Page images
PDF
EPUB

II.E SERMON

POUR

LE DIMANCHE DE LA PASSION.

Force et empire de la vérité. Principe de la haine que les hommes lui portent en combien de manières ils la haïssent. Nécessité de la simplicité et de la bonne foi, pour bien régler notre conscience. Origine des doutes et des fausses subtilités qu'on se forme dans la morale. Funestes suites des efforts que nous faisons contre la vérité inhérente en nous. Par quels degrés nous tombons dans un si grand mal: quels en sont les progrès et les remèdes.

Si veritatem dico vobis, quare non creditis mihi.

Si je vous dis la vérité, pourquoi refusez-vous de me croire? Joan. VIII. 46.

[ocr errors]

ON N a dit, il y a long-temps, qu'il n'y a rien de plus fort que la vérité; et cela se doit entendre particulièrement de la vérité de l'Evangile. Cette vérité, chrétiens, que la foi nous propose en énigme, comme parle l'apôtre saint Paul, paroît dans le ciel à découvert, révérée de tous les esprits bienheureux: elle étend son empire jusqu'aux enfers; et quoiqu'elle n'y trouve que ses ennemis, elle les force néanmoins de la reconnoître. « Les démons la croient, dit saint

» Jacques (1); et non-seulement ils croient, mais ils >> tremblent ». Ainsi la vérité est respectée dans le ciel et dans les enfers. La terre est au milieu, et c'est là seulement qu'elle est méprisée. Les anges la voient, et ils l'adorent; les démons la haïssent, mais ils ne la méprisent pas, puisqu'ils tremblent sous sa puissance. C'est nous seuls, ô mortels, qui la méprisons, lorsque nous l'écoutons froidement et comme une chose indifférente que nous voulons bien avoir dans l'esprit, mais à laquelle il ne nous plaît pas de donner aucune place dans notre vie. Et ce qui rend notre audace plus inexcusable, c'est que cette vérité éternelle n'a pas fait comme le soleil, qui, demeurant toujours dans sa sphère, se contente d'envoyer ses rayons aux hommes: elle, dont le ciel est le lieu natal, a voulu aussi naître sur la terre: Veritas de terra orta est (2). Elle n'a pas envoyé de loin ses lumières, elle-même est venue nous les apporter, et les hommes toujours obstinés ont fermé les yeux; ils ont haï sa clarté à cause que leurs œuvres étoient mauvaises, et ont contraint le Fils de Dieu de leur faire aujourd'hui ce juste reproche : Si veritatem dico vobis, quare non creditis mihi? « Si je vous dis » la vérité, pourquoi refusez-vous de me croire » ? Puisqu'il nous ordonne, Messieurs, de vous faire aujourd'hui ses plaintes, touchant cette haine de la vérité; qu'il nous accorde aussi son secours pour plaider fortement sa cause la plus juste qui fut jamais. C'est ce que nous lui demandons par les prières de la sainte Vierge. Ave, eto.

(1) Jac. 11. 19. — (2) Ps. Lxxxiv. 12,

:

La vérité est une reine qui a dans le ciel son trône éternel, et le siége de son empire dans le sein de Dieu il n'y a rien de plus noble que son domaine; puisque tout ce qui est capable d'entendre en relève, et qu'elle doit régner sur la raison même, qui a été destinée pour régir et gouverner toutes choses. II pourroit sembler, chrétiens, qu'une reine si adorable ne pourroit perdre son autorité que par l'ignorance: mais comme le Fils de Dieu nous le reproche, que la malice des hommes lui refuse son obéissance, lors même qu'elle leur est le mieux annoncée; c'est véritablement ce qui m'étonne, et je prétends aujourd'hui rechercher la cause d'un déréglement si étrange. Il est bien aisé de comprendre que c'est une haine secrète que nous avons pour la vérité, qui nous fait secouer le joug d'une puissance si légitime. Mais d'où nous vient cette haine, et quels en sont les motifs? c'est ce qui mérite une grande considération, et ce que je tâcherai de vous expliquer par les principes, suivant la doctrine de saint Thomas, qui traite expressément cette question (1).

