CHAPITRE XIII. MAISONS D'Aveugles. « Qu'il est glorieux pour la France, si féconde en établissemens utiles, d'avoir donné la première, l'impulsion à ce nouveau genre de bienfaisance, et de voir les autres nations s'empresser d'accueillir et de naturaliser chez elles ces institutions! » (Essai sur l'instruction des aveugles, par le docteur GUILLIÉ.) SAINT-LOUIS est le fondateur du premier asile qui ait été créé en France et en Europe en faveur des aveugles pauvres et abandonnés aux soins de la pitié publique. L'institution des Quinze-Vingts eut pour objet principal les croisés qui avaient perdu la vue dans les sables brûlans de l'Afrique ou par la barbarie des Musulmans; mais elle recueillit en même temps d'autres infortunés privés de la lumière, et devint, peu d'années après, un hospice d'aveugles pris dans la classe de tous les pauvres et placés sous la direction de la grande-aumônerie de France. Depuis long-temps des personnes pieuses et des savans distingués avaient conçu la pensée de donner aux aveugles une institution qui pût suppléer à la privation de l'organe de la vue; beaucoup d'essais avaient été tentés, et, bien qu'infructueux, ils avaient donné des idées utiles; mais il fallait tout le zèle et tout le dévouement d'un homme ardent et passionné, pour entreprendre de réunir des élémens épars, de les coordonner et d'y ajouter les résultats d'une expérience suivie. L'homme qui se dévoua à cette œuvre si honorable pour l'humanité et la science fut M. Valentin Hauy (1), frère de l'abbé Hauy, physicien et minéralogiste célèbre. On lui doit l'idée de la première école établie en Europe pour l'instruction des aveugles-nés, qui fut placée, en 1784, dans une maison spéciale, aux frais de la Société philantropique. M. Hauy en devint le directeur. On compte parmi les bienfaiteurs de l'institution MM. Bailly, maire de Paris, le duc de Larochefoucauld - Liancourt, mesdames de Planoy, Dumesnil, Desfaucheret, la baronne de Staël, etc. En 1785, le nombre d'élèves entretenus gratuitement était de 25. Leur instruction fut assez avancée l'année suivante pour qu'ils pussent être admis à l'honneur de faire un exercice, à Versailles, devant le roi Louis XVI, qui accordait un touchant intérêt à cette entreprise charitable. L'institution se soutint, à travers beaucoup d'obstacles, jusqu'en 1791. A cette époque, Louis XVI ordonna qu'elle serait entretenue aux frais de l'état et placée, avec celle des sourds-muets, dans l'ancien couvent des Célestins, près l'Arsenal. Par une loi rendue le 10 thermidor an 5, l'institution des aveugles-travailleurs fut séparée de celle des sourdsmuets et transportée dans la maison des Filles-SainteCatherine, rue des Lombards. Le nombre des élèves fut fixé à un par département, et le taux de la pension à 500 fr. Le 26 pluviôse an 9, un arrêté des consuls ordonna que les aveugles-travailleurs seraient sur-le-champ transférés dans l'enclos des Quinze-Vingts, et la gestion de (1) M. Valentin Hauy a été depuis directeur de la Société des théophilantropes, instituée par Réveillière-Lépaux. l'établissement confiée à l'administration des hospices. C'est par l'effet de cette mesure que, dans le public, on a confondu long-temps les jeunes aveugles de la deuxième classe avec les pauvres aveugles, entretenus dans l'hospice des Quinze-Vingts, quoiqu'il n'existât entre eux d'autres rapports que l'identité d'infirmités. Le premier de ces établis semens était un simple hospice où les aveugles pouvaient être admis à toutes les époques de la vie, sans être nés aveugles, et où chaque individu vivait privément, tandis que l'autre était un véritable collége consacré à l'instruction de sujets nés aveugles, qu'on entretenait pendant un temps limité, vivant en commun, soumis à des réglemens généraux, et auxquels on enseignait à gagner leur vie par le travail, lorsqu'après un séjour de huit