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avoient été omises. Jugez donc si je n'ai pas grande raison de vouloir qu'elles soient gardées en ma cause, et de faire pour cela toutes les diligences nécessaires. Enfin je témoignai à Sa Sainteté que je ne doutois point qu'elle ne me fît la justice des violences effectives, que mon Église avoit souffertes dans le temps que je la suppliois moi-même de la rendre à mes ennemis, des crimes imaginaires dont ils m'accusoient; que j'étois persuadé que ce même zèle qu'elle a pour le rétablissement de l'ordre en toutes choses, qui l'obligeroit sans doute à ne me faire point de grâce, si je me trouvois coupable du moindre crime d'État; que ce même zèle, dis-je, ne lui permettoit pas de dissimuler tant de sacriléges et tant d'abominations commises contre toute la discipline de l'Église; que j'étois fâché d'être obligé à cette action, mais qu'il ne seroit pas raisonnable que l'innocence témoignât moins de vigueur pour repousser l'injustice, que l'injustice en faisoit paroître pour opprimer l'innocence; que je demandois très-humblement à Sa Sainteté que, des mêmes crimes sur lesquels on parloit de me faire mon procès, on le fît aussi à mes persécuteurs, s'ils s'en trouvoient véritablement coupables; et que, de plus, je me rendois dénonciateur contre eux de deux crimes capitaux, dont j'avois les preuves en main, et que je m'offrois de vérifier en plein Consistoire, sur la peine du talion, et suppliois Sa Sainteté d'agréer que ces affaires se terminassent en même temps. Voilà, Messieurs, les instances que j'ai faites continuellement à Rome, et que je n'ai jamais manqué de répéter à toutes les audiences que j'ai eues de Sa Sainteté. Voilà les dispositions dans lesquelles je persiste encore, vous protestant, bien que mon innocence soit de notoriété publique, que je ne souhaite rien avec plus de passion que l'éclaircissement entier de la vérité, fait

dans les formes et la rigueur de la justice. Mais je me sens obligé d'ajouter à cette protestation, que le même esprit qui me donne ce mouvement, me porte aussi à ne consentir à quoi que ce soit dans les suites, qui puisse être contraire à mon devoir; que je n'aurai pas moins de zèle et de fermeté pour la conservation des lois de l'Église, que j'ai d'impatience pour ma justification; que je n'oublierai jamais qu'un Évêque, non rétabli dans le temporel, et que l'on n'oseroit dire assurément être bien rétabli dans le spirituel, ne peut être accusé, et est en état de demander justice contre les coupables qui sont en possession. J'espère que Dieu me donnera la force d'accorder ensemble ces deux devoirs, et que la générosité que j'attends du Ciel, qui, vu mon peu de mérite et la foiblesse de ma personne, n'est en moi que l'effet de mon caractère, me donnera des sentiments qui ne se contrarieront point sur ce sujet. J'ai cru, Messieurs, être obligé de vous rendre compte de l'état où je suis, sur une matière où notre intérêt ne peut être séparé; de vous faire connoître les sentiments si opposés aux lois de l'Église, que l'on vous veut imputer, et vous prier de considérer que tout ce que mes ennemis ont avancé jusques ici, n'a été qu'un prétexte pour différer la justice que l'on me doit par tant de titres. On ne souhaite pas de juges contre moi pour me faire mon procès, qui n'a jamais été fondé à Rome, même selon les prétentions de mes ennemis, que sur le premier siége de Paris, dont on sait que l'on n'ose parler en France, à cause des Amnisties générales tant de fois réitérées. Il est public combien ma conduite, depuis cette première guerre, est hors la portée des prétextes et des soupçons de mes ennemis, dans tous les esprits non préoccupés, et on ne peut ignorer les services considérables que j'ai rendus dans tous les temps qui l'ont