Pour cela il faut entendre, avant toutes choses, que le principe de la haine, c'est la contrariété et la répugnance, et en ce regard, chrétiens, il ne tombe pas sous le sens qu'on puisse haïr la vérité prise en elle-même et dans cette idée générale ; « parce que, » dit très-bien le grand saint Thomas, ce qui est » vague de cette sorte et universel ne répugne jamais » à personne, et ne peut être par conséquent un objet de haine. » Ainsi les hommes ne sont pas ca(1) 1. 2. Quæst. xxix. Art. v.

pables

:

pables d'avoir de l'aversion pour la vérité; sinon autant qu'ils la considèrent dans quelque sujet particulier où elle combat leurs inclinations, où elle contredit leurs sentimens et en cette vue, chrétiens, il me sera facile de vous convaincre que nous pouvons haïr la vérité en trois sortes, par rapport à trois sujets où elle se trouve et dans lesquels elle contrarie nos mauvais désirs. Car nous la pouvons regarder, ou en tant qu'elle réside en Dieu, ou en tant qu'elle nous paroît dans les autres hommes, ou en tant que nous la sentons en nous-mêmes : et il est certain qu'en ces trois états toujours elle contrarie les mauvais désirs, et toujours elle donne aussi un sujet de haine aux hommes déréglés et mal-vivans.

Et en effet, ames saintes, ces lois immuables de la vérité, sur lesquelles notre conduite doit être réglée, soit que nous les regardions en leur source, c'est-àdire en Dieu, soit qu'elles nous soient montrées dans les autres hommes, soit que nous les écoutions parler en nous-mêmes, crient toujours contre les pécheurs, quoiqu'en des manières différentes. En Dieu qui est le juge suprême, elles les condamnent; dans les hommes qui sont des témoins présens, elles les reprennent et les convainquent; en eux-mêmes et dans le secret de leur conscience elles les troublent, et les inquiètent: et c'est pourquoi partout elles leur déplaisent. Car ni l'orgueil de l'esprit humain ne peut permettre qu'on le condamne, ni l'opiniâtreté des pécheurs ne peut souffrir qu'on la convainque, et l'amour aveugle qu'ils ont pour leurs vices peut encore moins consentir qu'on l'inquiète. C'est pourquoi ils haïssent la vérité; d'où vous pouvez comBOSSUET. XII.

3

prendre combien ils sont éloignés de lui obéir. Mais si vous ne l'avez pas encore entendu, la conduite des Juifs envers Jésus-Christ vous le fera aisément connoître. Il leur prêche les vérités qu'il dit avoir vues dans le sein du Père; ces vérités les condamnent, et ils haïssent son Père où elles résident : Oderunt et me et Patrem meum (1).

[ocr errors]

Il les reprend en vérité de leurs vices; et pendant que ses discours les convainquent, la haine de la vérité leur fait haïr celui qui l'annonce; ils s'irritent contre lui-même, ils l'appellent samaritain et démoniaque ; ils courent aux pierres pour le lapider, comme il se voit dans notre Evangile. Il les presse encore de plus près, il leur porte jusqu'au fond du cœur la lumière de la vérité, conformément à cette parole: « La lumière est en vous pour un >> peu de temps » : Adhuc modicum lumen in vobis est (2); et ils la haïssent si fort cette vérité adorable, qu'ils en éteignent encore ce foible rayon; parce qu'ils cherchent la nuit entière pour couvrir leurs mauvaises œuvres. Dans cette aversion furieuse, invétérée et opiniâtre qu'ils témoignent à la vérité, et parmi tant d'outrages qu'ils lui font souffrir, n'a-t-il pas raison, chrétiens, de leur faire aujourd'hui ce juste reproche? Si je vous dis la vérité, pourquoi refusez-vous de la croire? pourquoi une haine aveugle vous empêche-t-elle de lui obéir?

Mais il ne parle pas seulement aux Juifs ses ennemis déclarés; et son dessein principal est d'apprendre à ses serviteurs à aimer et respecter sa vérité sainte, en quelque endroit qu'elle leur paroisse. (1) Joan. xv. 24. — (2) Ibid. x11. 35.

« PreviousContinue »