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Ayant donc vu que la dilation du baptême1 laissait un grand nombre d'enfants dans la malédiction d'Adam, elle a voulu les délivrer de cette masse de perdition en précipitant le secours qu'elle leur donne; et cette bonne mère ne voit qu'avec un regret extrême que ce qu'elle a procuré pour le salut de ses enfants est devenu l'occasion de la perte des adultes. Son véritable esprit est que ceux qu'elle retire dans un âge si tendre de la contagion du monde prennent des sentiments tout opposés à ceux du monde. Elle prévient l'usage de la raison pour prévenir les vices où la raison corrompue les entraînerait; et avant que leur esprit puisse agir, elle les remplit de son esprit, afin qu'ils vivent dans une ignorance du monde et dans un état d'autant plus éloigné du vice qu'ils ne l'auront jamais connu. Cela paraît par les cérémonies du baptême; car elle n'accorde le baptême aux enfants qu'après qu'ils ont déclaré, par la bouche des parrains, qu'ils le désirent, qu'ils croient, qu'ils renoncent au monde et à Satan. Et, comme elle veut qu'ils conservent ces dispositions dans toute la suite de leur vie, elle leur commande expressément de les garder inviolablement, et ordonne, par un commandement indispensable, aux parrains d'instruire les enfants de toutes ces choses; car elle ne souhaite pas que ceux qu'elle a nourris dans son sein soient aujourd'hui moins instruits et moins zélés que les adultes qu'elle admettait autrefois au nombre des siens; elle ne désire pas une moindre perfection dans ceux qu'elle nourrit que dans ceux qu'elle reçoit. Cependant on en use d'une façon si contraire à l'intention de l'Église, qu'on n'y peut penser sans horreur. On ne fait quasi plus de réflexion sur un aussi grand bienfait, parce qu'on ne l'a jamais souhaité, parce qu'on ne l'a jamais demandé, parce qu'on ne se souvient pas même de l'avoir reçu.

Mais, comme il est évident que l'Église ne demande pas moins de zèle dans ceux qui ont été élevés domestiques de la foi 3 que dans ceux qui aspirent à le devenir, il faut se mettre devant les yeux l'exemple des catéchumènes, considérer leur ardeur, leur dévotion, leur horreur pour le monde, leur généreux renonce

1. Le fait de le différer.

2. Cette expression est prise de Paul, I Cor. v, 6, etc. (massa dans la Vulgate). 3. Latinisme, qui sont de la maison.

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ment au monde; et, si on ne les jugeait pas dignes de recevoir le baptême sans ces dispositions, ceux qui ne les trouvent pas

en eux.

Il faut donc qu'ils se soumettent à recevoir l'instruction qu'ils auraient eue s'ils commençaient à entrer dans la communion de l'Église; il faut de plus qu'ils se soumettent à une pénitence continuelle, et qu'ils aient moins d'aversion pour l'austérité de leur mortification, qu'ils ne trouvent de charmes dans l'usage des délices empoisonnées du péché 1.

Pour les disposer à s'instruire, il faut leur faire entendre la différence des coutumes qui ont été pratiquées dans l'Église suivant la diversité des temps.

Qu'en l'Église naissante on enseignait les catéchumènes, c'est-à dire ceux qui prétendaient au baptême, avant que de le leur conférer; et on ne les y admettait qu'après une pleine instruction des mystères de la religion, qu'après une pénitence de leur vie passée, qu'après une grande connaissance de la grandeur et de l'excellence de la profession de la foi et des maximes chrétiennes où ils désiraient entrer pour jamais, qu'après des marques éminentes d'une conversion véritable du cœur, et qu'après un extrême désir du baptême. Ces choses étant connues de toute l'Église, on leur conférait le sacrement d'incorporation par lequel ils devenaient membres de l'Église; au lieu qu'en ces temps le baptême ayant été accordé aux enfants avant l'usage de la raison, par des considérations très-importantes, il arrive que la négligence des parents laisse vieillir les chrétiens sans aucune connaissance de la grandeur de notre religion.

Quand l'instruction précédait le baptême, tous étaient instruits; mais maintenant que le baptême précède l'instruction, l'enseignement qui était nécessaire est devenu volontaire, et ensuite négligé et presque aboli. La véritable raison de cette

1. Cette phrase n'est pas très-nette. Le sens est qu'il faut qu'ils aient plus de goût dorénavant pour l'austérité de la mortification qu'ils ne trouvent actuellement de charmes dans les délices du péché. Au lieu de plus de goût, il a écrit moins d'aversion, ce qui revient au même sans doute, mais il se trouve ainsi qu'une expression négative, celle d'aversion, entre en comparaison avec une expression positive, celle de charmes ; et c'est ce qui fait l'embarras. Il y a dans le choix de l'expression négative une espèce d'ironie; il n'ose exiger qu'on ait de l'attrait pour la pénitence, il demande seulement qu'on n'en ait point tant d'aversion.

conduite est qu'on est persuadé de la nécessité du baptême, et on ne l'est pas de la nécessité de l'instruction. De sorte que, quand l'instruction précédait le baptême, la nécessité de l'un faisait que l'on avait recours à l'autre nécessairement; au lieu que, le baptême précédant aujourd'hui l'instruction, comme on a été fait chrétien ss avoir été instruit, on croit pouvoir demeurer chrétien saus se faire instruire.

