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de la nation; Et non tota gens pereat (1); sur cela, ils sacrifient Jésus-Christ à une chimère d'intérêt public. Mais ce sang, qu'ils ont répandu, est sur eux et sur leurs enfans, selon leur parole: il les poursuit, il les accable, [ comme Jésus-Christ le leur avoit annoncé ]: Ut veniat super vos omnis sanguis justus, qui effusus est super terram (2) : ils mettent le comble au crime et à la vengeance [par] le dernier trait [de leur jugement ]. Ainsi en jugeant Jésus-Christ, tout le monde s'est trompé. Il s'est laissé juger, et l'extravagance de ce jugement eriminel et insensé a fait paroître que le monde ne sait pas juger. Jésus s'est mis au-dessus de tous les jugemens humains, regardé comme un homme, non encore comme Fils de Dieu; et c'est ce qui lui donne une autorité suprême au-dessus de tous les jugemens du monde.

Il ne juge pas avec une apparence d'autorité; il le fera un jour de cette sorte, lorsqu'il descendra dans la nue: il juge en se laissant condamner, et il remporte la victoire pendant qu'on le juge, ainsi qu'il est écrit au Psaume cinquantième : Ut vincas cùm judicaris (3) : « afin que vous demeuriez victo»rieux, lorsqu'on jugera de votre conduite ». C'est ce qui autorise son Evangile; c'est ce qui met la perfection à son innocence, à sa sainteté, à sa justice. Platon ne vous étonnez pas si je cite ce philosophe en cette chaire; le passage que j'ai à vous rapporter, a été tant de fois cité par les chrétiens, qu'il a cessé d'être profane en passant si souvent par des mains saintes: Platon dit que le comble de la ma

(Joan. xi. 50. — (2) Matth. xx. 35. - (3) Ps. L. 6.

lice, c'est de la couvrir si artificieusement qu'elle paroisse être juste (1). Ainsi la perfection de la sainteté, c'est d'être juste, sans se soucier de le paroître, sans ménager la faveur des hommes; et au contraire en reprenant tellement les vices, qu'on se fasse maltraiter et crucifier comme un criminel: fondemens cachés de la vérité future jetés dans les ténèbres du paganisme. C'est ce qui autorise Jésus-Christ, qu'il ne dit rien pour ménager la faveur des hommes. Les pharisiens le flattent; il n'en foudroie pas moins leur orgueil; et ne relâche pas, pour leurs flatteries, sa juste et nécessaire sévérité : ils le fatiguent, ils l'importunent, ils le persécutent; sa douceur ne s'en aigrit pas « Race infidèle et maudite, amenez ici » votre fils (2)»: ils le crucifient; il prie pour eux, et sa vérité subsiste au-dessus de tant de bizarres jugemens des hommes.

:

Aussi paroît-il en juge; il brave la majesté des faisceaux romains par l'invincible fermeté de son silence: le titre de sa royauté est écrit au haut de sa croix; parce qu'il règne sur tout le monde par ce bois infâme, et que ce qui est folie aux gentils, devient la sagesse de Dieu pour les fidèles pendant que le monde le condamne, il ne laisse pas d'avoir ses enfans qui le reconnoissent; la sagesse est justifiée par ses enfans. Mais il choisit un autre peuple: il étend ses bras dans la croix, « et il attire tout à lui » : Omnia traham ad meipsum (3). « Il mesure le monde, » dit Lactance (4), et il appelle un nombre infini de

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(1) De Republ. l. 11. — (a) Matth. xvII, 16. (4) Divin. Institut. lib. IV, c. xxvi, tom. 1, p. 344.

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>> nations qui viendront se reposer sous ses ailes » : ainsi il juge les Juifs, et se choisit un autre peuple.

