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dresse et la mort lui cause plus de douleurs qu'elle n'avait trouvé de charmes dans l'amour. C'est pourquoi elle repousse une nouvelle union; elle reste fidèle à la pudeur qu'elle avait vouée à l'époux de son choix; c'est pour lui qu'elle réserve son amour, c'est pour lui qu'elle garde le nom d'épouse. Apprenez, ô femmes ! quelle est la dignité du veuvage, puisqu'on la célèbre même chez les oi

seaux.

La chouette elle-même ne peut-elle pas servir à nous instruire? Ses yeux grands et glauques ne sont point offensés par l'épaisseur des ténèbres; et plus la nuit est obscure, plus aussi, à l'encontre des autres oiseaux, la chouette vole en sûreté; mais quand le jour paraît et que le soleil verse partout ses abondants rayons, ses regards sont hébétés; elle erre comme au milieu de l'obscurité. Elle est ainsi le vivant symbole de ces hommes qui ne voient pas, bien qu'ils aient des yeux pour voir, et qui ne se servent de leur vue que dans les ténèbres. Je parle des yeux du cœur, qui sont donnés aux sages du monde, et dont ils ne se servent pas pour voir; en pleine lumière ils n'aperçoivent rien; ils marchent au milieu de la nuit, occupés à scruter les mystères des démons, croyant pénétrer dans les profondeurs des cieux, mesurant le monde avec un compas, cherchant à mesurer l'air luimême : et cependant ils dévient de la foi, et s'enveloppent dans les obscurités d'un perpétuel aveuglement, tandis qu'ils ont près d'eux les clartés du Christ et la lumière de l'Église; ils ne voient rien et ils ouvrent la bouche comme s'ils savaient tout, pénétrants pour les choses vaines, sans ouverture pour les choses éternelles; et les détours sinueux d'une discussion sans fin découvrent tout le vide de leur ignorance. Aussi, tandis qu'ils cherchent à s'envoler sur les ailes de leurs subtils discours, semblables à des chouettes, ils s'évanouissent à la lumière.

Enfin considérons le phénix.

On dit que c'est dans les contrées de l'Arabie que se rencontre cet oiseau et qu'il vit jusqu'à l'âge de cinq cents ans. Lorsqu'il sent la fin de sa vie approcher, il se compose une espèce d'étui avec de l'encens, de la myrrhe et d'autres parfums, où, le terme de son existence arrive, il se retire et meurt. De la dissolution de ses chairs naît un ver, qui grandit peu à peu, avec le temps prend des ailes, et offre bientôt l'aspect et la forme de l'oiseau qui n'était plus. Que le phénix nous enseigne donc par son exemple à croire à la résurrection, lui qui sans instruction et sans raison, se prépare les moyens de ressusciter. Et, de vrai, ce sont les oiseaux qui sont faits pour l'homme et non pas l'homme qui est fait pour les oiseaux. Que cet exemple donc parle à nos âmes; car l'auteur et le créateur des oiseaux ne souffre pas que ses saints périssent à toujours, lui qui, ne souffrant pas que le phénix pérît, a voulu qu'il renaquît de ses cendres et trouvât en soimême de quoi se réparer. Or qui annonce à cet oiseau le jour de sa mort, pour qu'il se construise une espèce d'étui, le remplisse de bonnes odeurs, s'y retire, et meure là où des parfums suaves ne laissent plus sentir la puanteur de la mort?

Fais-toi un gîte à toi-même, ô homme; et, dépouillant le vieil homme avec ses actions, revêts l'homme nouveau. Ton étui, ton fourreau, c'est le Christ, qui te protégera et te défendra dans les jours mauvais. Veux-tu savoir qu'un fourreau est une protection? « Je l'ai protégé, estil dit, avec mon carquois. >> Ton fourreau, c'est la foi; remplis-le des bonnes odeurs de tes vertus, c'est-à-dire de la chasteté, de la miséricorde et de la justice; puis, entre tout entier dans ce sanctuaire de la foi, tout parfumé de la suave odeur de tes excellentes actions; que la fin de cette vie te trouve revêtu de cette foi, afin que tes os puissent être fertilisés, et deviennent comme un jardin humide, où les semences germent promptement. Agis de telle sorte que tu puisses dire au jour de ta mort ce que

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disait le bienheureux Paul : « J'ai combattu un bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai conservé ma foi; que me reste-t-il qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée ? »

(Saint Ambroise. Hexameron, Liv. V.)