années dans l'institution ils seraient rendus à la société. Le 8 février 1815, le roi Louis XVIII ordonna que l'hôpital des Quinze-Vingts serait replacé sous la direction de la grande-aumônerie, et que l'institution des aveuglesnés, séparée de cet hôpital et conservée dans les attributions du ministère de l'intérieur, fût régie et gouvernée par une administration spéciale (1). Cette institution se trouve aujourd'hui placée dans l'ancien séminaire de Saint-Firmin, rue Saint-Victor. Les aveugles apprennent à lire, à écrire, la géographie, l'étude des langues, les mathématiques, la musique vocale, différens jeux et toutes sortes de travaux de tricot, filature, tisseranderie, corderie, vannerie, etc. On ne peut donner à cette touchante fondation le juste tribut d'admiration qu'elle mérite, sans payer un hommage de reconnaissance aux personnes qui en ont conçu la pensée, à ceux qui lui ont prodigué leurs soins généreux et aux augustes monarques qui l'ont assise sur des bases. (1) En 1829, les membres de cette administration étaient MM. le comte Alexis de Noailles, Lafond de Ladébat, Cochin, Delvincourt et. D'Haranguier de Quincerot. toutes royales. Cet hommage remonte aussi au saint roi, père des Bourbons, auquel est dû, sans doute, par la création de l'hôpital des Quinze-Vingts, l'idée première des perfectionnemens que le temps et les lumières ont successivement apportée dans les secours accordés aux aveugles. La charité chrétienne est féconde en bienfaits de ce genre: de nouveau nous félicitons la France d'en avoir donné l'exemple au reste de l'Europe. Il reste à désirer que le nombre des places gratuites accordées à l'institution royale puisse être plus étendu, et que de semblables établissemens se forment dans nos principales villes de province de manière à satisfaire à la généralité des besoins. En France, la proportion du nombre des aveugles à la population est de 1 sur 1,050, ce qui donnerait environ 30,450 aveugles. Sur ce nombre on suppose qu'il doit exister en France environ 2,000 à 2,500 jeunes aveugles nés susceptibles de recevoir l'instruction. C'est à l'imitation de l'institution de Paris que l'impératrice de Russie, mère de l'empereur Nicolas, fonda, en 1806, à Pétersbourg, un hospice pour les aveugles de ses vastes états. M. Hauy avait été appelé auprès d'elle pour présider à cette création. Il s'y rendit accompagné de M. Fournier, l'un de ses meilleurs élèves. De Saint-Pétersbourg il vint à Berlin; après avoir élevé dans ces deux capitales deux institutions semblables à celle qu'il avait déjà créée en France, il retourna à Paris, où il mourut. L'archiduc Jean d'Autriche, dans le voyage qu'il fit à Paris, en 1814, prit lui-même des notes pour établir à Vienne une semblable institution. Un riche particulier, aussi charitable que désintéressé (M. Kalina de Jallenstein) a fondé, à ses frais, une école d'aveugles à Prague, et l'a formée sur le modèle de celle de Paris. Il existe une semblable institution à Dresde. A Amsterdam, un établissement a été aussi fondé pour l'instruction des jeunes aveugles, et l'on en est redevable à une société de bienfaisance. Les souscriptions annuelles couvrent à peu près les dépenses. L'établissement ne comptait que 50 à 40 élèves des deux sexes; mais, afin d'en pouvoir augmenter le nombre, il fut transféré dans un local plus spacieux. On assure que cet établissement a dégénéré aujourd'hui, et ne peut plus être regardé que comme une maison de charité. Il en est de même de l'institution fondée à Madrid. L'institution royale des aveugles, créée à Naples, est dans une situation prospère. Les aveugles placés dans les hospices de Londres, de Liverpool et d'Edimbourg ont commencé, depuis peu, à recevoir les bienfaits de l'instruction. Trois écoles d'aveugles viennent d'être récemment établies aux Etats-Unis (à Boston, à New-Yorck et à Philadelphie ). |