« Il est prêché aux uns, dit saint Hilaire, et d'au» tres le reconnoissent; il naît pour ceux-ci, et il » est aimé de ceux-là; les siens le rejettent, et des » étrangers le reçoivent; ceux de sa propre maison » le persécutent, ses ennemis l'accueillent avec ten» dresse; les adoptifs demandent l'héritage, ceux de » sa famille le méprisent; les enfans répudient le » testament, les serviteurs le reconnoissent. Ainsi » le royaume des cieux souffre violence, et ceux qui » la font, l'emportent; parce que la gloire due à » Israël à cause de ses pères, annoncée par les pro» phètes, offerte par Jésus-Christ, est saisie et en» levée par la foi des nations » : Aliis Christus prædicatur, et ab aliis agnoscitur; aliis nascitur, et ab aliis diligitur; sui eum respuunt, alieni suscipiunt; proprii insectantur, complectuntur inimici; hæreditatem adoptio expetit, familia rejicit; testamentum filii repudiant, servi recognoscunt. Itaque vim regnum cœlorum patitur, inferentesque diripiunt ; quia gloria Israel à patribus debita, à prophetis nuntiata, à Christo oblata, fide gentium occupatur et rapitur (1). Ainsi pendant que le peuple juif le juge et le condamne, il se choisit un peuple qui se soumet à ses lois, et qui consent au jugement souverain qu'il prononce du haut de sa croix, non-seulement contre les Juifs, mais encore contre le monde : Nunc judi

cium est mundi.

(1) Comment. in Matt. n. 7, col. 664.

SECOND

SECOND POINT.

POUR apprendre maintenant ce que Jésus a condamné dans le monde, considérez seulement ce qu'il a rejeté. [Que pouvoit-il manquer à celui qui possède] une puissance infinie, une sagesse infinie? Ce qu'il n'a pas eu, c'est par choix ; « il a jugé la gloire >> du monde indigne de lui et des siens » : Gloriam sæculi alienam et sibi et suis judicavit. « Il l'a rejetée, » parce qu'il la méprisoit; en la rejetant, il l'a con» damnée; en la condamnant, il l'a comptée parmi » les pompes du diable » Quam noluit, rejecit; quam rejecit, damnavit; quam damnavit, in pompa diaboli deputavit (1). « N'aimez pas, dit saint Augus»tin (2), les choses temporelles; parce que si l'on >> pouvoit les aimer bien, cet homme, que le Fils de » Dieu s'est uni, les aimeroit. Ne craignez pas les » outrages, les croix, la mort; parce que s'ils nui» soient à l'homme, cet homme, que le Fils de Dieu » s'est uni, ne les souffriroit pas » : Nolite amare temporalia; quia si bene amarentur, amaret ea homo quem suscepit Filius Dei. Nolite timere contumelias, et cruces, et mortem; quia si nocerent homini, non ea pateretur homo quem suscepit Filius Dei.

La beauté, la santé, la vie, si c'étoient des biens, seroit-il permis aux hommes furieux [d'en priver leurs semblables]? mais seroit-il permis aux démons de les ravir au Sauveur? Retranchez donc l'amour de la vie [de vos désirs, comme ne faisant point partie du bien véritable. ] Non est species ei neque

(1) Tertull. de Idololat. n. 18. (2) De Agon. Christ cap. x1, n. 12, tom. VI, col. 251,

BossUET. XIII.

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decor (1) : « Il est sans beauté et sans éclat » ; et vous voulez forcer la nature; et rappeler en quelque [sorte] la jeunesse fugitive [par ces] cheveux contrefaits, ces couleurs appliquées.

La puissance, c'est ce qu'on demande ; l'élévation, [c'est ce qu'on souhaite ]; et pour cela les richesses, principaux instrumens de la puissance et de la grandeur. Jésus [veut] si peu de puissance, qu'il se soumet volontairement à la puissance des ténèbres. Pilate a puissance sur lui, et il l'a reçue d'en-haut; pour vous faire voir qu'encore que la puissance soit un présent de Dieu, ce n'est ni des principaux, ni des plus grands; puisqu'il le donne à un ennemi contre son propre Fils. Combien devoit craindre Pilate sa propre puissance? combien les marques de son autorité devoient-elles le faire trembler, s'il eût pu ouvrir les yeux pour voir où l'engageroit le désir de conserver sa puissance? Pendant que Pilate et Caïphe, et tous les ennemis de Jésus, et les démons mêmes sont si puissans contre lui, il s'est dépouillé de tout son pouvoir: Tradebat autem judicanti se injustè (2): « il s'est livré à celui qui le jugeoit injus» tement » ; sans résister, je ne dis point par des effets, mais par des paroles. Cherchez après cela la puissance, cherchez les richesses, cherchez les plaisirs; mais démentez donc le Sauveur, qui nous a fait voir par sa croix, en s'en dépouillant, que ces choses ne sont pas des biens véritables.

La faveur des hommes : au contraire une haine implacable et envenimée. Si ses ennemis déclarés, si ses envieux lui eussent rendu le mal pour le mal,

(1) IS. LII. 2. (2) I. Petr. 11. 23.

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