VIII. DE LA FORMATION DE L'HOMME.

LACTANCE A DÉMÉTRIANUS, SON ÉLÈVE.

Vous pourrez connaître, mon cher Démétrianus, combien peu j'ai de repos, et même combien j'ai d'inquiétudes, si vous prenez la peine de lire ce petit livre, que j'ai écrit en termes fort simples, selon la médiocrité de mon esprit, pour vous faire voir l'amour que j'ai pour l'étude, et pour m'acquitter encore envers vous du devoir de précepteur, en vous enseignant une doctrine plus honnête et plus solide que celle que je vous enseignais autrefois. Que si dans ce temps-là, où je ne vous parlais que des belleslettres et des langues, vous ne laissiez pas de m'écouter avec beaucoup d'attention, combien devez-vous apporter maintenant plus d'application et plus de soin pour comprendre les vérités importantes que j'ai à vous dire ! Je vous proteste que, quelque dangereux que soit le temps où nous vivons et quelque mauvais que soit l'état de mes affaires, je ne laisserai pas de composer incessamment quelque chose qui puisse contribuer à l'instruction de ceux qui font profession de notre doctrine. Je sais bien. qu'ils sont devenus odieux et qu'ils sont persécutés par le peuple, comme des personnes qui déshonorent par le déréglement de leur vie le nom de sages qu'ils s'attribuent, et qui ne s'en servent que pour couvrir des vices qu'ils devraient reprendre dans les autres et éviter euxmêmes. Mais je ne refuserai aucun travail pour instruire et ceux de notre religion et les autres; et j'espère que, comme je n'oublierai rien de ce qui sera de mon devoir, vous n'omettrez rien non plus de ce qui sera du vôtre, et je le souhaite aussi de tout mon cœur. Car, bien que affaires publiques vous détournent de la contemplation de

les

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la vérité et de la pratique des bonnes œuvres, il ne se peut faire qu'une âme aussi belle et aussi pure que la vôtre ne reporte souvent ses pensées vers le ciel. Je me réjouis que vos desseins réussissent, et que vous ayez en abondance tout ce que le monde prend ordinairement pour des prospérités et pour des avantages, pourvu toutefois qu'une telle fortune ne change rien dans votre conscience ni dans vos mœurs. Je vous avoue que j'appréhende un peu que la douceur trompeuse qui naît de la jouissance des biens de la terre ne se glisse insensiblement dans votre cœur. C'est pourquoi je vous avertis, autant que je le puis, de prendre garde à ne les pas regarder comme de véritables biens, mais de tenir pour certain qu'ils sont d'autant plus trompeurs qu'ils sont plus fragiles, et d'autant plus dangereux qu'ils sont plus agréables. Vous savez combien notre ennemi a d'adresse et de force, et nous ne l'éprouvons que trop en ce temps-ci. Il se sert des attraits des créatures comme d'autant de filets déliés et imperceptibles. Il faut donc marcher avec une singulière prudence pour éviter les piéges qui nous sont dressés de toutes parts. C'est pourquoi je vous exhorte à employer tout ce que vous avez de vertu pour mépriser, ou au moins pour ne point trop estimer la prospérité dont vous jouissez. Souvenez-vous de votre véritable père, de la ville dont vous êtes citoyen, de la société où vous avez été reçu. Vous entendez bien ce que je veux dire. Je n'ai pas dessein de vous accuser d'orgueil, dont il n'y a jamais eu le moindre sujet de vous soupçonner. Mon discours ne se rapporte qu'à l'âme, et non au corps, qui n'a été formé que pour elle. C'est comme un vase de terre où l'âme, qui est l'homme véritable, est renfermée. Ce vase n'a point été fait par Prométhée, comme les poëtes le disent, mais par le souverain créateur de l'univers, dont la providence ne peut être comprise par nos sens ni expliquée par nos paroles. Je ne laisserai pas de m'efforcer de dire quelque chose, autant que mon peu de suffisance le pourra permettre,

et

શ્ર

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