Et qu'au lieu que les premiers chrétiens témoignaient tant de reconnaissance envers l'Église pour une grâce qu'elle n'accordait qu'à leurs longues prières, ils témoignent aujourd'hui tant d'ingratitude pour cette même grâce qu'elle leur accorde avant même qu'ils aient été en état de la demander. Et si elle détestait si fort les chutes des premiers, quoique si rares, combien doit-elle avoir en abomination les chutes et rechutes continuelles des derniers, quoiqu'ils lui soient beaucoup plus redevables, puisqu'elle les a tirés bien plus tôt et bien plus libéralement de la damnation où ils étaient engagés par leur première naissance! Elle ne peut voir, sans gémir, abuser de la plus grande de ses grâces, et que ce qu'elle a fait pour assurer leur salut devienne l'occasion presque assurée de leur perte, car elle n'a pas...

REMARQUES SUR LA COMPARAISON DES CHRÉTIENS.

Deux choses nous frappent également en lisant cet écrit de Pascal : la justesse de ses vues comme historien, et l'illusion de son zèle comme sectaire. L'évidence avec laquelle il prouve à un siècle de christianisme tempéré et facile combien il est loin du christianisme pur et rigoureux des premiers âges, ne condamnait-elle pas l'obstination des jansénistes à prétendre réformer l'Église sur le modèle des mœurs et de la discipline des temps primitifs? Il n'est donné à personne de faire revivre ce qui a vécu.

Sur les conditions exigées, au quatrième siècle, de ceux qui demandaient à être reçus dans l'Église, on peut consulter particulièrement dans Augustin le chapitre 6 du livre De Fide et operibus, et tout le livre De Catechizandis rudibus. Sur les cérémonies du baptême, telles

que la renonciation au monde et au démon, voir les premiers chapitres du livre d'Ambroise De Mysteriis.

On trouve des réflexions semblables à celle de Pascal, quoique moins amères, à la fin des Dialogues de Fénelon sur l'Éloquence, e dans les Discours de Fleury.

EXTRAITS DES LETTRES A MLLE DE ROANNEZ1

...

4.

Pour répondre à tous vos articles, et bien écrire malgré mon peu de temps'.

Je suis ravi de ce que vous goûtez le livre de M. de Laval3 et les Méditations sur la Grâce ; j'en tire de grandes conséquences pour ce que je souhaite 5.

Je mande le détail de cette condamnation qui vous avait effrayée ; cela n'est rien du tout, Dieu merci, et c'est un miracle de ce qu'on n'y fait pas pis, puisque les ennemis de la vérité ont le pouvoir et la volonté de l'opprimer. Peut-être êtes-vous de celles qui méritent que Dieu ne l'abandonne pas, et ne la retire pas de la terre, qui s'en est rendue si indigne; et il est assuré que vous servez à l'Église par vos prières, si l'Église vous a servi par les siennes. Car c'est l'Église qui mérite, avec JÉSUS-CHRIST qui en est inséparable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la vérité; et ce sont ensuite

1. Charlotte Gouffier, depuis duchesse de La Feuillade, sœur du duc de Roannez, née en 1633, morte en 1683. Elle vivait dans le monde, et pensait à se marier, lorsqu'elle fut touchée de la grâce, et résolut de se donner à Dieu. Elle s'échappa de chez sa mère, et entra à Port-Royal, où elle fut reçue comme novice. C'est à la veille de cet événcment qu'ont été écrites (en 1656) les lettres dont on nous a conservé ces extraits. MM. de Port-Royal en avaient détaché diverses pensées, mais les neuf Extraits ont été retrouvέ3 et publiés par M. Cousin. Voir tome I, pag. 11.

2. C'est-à-dire, éc. ire d'une bonne écriture. Mal écrit se trouve plus loin dans le même

sens.

3. Pseudonyme sous lequel le duc de Luynes a écrit divers ouvrages de piété. Si les dates données dans la Biographie universelle sont exactes, les Sentences tirées de l'Écriture sainte et des Pères (1648) étaient le seul de ces ouvrages qui eût paru en 1656. 4. Je pense qu'il s'agit du livre De la Grâce victorieuse de Jésus-CHRIST, par le sieur de Bonlieu (Noël de Lalane), 1651.

5. C'est-à-dire la conversion de M1le de Roannez, son entrée en religion.

6. Il semble naturel de rapporter cela à la censure prononcée contre Arnauld par la Sorbonne à la fin de janvier 1656 (ce qui donne approximativement la date de cette lettre). Le duc de Roannez était probablement alors avec sa sœur dans son gouvernement de Poitou, et ignorait les détails.

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