Page images
PDF
EPUB

pondent deux idées réelles, l'une de l'homme, l'autre du cheval, mais qu'on unit ensemble contre la raison, et dont on compose un animal imaginaire.

La troisième espèce d'êtres de raison est celle où ce qu'on conçoit est un pur néant, une chose absolument impossibleet contradictoire en elle-même ; par exemple, une montagne sans vallée. A cela il ne répond rien dans l'esprit; c'est un discours en l'air, qui se détruit sitôt qu'on y pense, et qui ne peut nous donner aucune idée.

CHAPITRE XIV.

Le néant n'est pas entendu, et n'a point d'idée.

LES choses qui ont été dites montrent que le néant n'a point d'idée; car l'idée étant l'idée de quelque chose, si le rien avoit une idée, le rien seroit quelque chose.

De là s'ensuit encore que, à proprement parler, le néant n'est pas entendu. Il n'y a nulle vérité dans ce qui n'est pas : il n'y a donc aussi rien d'intelligible; mais où l'idée de l'être manque, là nous entendons le non-être.

De là vient que, pour exprimer qu'une chose est fausse, souvent on se contente de dire : cela ne s'entend pas, cela ne signifie rien; c'est-à-dire qu'à ces paroles il ne répond, dans l'esprit, aucune idée.

Par là il faut dire encore qu'il n'y a point d'idée du faux, comme faux. Car, de même que le vrai est ce qui est, le faux est ce qui n'est point.

On connoît donc la fausseté d'une chose dans la vérité qui lui est contraire.

Ainsi, lorsque, en faisant le dénombrement des idées, nous y avons rapporté celles du vrai et du faux, il faut entendre que l'idée du faux n'est que l'éloignement de l'idée du vrai.

De même, l'idée du mal n'est que l'éloignement de l'idée du bien.

De cette sorte, à ces termes faux et mal répond, dans notre esprit, quelque chose; mais ce qui y répond, c'est le vrai qui exclut le faux, et le bien qui exclut le mal.

Et tout cela est fondé sur ce que le faux et le mal, comme faux et comme mal, sont un non-être, qui n'a point d'idée, ou, pour parler plus correctement, ne sont pas un être qui ait une idée.

Ce qui pourroit nous tromper, c'est que nous donnons au vrai et au faux, et même au néant, un nom positif; mais de là il ne s'ensuit pas que l'idée qui y répond soit positive: autrement, le néant se roit quelque chose; ce qui est contradictoire

Au reste, on entend assez que le positif c'est ce qui pose et qui met; et que le négatif est ce qui ôte. Le terme positif affirme, et le négatif nie, comme le porte son nom.

CHAPITRE XV.

Des êtres appelés négatifs et privatifs.

De ce qu'un être n'est pas un autre être, et n'a pas en lui quelque chose, on a imaginé certains êtres qu'on appelle êtres négatifs ou êtres privatifs : par exemple, de ce qu'un homme a perdu la vue, on a dit qu'il étoit aveugle; et puis, en regardant l'aveu

[ocr errors]

glement comme une espèce d'être privatif, on a dit qu'il avoit en lui 'l'aveuglement.

Mais tout cela est impropre; et il n'y a personne, qui n'entende qu'être aveugle, ce n'est pas avoir quelque chose, mais c'est n'avoir pas quelque chose, c'est-à-dire n'avoir pas la vue.

Tout ce donc qu'il y a à considérer, c'est que ce qui n'a point quelque chose, ou il est capable de l'avoir, comme l'homme est capable d'avoir la vue; et, en ce cas, n'avoir pas s'appelle privation : ou il en est incapable, comme un arbre n'est pas capable de voir; et, en ce cas, n'avoir pas s'appelle négation.

La raison de ces expressions est évidente, car le terme de négation dit simplement n'avoir pas; et le terme de privation suppose de plus qu'on est capable d'avoir; et c'est ce qui s'appelle en être privé. On ne dit pas qu'une pierre a été privée de la vue, dont elle étoit incapable: cette privation ne regarde que les animaux qui peuvent voir.

Ces choses, légères en soi, sont nécessaires à observer, pour entendre le discours humain, et pour éviter l'erreur d'imaginer quelques qualités positives, toutes les fois que nous donnons des noms positifs.

CHAPITRE XVI.

Les idées sont positives, quoique souvent exprimées en termes négatifs.

DES choses qui ont été dités, il résulte que les idées sont positives, parce que, toutes, elles démontrent quelque être, quelque chose de positif et de

réel.

Mais parce que qui pose une chose en exclut une autre, de là vient qu'on les exprime souvent par des termes négatifs.

Quand un homme est tellement fort qu'aucune force n'égale la sienne, la position de cette force exclut la victoire que les autres pourroient remporter sur lui, et c'est pourquoi on dit qu'il est invincible.

Ce qui répond à cette idée, est une force supérieure à celle des autres. Il n'y a rien de plus positif; mais ce positif s'exprime très-bien, en appelant cet homme invincible, parce que ce terme négatif représente parfaitement à l'esprit, qu'on ne fait contre un tel homme que de vains efforts.

Ainsi, quand on parle d'un être immortel, on y suppose tant d'être et tant de vie, que le non être n'y a point de place. Ce qu'on exprime par ce terme est très-positif, puisque c'est une plénitude d'être et de vie, ou, si l'on veut, une force du principe qui fait vivre; mais le terme négatif le fait bien entendre.

CHAPITRE XVII.

Dans les termes négatifs, il faut toujours regarder ce qui leur répond de positif dans l'esprit.

De là s'ensuit qu'en écoutant quelque terme négatif, qui le veut entendre comme il faut doit considérer ce qui lui répond de réel et de positif dans l'esprit: comme pour entendre ce terme invincible, il faut considérer, avant toutes choses, ce qui est posé dans ce terme, parce que ce qui est posé. c'est-à-dire une force supérieure, est le premier, et ce qui fonde l'exclusion de la victoire des autres. Ainsi, quand on dit: Dieu est immuable, on pourroit croire que ce terme n'enferme rien autre chose qu'une simple exclusion de changement. Mais au contraire, cette exclusion du changement est fondée sur la plénitude de l'être de Dieu. Par ce qu'il est de lui-même, il est toujours; et il est toujours ce qu'il est, et ne cesse jamais de l'être.

De sorte que le changement, qui est signifié par un terme positif, est plutôt une privation que l'immutabilité, parce qu'être changeant n'est autre chose qu'une déchéance, pour ainsi parler, de la plénitude d'être, qui fait que celui qui est proprement, c'est-à-dire qui est de soi, est toujours le même.

CHAPITRE XVIII.

A chaque objet chaque idée.

De ce que l'idée est née pour représenter son objet, il s'ensuit que chaque objet, précisément pris, ne peut avoir qu'une idée qui lui réponde dans l'esprit, parce que, tant que l'objet sera regardé comme un, une seule idée l'épuisera tout, c'est-à-dire en découvrira la vérité tout entière. Ainsi, en ne regardant le triangle que comme triangle, et dans la raison du triangle, je n'en puis avoir qu'une seule idée, parce qu'une seule contient tellement le tout, que ce qui est au-delà n'est rien; d'où s'ensuit cette vérité incontestable : A chaque objet chaque idée; c'est-à-dire : Au même objet pris de même, il ne répond dans l'esprit qu'une seule idée.

« PreviousContinue »