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CHAPITRE IV

JÉSUS A JERUSALEM.

«Tressaille de joie, fille de Sion, pousse des cris de joie, Jérusalem; voilà que ton roi vient à toi; il est juste et victorieux, modeste et monté sur un âne et sur le poulain, fils de l'ânesse. » C'est en ces termes que le prophète Zacharie (ch. Ix, v. 9) avait décrit l'arrivée du Messie au saint siége de sa royauté éternelle. Jésus tint à réaliser tous les détails de cette prophétie, et c'est sur une ânesse escortée de son ânon qu'il fit son entrée dans la ville de David. De tout temps l'ânesse avait été monture royale en Israël. Cet usage, en tant que marque distinctive du commandement, remontait même à une époque antérieure aux rois (voir Juges, ch. x, v. 4, et ch. xii, v. 14).

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Jésus ne se présentait pas seul. Il était entouré d'un

assez grand nombre de Galiléens. Ce cortége, composé d'hommes et de femmes, se grossit, dans sa marche au travers de la ville, de la foule des enfants accourus pour jouir de ce spectacle nouveau, « et tous ensemble, tant ceux qui allaient devant lui que ceux qui le suivaient, criaient Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au nom d'Adonaï1! Hosanna au plus haut du ciel! -Lorsqu'il fut entré dans Jérusalem, toute la ville en fut émue et chacun demandait : Qui est celui-ci ? Mais ces peuples qui l'accompagnaient disaient : C'est Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée. » (Matth., ch. xxi, v. 9-11.)

La première visite de Jésus fut pour le temple; et à peine y fut-il entré qu'il se mit à en chasser tous ceux qui y faisaient un trafic d'objets de consommation, et qui y étaient établis en qualité de changeurs. Il voyait sans doute, dans la manière dont ces industries s'y exerçaient, la confirmation de ces paroles de Jérémie (ch. vii, v. 11): « Est-ce que cette maison sur laquelle mon nom est invoqué est une caverne de voleurs à vos yeux? »

1. On sait que les Juifs remplacent par respect le nom de Jéhovah par celui d'Adonaï (Seigneur, avec la ponctuation kodesch). Partout où le premier est écrit, c'est le second qu'ils lisent. Pour plus d'exactitude, nous emploierons maintenant celui-ci dans la plupart de nos citations. Voir d'ailleurs, au sujet du mot Adonai (7), notre note de la page 127.

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Mais que durent penser de ce zèle et de cet emportement ceux qui, au contraire, reconnaissaient et respectaient, comme institution divine, l'état de choses que Jésus voulait abolir? - N'était-ce pas, en effet, Jéhovah lui-même qui avait dit (Deuteronome, ch. XIV, v. 23 et suiv.) « Tu mangeras devant Jéhovah ton Dieu, à l'endroit qu'il choisira pour y faire résider son nom, la dîme de ton blé, de ton vin nouveau, de ton huile nouvelle, des premiers-nés de ton gros et menu bétail, afin que tu apprennes à craindre Jéhovah ton Dieu toujours. Mais si le chemin est trop long pour toi... tu convertiras ta dîme en argent, puis tu iras à l'endroit dont Jéhovah aura fait choix. Là, tu mettras l'argent en tout ce que ton âme désirera, en gros et en menu bétail, en vin, en boisson forte, et en tout ce que ton âme te demandera. Tu mangeras là devant Jéhovah ton Dieu, et tu te réjouiras, toi et ta maison. » S'appuyant sur ce texte, les princes des prêtres et les pharisiens qui se trouvaient là durent demander à Jésus de quel droit il voulait que ceux qui venaient de loin pour acquitter leur dîme fussent privés des facilités que la loi mettait à leur disposition. N'avait-il pas lui-même introduit dans le temple le désordre et le bruit? Pourquoi cette foule agitée? Pourquoi cette émeute d'enfants criant: Hosanna au fils de David? « Entendez-vous ce qu'ils disent? »> lui demandèrent-ils. « Oui, leur dit Jésus; mais n'avez

vous jamais lu cette parole: Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des petits enfants et de ceux qui sont à la mamelle.» (Matth., ch. xxi.)

Rien n'est mieux fait, ce nous semble, que ce premier conflit pour nous faire saisir d'un coup d'œil la lutte qui, au sein même de cette orthodoxie hybride, va s'engager entre l'idée davidique, représentée par Jésus, et les institutions mosaïques en pleine vigueur qu'avaient à défendre les princes des prêtres et les pharisiens.

Dans cet aigre accueil, dans ces dispositions dont il était facile de s'exagérer la portée hostile, une seule chose dut frapper Jésus, c'est que tout se préparait, avec une sorte de merveilleuse entente des desseins de son père, pour rendre inévitable et prochain le dénoùment tant souhaité qu'il était venu chercher à Jérusalem. La MORT, condition nécessaire, premier but de tous ses rêves, porte de délivrance et de salut que lui seul pouvait ouvrir, la mort qu'il devait vaincre se plaçait déjà d'elle-même sur son chemin; il n'avait plus qu'à s'avancer vers elle, qu'à l'obtenir au plus tôt

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1. La déclaration que Jésus emprunte ici à David est tirée du psaume VIII, v. 3. Ce verset, nous ramenant au temps de David, nous permet d'observer que le fils de Jessé avait dû mettre en œuvre les plus adroits moyens pour gagner la jeune génération, et se faire recommander à Jéhovah par les prières et les vagissements même des enfants.

de ceux que les prophéties condamnaient à la lui donner.

Peut-être ne voulut-il pas courir si rapidement à la mort sans avoir auparavant assuré sa moisson d'élus par la plus grande simplification possible des conditions de l'élection. Il paraît, en effet, avoir dès lors réduit ces conditions à la simple foi en sa qualité de Messie. C'est, du moins ce qui résulte assez clairement de cette déclaration péremptoire que, dès le lendemain de son arrivée à Jérusalem, il jeta à la face du haut sacerdoce juif; « Je vous dis, en vérité, que les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Jéhovah. Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice et vous ne l'avez point cru, les publicains, au contraire, et les prostituées l'ont cru. » (Matth., ch. xxi, v. 31-32.)

Si habitués que fussent ceux qu'il invectivait ainsi à d'étranges aberrations de justice distributive, ils avaient sans doute quelque peine à s'appliquer les menaces qu'avaient encourues leurs pères, car ils ne parurent pas d'abord se douter du piége que leur tendit Jésus dans sa parabole des vignerons, pour les amener à se déclarer eux-mêmes dignes de châtiment. Afin de leur montrer le sort qui attendait leur génération aveuglée, en punition des crimes de ses devancières, il se peignait sous les traits de l'héritier du maître d'une vigne qui l'a louée à des vignerons infidèles. La vigne,

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