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mille ans dans l'avenir, qu'à deux mille ans dans le passé. Cette manière de voir, plus conforme à notre nature divine, fixerait notre bienveillance sur des objets sensibles, qui existent, et qui doivent encore exister (1).

(1) Il y a un grand caractère dans les ouvrages de la Divinité. Non-seulement ils sont parfaits, mais ils vont toujours en croissant de perfection. Nous avons dit quelque chose de cette loi, en parlant des harmonies des plantés. Un jeune plant vaut mieux que là graine qui l'a produit; un arbre en fleurs et en fruits, mieux qu'un jeune plant; enfin, un arbre n'est jamais plus beau que quand, devenu vieux, il est entouré d'une forêt de jeunes arbres sortis de ses semences. Il en est de même de l'homme. L'état d'un embryon vaut mieux que celui du néant; celui de l'enfance, que l'état d'embryon. L'adolescence est préférable à l'enfance, et la jeunesse, saison des amours, l'emporte sur l'adolescence. L'homme dans l'âge viril, chef d'une famille, est préférable à un jeune homme. La vieillesse, qui l'entoure d'une postérité nombreuse, qui, par son experience, l'admet aux conseils des nations, qui ne suspend en lui l'empire des passions que pour donner plus de pouvoir à celui de sa raison; la vieillesse, qui semble le mettre au rang des dieux par les espérances multipliées que lui ont données l'exercice de la vertu et les lois de la Providence, vaut mieux que tous les âges de la vie. Je voudrais qu'il en fût ainsi de l'âge de la France, et que le siècle de Louis XVÍ surpassât en bonheur tous ceux qui l'ont précédé.

Nous nous ménagerions à nous-mêmes, pour nos vieux jours si tristes et si rebutés, la reconnaissance de la génération qui va venir nous remplacer; et en assurant, son bonheur et le nôtre, nous concourerions, de tous nos moyens, à celui de la patrie.

Pour contribuer à cette heureuse révolution, je hasarderai encore quelques idées rapides. Je suppose donc que j'aye à employer utilement une partie des douze années que perdent nos jeunes gens dans les colléges. Je réduis le tems de leur éducation à trois époques de trois années chacune. La première aura lieu à sept ans, comme chez les Lacédémoniens, et même auparavant : un enfant est susceptible d'une éducation patriotique, dés qu'il sait parler et marcher. La seconde commencera à l'adolescence; et la troisième finira avec elle vers la seizième année, âge où un jeune homme peut être utile à sa patrie, et embrasser un état.

Je disposerais d'abord, vers le centre de Paris, un grand édifice bâti intérieurement en amphithéâtre circulaire, divisé par gradins. Les maîtres, destinés à l'éducation, se tiendraient au centre dans le bas, et il y aurait en haut plusieurs rangs de galeries, afin de multiplier les places pour les auditeurs. Il y au

rait au-dehors et tout autour de ce bâtiment ; de larges portiques à plusieurs étages, destinés à recevoir le peuple. On lirait ces mots sur le fronton de l'entrée :

ÉCOLES DE LA PATRI E.

Je n'ai pas besoin de dire que les enfans passant trois années dans chaque époque de leur éducation, il faudrait un de ces édifices pour l'instruction de la génération annuelle, ce qui fixerait au nombre de neuf celui des monumens destinés à l'éducation générale de la capitale.

Autour de chacun de ces amphithéâtres, serait un grand parc couvert de plantes et d'arbres du pays, jetés au hasard comme dans la campagne et dans les bois. On y verrait des primevères et des violettes au pied des chênes, des poiriers et des pommiers confondus avec des ormes et des hêtres. Les berceaux de l'innocence ne seraient pas moins intéressans que les tombeaux de la vertu.

Si j'ai desiré qu'on élevât des monumens à la gloire de ceux qui ont enrichi notre climat de plantes exotiques, ce n'est pas que je préfère celles-là à celles de la patrie; mais c'est pour rendre à la mémoire de ces citoyens, une partie de la reconnaissance que nous de

vons à la nature. D'ailleurs, les plantes les plus communes de nos campagnes, indépendamment de leur utilité, sont celles qui nous rappellent les sensations les plus agréables : elles ne nous jettent pas au-dehors comme les plantes étrangères, mais elles nous raménent au-dedans et à nous mêmes. La sphère emplumée d'un pissenlit, me fait ressouvenir des lieux où, assis sur l'herbe avec des enfans de mon âge, nous tentions d'enlever, d'un seul souffle, toutes ses aigrettes, sans qu'il en restât une seule. La fortune a soufflé de même sur nous, et a dispersé nos cercles légers dans tous les pays du monde. Je me rappelle, en voyant certains épis de graminées, l'âge heureux où nous conjuguions sur leurs stipules alternatives, les différens tems et les différens modes du verbe aimer. Nous tremblions d'entendre nos compagnons finir à la derniéré, par: « Je ne vous aime plus ». Ce ne sont pas les plus belles fleurs que nous affectionnons davantage. Le sentiment moral détermine à la longue tous nos goûts physiques. Les plantes qui me semblent les plus malheureusés, sont aujourd'hui celles qui m'inspirent le plus d'intérêt. Souvent je fixe mon attention sur un brin d'herbe au haut d'un vieux mur, ou sur une scabieuse battue des vents au mi

lieu d'une plaine. Plus d'une fois, en voyant dans les pays étrangers, un pommier sans fleurs et sans fruits, je me suis écrié : « Oh! pour» quoi la fortune vous a-t-elle refusé, comme » à moi, un peu de terre dans votre terre >> natale »> ?

A

Les plantés de la patrie nous en rappellent par-tout l'idée d'une manière plus touchante que ses monumens. Je n'épargnerais donc rien pour les réunir autour des enfans de la nation. Je ferais de leur école un lieu charmant comme leur âge, afin que quand les injustices de leurs patrons, de leurs amis, de leurs parens, de la fortune, auraient brisé dans leurs cœurs tous les liens de la patrie, le lieu où leur enfance aurait été heureuse, fût encore leur capitole.

Je le décorerais de quelques tableaux. Les enfans, ainsi que le peuple, préfèrent la peinture à la sculpture, parce que cette dernière a pour eux trop de beautés de convention. Ils n'aiment point les figures toutes blanches, mais avec des joues rouges et des yeux bleus, comme leurs images de plâtre. Ils sont plus frappés des couleurs que des formés. Je voudrais qu'on y vît les portraits de nos rois enfans. Cyrus élevé avec des enfans de son âge, en fit des héros; les nôtres seraient élevés au

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