et tyrannique. Il n'est pas besoin aujourd'hui, je suppose, de pousser les hommes à la révolte contre tout pouvoir, législatif ou éxécutif, dont les intérêts ne seraient pas identifiés avec ceux du peuple, et qui prétendrait lui prescrire des opinions et déterminer quelles doctrines ou quels arguments il lui sera permis d'entendre.

D'ailleurs, cet aspect de la question a été déjà si souvent exposé, et d'une façon si triomphante, qu'il n'est pas nécessaire ici d'insister spécialement làdessus. Quoique la loi anglaise au sujet de la presse, soit aussi servile aujourd'hui qu'elle l'était au temps des Tudors, il y a peu de danger qu'on s'en serve

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actuellement contre la discussion politique, excepté pendant quelque panique temporaire, quand la crainte de l'insurrection tire les ministres et les juges hors de leur état normal (1). Généralement parlant, il n'est pas à craindre, dans un pays constitutionnel, que le gouvernement (qu'il soit ou non complétement responsable envers le peuple) essaye souvent de contrôler l'expression de l'opinion, excepté lorsque, en agissant ainsi, il se fait l'organe de l'intolérance générale du public.

Supposons donc que le gouvernement ne fait qu'un avec le peuple, et ne songe jamais à exercer aucun pouvoir de coercition, à moins que ce ne soit d'accord avec ce qu'il regarde comme la voix du peuple. Mais je refuse au peuple le droit d'exercer une telle coercition, soit de lui-même, soit par son gouvernement: ce pouvoir de coercition est illégitime. Le meilleur gouvernement n'y a pas plus de droit que le pire:

(1) Ces mots étaient à peine écrits, lorsque, comme pour leur donner un démenti solennel, survinrent les poursuites du gouvernement contre la presse en 1858. Cette intervention d'un mauvais esprit dans la liberté de la discussion publique, ne m'a pas entraîné à changer un seul mot du texte; elle n'a pas davantage affaibli ma conviction que, les moments de panique exceptés, l'ère des pénalités pour la discussion politique était passé dans notre pays. Car d'abord on ne persista pas dans les pour. suites, et secondement ce ne furent jamais à proprement parler des poursuites politiques. L'offense reprochée n'était pas d'avoir critiqué les institutions, ou les actes, ou les personnes des gouvernants, mais bien d'avoir propagé une doctrine estimée immorale, la légitimité du tyrannicide.

un tel pouvoir est aussi nuisible, ou encore plus nuisible, lorsqu'on l'exerce d'accord avec l'opinion publique, que lorsqu'on l'exerce en opposition avec elle. Si toute l'espèce humaine, moins une personne, était d'un avis et qu'une personne seulement fût de l'avis contraire, l'espèce humaine ne serait pas plus justifiable en imposant silence à cette personne, qu'elle ne serait justifiable en imposant silence à l'espèce humaine, si elle le pouvait. Si une opinion était une possession personnelle, n'ayant de valeur que pour le possesseur, si d'être troublé dans la jouissance de cette possession, était simplement un dommage personnel, cela ferait quelque différence que le dommage fût infligé à peu de personnes ou à beaucoup. Mais ce qu'il y a de particulièrement mal à imposer silence à l'expression d'une opinion, c'est. que c'est voler l'espèce humaine, la postérité aussi bien que la génération existante, ceux qui s'écartent de cette opinion encore plus que ceux qui la soutiennent. Si cette opinion est juste, on les prive d'une chance de quitter l'erreur pour la vérité; si elle est fausse, ils perdent ce qui est un bienfait presqu'aussi grand; la perception plus claire et l'impression plus vive de la vérité, produite par sa collision avec l'erreur.

Il est nécessaire de considérer séparément ces hypothèses, à chacune desquelles correspond une branche distincte de l'argument. Nous ne pouvons jamais être sûrs que l'opinion que nous cherchons

à étouffer est fausse, et en fussions-nous sûrs, l'étouffer serait encore un mal.

1° L'opinion qu'on cherche à supprimer par l'autorité peut très-bien être vraie : ceux qui désirent la . supprimer contestent naturellement sa vérité, mais ils ne sont pas infaillibles. Ils n'ont pas le pouvoir de décider la question pour tout le genre humain, et de refuser à d'autres qu'eux les moyens de juger. Ne point laisser connaître une opinion parce qu'on est sûr de sa fausseté, c'est affirmer qu'on possède la certitude absolue. Toutes les fois qu'on étouffe une discussion, on affirme par là même sa propre infaillibilité: on peut laisser la condamnation de ce procédé reposer sur cet argument.

Malheureusement pour le bon sens des hommes, le fait de leur faillibilité est loin d'avoir dans leur jugement pratique, l'importance qu'ils lui accordent en théorie. En effet, tandis que chacun d'eux sait très-bien qu'il est faillible, un petit nombre d'hommes seulement trouvent nécessaire de prendre des précautions là contre, ou d'admettre la supposition qu'une opinion dont ils se sentent certains, peut être un des exemples de l'erreur à laquelle ils se reconnaissent sujets.

Les princes absolus, ou d'autres personnes accoutumées à une déférence illimitée, ressentent ordinairement cette entière confiance dans leurs propres opinions sur presque tous les sujets. Les hommes

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