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partage. Octave prit l'Espagne et la Numidie; Antoine, la Gaule Chevelue et l'Afrique. La Cisalpine, trop voisine de Rome, devait cesser d'être province. Quant à Lépide, déjà on l'excluait du partage, parce qu'on le croyait d'intelligence avec Pompée. Plus tard, il eut l'Afrique. La part des chefs arrêtée, restait à faire celle des soldats. Antoine se chargea d'aller lever en Asie les 200 000 talents nécessaires. Octave, malade, prit la tâche, en apparence plus ingrate, de donner des terres aux vétérans. Tandis qu'il s'acheminait vers Rome où il allait s'emparer du gouvernement et gagner sûrement les troupes en leur donnant ce qu'Antoine leur avait promis, celui-ci traversait la Grèce, assistant à ses jeux, à ses fêtes et aux leçons de ses rhéteurs. Affable et impartial, il méritait. de leur reconnaissance le titre d'ami des Grecs; mais en Asie, au milieu de ces grandes et voluptueuses cités, le guerrier s'oublia dans les délices. A Ephèse, il entra précédé de femmes vêtues en bacchantes et de jeunes gens habillés en Pans et en satyres. Déjà il prenait les attributs de Bacchus dont il s'appliqua à jouer le rôle dans de continuelles orgies. Pour suffire à ses profusions, il foulait horriblement les peuples. Il exigea d'un coup l'impôt de neuf années, sans compter les confiscations particulières. Pour un bon plat, il donna à son cuisinier la maison d'un citoyen de Magnésie. Effrayée par les menaces de Cassius, Cléopâtre lui avait fourni quelques troupes et de l'argent. Antoine lui demanda raison de cette conduite. Elle vint elle-même à Tarse, en Cilicie, où il se trouvait, dans l'espérance de le gagner, comme César, par ses charmes. Rien ne fut oublié pour faire réussir le complot. « Elle remonta le Cydnus dans un navire dont la poupe était d'or, les voiles de pourpre et les avirons d'argent. Le mouvement des rames était cadencé au son des flûtes qui se mariait à celui des lyres. La reine elle-mème, magnifiquement parée, comme les peintres représentent Vénus, était couchée sous un pavillon broché d'or. De jeunes enfants l'entouraient, habillés en amours, et ses femmes, vêtues en Néréides et en Grâces, tenaient le gouvernail ou les cordages. Les parfums qu'on brûlait sur le navire embaumaient, au loin, les deux rives. « C'est Vénus elle-même! s'é

<«< criaient les habitants éblouis; elle vient chez Bacchus. » Antoine tomba sous le charme, et, quand il vit cette femme : élégante et lettrée, qui parlait six langues, lui tenir tête dans ses orgies et dans ses propos de soldat, il oublia Rome et Fulvie et les Parthes, pour la suivre, dompté et docile, à Alexandrie (41). Alors commencèrent les excès de la vie inimitable, les soupers sans fin, les chasses, les courses sous déguisement, la nuit, dans la ville, pour battre et insulter les gens, au risque du retour.

Guerre de Pérouse (41-40).

Pendant qu'il perdait en d'indignes débauches un temps précieux, sa femme et son frère, en Italie, déclaraient la guerre à Octave. Le jeune César avait irrité Fulvie, femme ambitieuse et emportée, en lui renvoyant sa fille Claudia, qu'il n'avait épousée l'année précédente que pour plaire aux soldats; dès lors elle poussa son beau-frère Antonius, alors consul, à profiter des inextricables difficultés que soulevait le partage des terres. Les vétérans réclamaient les dix-huit villes qui leur avaient été promises. De leur côté, les habitants s'emportaient en vives plaintes contre l'injustice qui les forçait à payer pour toute l'Italie. En outre, ceux-ci demandaient une indemnité et ceux-là de l'argent pour couvrir les frais de premier établissement. En attendant, les nouveaux colons dépassaient leurs limites et usurpaient les champs. voisins. Tous les propriétaires dépossédés n'avaient pas, comme Virgile, de beaux vers pour racheter leurs domaines; ils accouraient à Rome criant misère et ameutant le peuple qui dévastait les maisons des riches et ne voulait plus de magistrats, pas même de ses tribuns, afin de piller plus à l'aise. Poussé par Fulvie, Antonius survint alors, promit sa protection aux Italiens expropriés, et assura aux soldats que s'ils n'avaient pas de terres ou s'ils n'en avaient pas assez, son frère saurait bien les dédommager avec les tributs qu'il levait pour eux en Asie.

Les Italiens s'enhardirent dans leur opposition, en la voyant presque encouragée par un consul. De leur côté, les vétérans récriminaient contre Octave qui ne savait pas tenir ses pro

messes. Ils en vinrent à un tel point d'indiscipline qu'une révolte semblait imminente. Un jour, Octave s'étant fait attendre pour une revue, ils murmurèrent contre lui, et un tribun qui prit sa défense fut jeté dans le Tibre; le général dut se contenter de leur reprocher doucement cette violence.

La situation d'Octave était des plus critiques. Il mit en vente ce qui restait des biens des proscrits, emprunta dans les temples et, faisant argent de tout, ramena par ses largesses quelques-uns de ceux qui l'avaient quitté. Un coup de maître acheva de rétablir ses affaires. Il prit les vétérans pour arbitres entre lui et Antonius, qui refusa de comparaître, et se moqua bien fort avec Fulvie de ce sénat botté. Cette scène n'en rendait pas moins à Octave l'appui de presque tous les vétérans. Les Italiens passèrent du côté opposé. Antonius réunit dix-sept légions, mais composées de recrues; Octave n'en avait que dix, de vieux soldats.