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suivie. Mais on veut des Commissaires pour me tenir dans la longueur, pour me réduire à la mendicité, pour me faire jouer le personnage d'un homme mis entre les mains de la justice, pour m'obliger à la démission, que l'on n'a pu arracher de moi par toutes les autres violences, et à laquelle ma conscience et mon honneur s'opposeront éternellement. On ne cherche qu'à gagner temps, qu'à trouver une occasion de faire naître des difficultés dont on a déjà vu des exemples, entre le Saint Siége, le Clergé de France et les Parlements. On sait que les années coulent imperceptiblement dans ces sortes d'affaires, et, par un artifice qui est fort aisé à découvrir, mais qui est des plus pernicieux et des plus étranges, on veut engager le Saint Siége à solliciter ma démission par un procédé qui seroit une espèce de menace, et le Clergé de France à me le persuader par un silence que mes ennemis essayent de faire passer pour un abandonnement. Je ne puis rien craindre de la justice du Pape, qui étant le conservateur et le protecteur des Canons, n'a garde de rien faire qui leur soit contraire, et qui sait bien qu'il n'y a rien qui leur soit plus directement opposé que de recevoir une accusation contre un ecclésiastique non rétabli. Et qui pourroit croire que Sa Sainteté violât en cette occasion tous les droits divins et humains pour complaire à ceux qui ont fait tant d'outrages au Saint Siége, et même que le Clergé et les Parlements ne prissent point d'intérêt pour la défense des principales lois ecclésiastiques, et observées si religieusement dans ce Royaume? Je ne puis douter, Messieurs, que ces réflexions ne vous paroissent très-considérables, dans une affaire de cette conséquence et de cette qualité, et j'espère que Dieu soutiendra ma foiblesse, par sa miséricorde infinie, dans la résolution qu'il me donne de m'exposer aux dernières souffrances,

s'il en est besoin, pour défendre les droits de l'Église. Je suis résolu à tout sans exception, et, dans une cause si juste, je périrois avec une joie qui ne seroit mêlée d'aucun regret, si cette affaire n'étoit d'une nature que je n'y puis périr sans ensevelir avec moi toutes sortes de lois. Je vous supplie, Messieurs, de m'accorder vos prières envers Dieu, afin que je me puisse acquitter de mes obligations, dans une rencontre si importante, et de croire que je suis,

Messieurs,

Votre très-humble et très-affectionné ser-
viteur et confrère,

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Le Cardinal de RETZ,

Archevêque de Paris.

Du lieu de ma retraite, le 28 mars 1657.

41.

LETTRE DE M. LE CARDINAL DE RETZ,
ARCHEVÊQUE DE PARIS, AU ROI1.

(9 AVRIL 1657.)

NOTICE.

Claude Joly n'a pas oublié, dans ses Mémoires manuscrits, de parler de cette lettre de Retz, non plus que de la sui

1. In-4° de 4 pages, sans nom de lieu et d'imprimeur; le titre en tête de la première page du texte; 1° un exemplaire à la Bibliothèque nationale, Lb37 3290; 2° un autre exemplaire à la même Bibliothèque, dans le recueil manuscrit français 17589, ayant fait partie tour à tour des bibliothèques Séguier, Coislin et Saint-Germain-des-Prés; 3° un troisième exemplaire dans ma

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vante adressée à la Reine mère : « Le 9 avril, dit-il, le cardinal de Retz écrivit au Roi et à la Reine deux lettres par lesquelles il demandoit justice à Leurs Majestés de la longue persécution qui lui étoit faite sous le nom du Roi par ses ennemis, et, en même temps, qu'ils eussent compassion de ses souffrances et de l'oppression de l'Église en sa personne, ce qu'il faisoit avec une gravité de prélat et un cœur que les maux n'avoient point abattu. » Guy Joly a omis, dans ses Mémoires, de parler des deux lettres de Retz au Roi et à la Reine. Au moment où ces deux écrits imprimés circulaient dans Paris, Guy Patin faisait mention, à la date du 7 mai 1657, de ces deux bruits très-intéressants qui y couraient : « On dit que ce prince (le duc d'Orléans), à ses heures de loisir, travaille à notre histoire de France depuis la mort du feu Roi.... On dit que le cardinal de Retz en fait autant à sa mode. » Il est fort probable, en effet, que Retz, à cette époque, commençait à rédiger ses Mémoires. Dans tous les cas, ce passage de la lettre de Guy Patin est curieux et bon à noter.

SIRE,

Je ne me lasserai jamais de me jeter aux pieds de Votre Majesté pour lui demander, avec tous les respects dont je suis capable, la justice qu'elle accorde tous les jours aux moindres de ses sujets et qu'elle ne peut refu

collection, ainsi qu'une copie manuscrite du temps. MM. Champollion ont reproduit cette lettre dans leur édition des Mémoires de Retz de 1836, p. 580 à 582. M. Gazier, dans sa thèse, p. 81, dit que cette lettre et la suivante, adressée à la Reine, ont été retrouvées par MM. Champollion, ce qui n'était pas bien difficile puisqu'elles sont parmi les imprimés de la Bibliothèque nationale. C. Moreau la cite dans sa Bibliographie des Mazarinades, tome II, p. 147, n° 1984. Notre savant directeur, M. Adolphe Regnier, avait retrouvé à la Bibliothèque nationale, dans le ms. fr. 13894, l'expédition de cette lettre, qui fut adressée au Roi. Le corps de la lettre est tout entier de la main d'un secrétaire, et porte la signature autographe du Cardinal. Nous avons eu soin de collationner cet original avec l'imprimé.

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