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dans cette partie de l'ame qu'on appelle la partie inférieure, des mouvemens subits et violens qui préviennent la raison, et qui sont en nous comme autant de funestes instincts qui nous portent au mal. Ce sont ces sentimens que nous désignons par le nom de passions. Or, parmi ces passions, il y en a quatre principales dont naissent toutes les autres: l'orgueil, la sensualité, la cupidité, la colère.

L'orgueil est dans l'homme un amour déréglé de sa propre excellence : cet amour lui inspire une estime injuste de lui-même, une vaine complaisance en luimême, une folle admiration de lui-même ; cet amour fait que l'homme se confie témérairement en lui-même, et présume tout de ses forces; il le pousse sans cesse à. vouloir s'élever au-dessus des autres hommes, et dominer sur eux; il le porte: à désirer, contre l'ordre, l'approbation, les louanges, le respect et même les hom mages des autres hommes.

La sensualité est dans l'homme un désir immodéré des plaisirs des sens. Ce désir fait que l'homme se livre à la mollesse, au repos, aux excès de la table; qu'il recherche les voluptés de toute espèce, même les plus déshonnêtes.

La cupidité est un désir déréglé des richesses: cette passion naît des deux précédentes, dont elle est, pour ainsi dire, le

ministre; car, par les richesses, l'orgueilleux s'ouvre la voie à tous les honneurs, et le voluptueux achète tous les plaisirs.

Enfin, la colère est dans l'homme un mouvement violent, qui le porte à repousser tout ce qui s'oppose aux désirs que les trois autres passions lui font concevoir.

Quoique vous n'ayez encore qu'une connaissance très légère de l'histoire, mon cher Théotime, vous savez cependant que ce sont ces quatre passions qui ont causé tous les maux dont la terre a été le théâtre depuis qu'elle est habitée par les hommes; qu'elles l'ont souillée de mille crimes et inondée de sang; qu'elles ont porté le ravage de tout côté, et ont fait une infinité de malheureux. Un temps viendra où vous verrez de vos yeux ce que vous ne savez encore que par ouï-dire: fasse le ciel que votre expérience personnelle ne se joigne pas aux expériences étrangères, pour vous donner sur ce point de tristes et humiliantes lumières; et qu'après avoir vu mille exemples des maux que les passions font aux hommes, vous n'en soyez pas vousmême une exemple effrayant!

I importe done souverainement à l'homme de réprimer ces passions, qui sont si funestes à son innocence, à son repos et à son salut, et qui deviennent toujours ses tyrans quand il n'en fait pas ses esclaves. La grande science de l'homme, c'est de

connaître la malignité de ces passions; le grand art de l'homme, c'est celui de ne se laisser pas surprendre par ces passions; le seul bonheur de l'homme en ce monde c'est de se rendre maître de ces passions. Tout le secret du salut consiste pour l'homme, à combattre continuellement contre ces passions, et à ne leur jamais céder la victoire. O Théotime, que l'Homme-Dieu était convaincu de ces vérités ! Car si l'on examine l'Evangile avec attention, on verra qu'à proprement parler sa morale n'a point d'autre but que d'apprendre aux hommes à connaître, à craindre et à réprimer ces passions. Exhortations, paraboles, maximes, mais sur-tout préceptes et conseils; tout roule là-dessus.

PRECEPTES DE JESUS-CHRIST

Touchant l'Orgueil.

L'ORGUEIL, mon cher Théotime, est de toutes les passions la plus injuste et la plus funeste, et cependant c'est celle qui est la plus naturelle à l'homme. Aucun d'eux n'en est entièrement exempt. De toutes les passions, c'est la seule que chaque homme hait et condamne dans tous les autres hommes, pendant qu'il l'approuve toujours en lui-même.

Pour guérir l'homme de cette passion, il était donc d'abord nécessaire de lui en

faire connaître l'injustice; et voici comment Jesus-Christ y procède.

1.o Il déclare et prouve aux hommes, qu'ils n'ont rien et qu'ils ne peuvent rien d'eux-mêmes, si Dieu ne leur prête son secours, ou comme auteur de la nature, ou comme auteur de la grace. « Qui de » vous, dit-il dans un endroit, peut, à » force de penser, ajouter à sa taille la » hauteur d'une coudée? » Et dans un autre lieu : « Vous ne pouvez rendre un » seul cheveu de votre tête, blanc ou > noir. » Conime s'il leur disait : O présomptueux mortels, qui vous confiez si témérairement dans vos forces prétendues, et qui vous en prévalez si insolemment, á quoi pensez-vous? Quelqu'un de vous peut-il ajouter une coudée à sa hauteur? Que dis-je ? quelqu'un de vous peut-it seulement changer la couleur d'un de ses cheveux? Eh! comment pourriez – vous donc donner à votre corps un membre ou un sens de plus ? Et si vous ne pouvez faire le plus léger changement dans votre corps, ni lui donner le moindre agrément qui lui manque, comment pourriez-vous changer votre ame, soit en l'enrichissant de quelque nouvelle faculté, soit en donnant aux facultés qu'elle possède, une plus grande étendue, ou le moindre degré de perfection? Tel est le raisonnement renfermé dans les paroles de Jesus-Christ,

que je viens de rapporter paroles qui portent un terrible coup à l'orgueil humain; mais il fallait quelque chose de plus pour abattre ce monstre.

L'homme est libre, et il sait qu'il l'est; il le sait parce qu'il le sent, comme nous l'avons montré ailleurs. Là-dessus l'homme se persuade qu'il n'a besoin que de luimême pour être bon, comme il n'a besoin que de lui-même pour être méchant; qu'il ne doit la vertu qu'à lui-même, et ne la tient que de lui-même; qu'il lui est aussi facile de se relever de ses chutes que de tomber, et de passer du vice à la vertu que de la vertu au vice. C'est une erreur dans l'homme de penser ainsi; et cette erreur lui est d'autant plus funeste, qu'elle est plus agréable et plus flatteuse. JesusChrist l'en désabuse par ces paroles, que nous ne saurions jamais assez méditer.. (Saint Jean, ch. 15, 4.) « Comme la » branche de la vigne ne saurait porter de » fruit d'elle-même, mais qu'il faut qu'elle > demeure attachée au cep; ainsi vous n'en » pouvez porter aucun, si vous ne demeu>> rez en moi je suis le cep de la vigne, et » vous êtes les branches. Celui qui de> meure en moi, et en qui je demeure, >> porte beaucoup de fruit; car vous ne

a

pouvez rien faire sans moi : c'est-à-dire, rien d'utile au salut, rien qui soit méritoire pour la vie éternelle, rien de

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