Antonius s'empara de Rome, où il annonça le prochain rétablissement de la république. Mais Agrippa, le meilleur officier d'Octave, le chassa et le serra de si près, qu'il le força à se jeter dans Pérouse, dont une affreuse disette décima la garnison. Le consul fut contraint de céder aux cris de ses soldats et de se rendre (40). Pour ne pas donner un prétexte de guerre à son frère, Octave se contenta de le reléguer er Espagne. Les vétérans furent aussi épargnés et enrôlés dans les légions victorieuses; mais trois à quatre cents chevaliers et sénateurs de Pérouse furent égorgés, et la ville livrée aux flammes.

La destruction de cette antique cité fut le dernier grand acte de cruauté du triumvir. Cependant on craignait de nouvelles proscriptions. Tous les amis d'Antoine s'échappèrent. Pollion, alors consul, passa avec sept légions sur les vaisseaux de Domitius Ahenobarbus, qui, tout en agissant de concert avec Sextus, s'était réservé le commandement indépendant de l'ancienne flotte de Brutus. Fulvie s'enfuit en Grèce, et Octave resta seul maître de l'Italie. Fusius Calénus, qui commandait en Gaule, lui livra son armée et sa province; l'Espagne lui obéissait; l'incapable Lépide, qui ré

clamait son lot, fut envoyé en Afrique avec six légions de soldats mécontents.

Retour d'Antoine en Italie; traités de Brindes et de

Misène (39).

Ni les cris de Fulvie, ni le bruit de cette guerre n'avaient pu distraire Antoine de ses plaisirs; une attaque des Parthes sur la Syrie, où ils étaient appelés, le réveilla enfin. Il allait marcher contre eux, quand la nouvelle que son collègue s'était emparé de toutes les provinces de l'Occident, le détermina à faire voile vers l'Italie. Pollion négocia un rapprochement entre lui et Domitius, et il engagea lui-même Sextus Pompée à seconder son attaque sur Brindes par une diversion du côté du Bruttium et de la Lucanie.

Le danger semblait sérieux pour Octave, mais il tirait une grande force de cette réunion même, contre lui seul, de tous les partis alors en armes. Sa situation se simplifiait; tandis que le camp ennemi allait renfermer un fils de Pompée, un triumvir et un des meurtriers de César, il devenait, lui, le seul représentant du principe nouveau auquel tant d'intérêts s'étaient déjà ralliés; et tel est l'avantage des positions franches et vraies, que cette menaçante coalition était au fond peu redoutable. Mais les soldats ne permirent pas qu'on tranchât encore la question. Ils forcèrent leurs chefs à traiter, et Coccéius Nerva, ami des deux triumvirs, ménagea entre eux un accommodement; les conditions en furent arrêtées par Pollion et Mécène, et la mort de Fulvie en hâta la conclusion. Un nouveau partage du monde romain donna à Antoine l'Orient jusqu'à la mer Adriatique, avec l'obligation de combattre les Parthes, et l'Occident à Octave avec la guerre contre Sextus. Ils laissèrent l'Afrique à Lépide, et convinrent que quand ils ne voudraient pas exercer eux-mêmes le consulat, ils y nommeraient tour à tour leurs amis. Octavie, sœur du jeune César, épousa l'autre triumvir. Ils revinrent tous les deux à Rome pour célébrer cette union.

Les fêtes furent tristes, car le peuple manquait de pain. Sextus, qui n'avait pas été compris dans le traité de Brindes, continuait à intercepter les arrivages, et le peuple de

mandait la paix à grands cris. Un nouvel édit qui obligeait les propriétaires à fournir 50 sesterces par tête d'esclave, et qui attribua au fisc une portion de tous les héritages, causa une émeute. Antoine se lassa le premier de ces cris et pressa son collègue de traiter avec Pompée. Ils s'abouchèrent tous trois au cap Misène, et l'on convint que Sextus aurait pour province la Sicile, la Corse, la Sardaigne et l'Achaïe, avec une indemnité de 17 500 000 drachmes.

Quand on vit les trois chefs franchir l'étroite barrière qui les séparait, et s'embrasser en signe de paix et d'amitié, un même cri de joie partit de la flotte et de l'armée. Il semblait que ce fût la fin de toutes les guerres et de tous les maux. L'Italie n'allait plus craindre la famine; les exilés, les proscrits retrouvaient leur patrie. Les trois chefs se donnèrent des fêtes. Le sort désigna Pompée pour traiter le premier ses nouveaux amis. Au milieu du festin, Ménas vint lui dire à l'oreille : : « Voulez-vous que je coupe les câbles, et je vous rends maître de tout l'empire?» Il réfléchit un instant, puis répondit : « Il fallait le faire sans m'en prévenir (39).

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De retour à Rome, Octave partit pour aller soumettre quelques peuples gaulois révoltés, et Antoine pour attaquer les Parthes. Il emportait un sénatus-consulte qui ratifiait d'avance toute sa conduite. Le sénat devait s'estimer heureux qu'un de ses maîtres lui eût demandé un décret; car cet acte prouvait qu'il existait encore, alors qu'on eût pu croire qu'il était pour jamais dissous. Aux négociations de Misène, il n'avait pas plus été question de ce grand corps que de Lépide; et, pour l'avilir davantage, les triumvirs y faisaient entrer des soldats, des barbares, même des esclaves; un de ceux-ci obtint la préture. Il est vrai qu'on avait porté le nombre des préteurs à 77.

Quant au peuple, les jours de comices, il recevait des ordres écrits et votait en conséquence. Assemblée du peuple, assemblée du sénat, tout cela servait de formalités pour légaliser l'usurpation.

Guerre contre Sextus Pompée (36); déposition de Lépide.

La paix de Misène n'était qu'une trêve, car il n'était pas

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