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peuples, dont la langue, la Religion, les lois, n'ont rien de commun, ne s'accorderaient pas sur ce point, si elles n'avaient la vérité pour base'.

Une épreuve analogue peut être faite sur le point du récit de Moïse qui a trait au fondement de notre Religion: la déchéance et la réhabilitation de l'humanité.

La déchéance a été pour le monde moral ce que le déluge a été pour le monde physique. Ouvrons les entrailles de ce monde moral, et nous n'y verrons pas moins clairement empreintes les traces de ce grand cataclysme du mal, avec les caractères qui lui sont assignés par l'historien sacré.

Interrogeons ensuite les traditions des différents peuples, et nous les verrons toutes, quelles que soient les distances et les coutumes qui les séparent, présenter encore sur ce point de la déchéance et de la future réhabilitation de l'humanité une concordance non moins frappante et non moins décisive que celle qui faisait conclure à M. Cuvier qu'elles avaient la vérité pour base.

Ce n'est pas tout nous avons un troisième élément de vérification d'une portée immense et dont était dépourvue la géologie sur le point qui la concernait. Dans la partie religieuse de ses récits Moïse ne raconte pas seulement l'histoire du passé, il raconte aussi celle de l'avenir, l'histoire de toutes les nations, notre propre histoire, lorsqu'il annonce qu'un descendant de la femme brisera la tête du

' Disc. sur les révolutions du globe, p. 145, 220, 280.

serpent et que tous les peuples de la terre seront bénis en celui qui doit être envoyé, celui qui sera l'attente de toutes les nations. C'est par là surtout que nous pouvons contrôler le récit de Moïse et que nous le verrons recevoir la plus éclatante justification dans les circonstances de la venue et du règne de Jésus-Christ, et devenir par contre-coup la preuve du christianisme lui-même, avec lequel il ne fera qu'une seule et même vérité.

La nature humaine, les traditions universelles,-l'apparition du christianisme,- quelles preuves!-Quel est l'esprit vraiment philosophique qui n'en serait pas satisfait, quand bien même il ne serait pas déjà établi par les sciences exactes que Moïse est inspiré? celles-ci se sont contentées à moins pour tirer cette conclusion; et nous qui à cette conclusion déjà obtenue pouvons joindre de nouvelles preuves si larges et si imposantes, nous porterions plus loin l'exigence? s'il en était ainsi, malheur à nous! Il eût mieux valu n'avoir jamais recherché la vérité, car, lorsque sa lumière portée jusqu'à un certain point n'éclaire pas, elle aveugle. C'est avec la sérieuse attention que cette réflexion doit nous inspirer, que je vous propose d'aborder en premier lieu l'étude de la nature humaine.

Souvent, dans mes longues insomnies, disait la Phèdre antique, j'ai réfléchi sur les sources des faiblesses et des vices de l'humanité; nous voyons le bien et nous faisons le mal; nous connaissons la vertu et nous nous livrons au vice: la vie est semée

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de divers écueils vers lesquels un dangereux penchant nous entraîne..... En faisant ces réflexions je me croyais moi-même à l'abri de tout égarement, quand une passion coupable est venue d'un trait imprévu percer mon cœur 1.

Cette vérité, exprimée et mise en action sur le théâtre d'Athènes par Euripide, et reproduite à deux mille deux cents ans d'intervalle sur la scène française par Racine, est la plus ancienne, la plus constante, la plus universelle, et en même temps la plus inexplicable à la raison, de toutes les vérités.

Ce que le poëte grec, dans ses longues insomnies, n'a pas trouvé en effet, et ce que le poëte français, éclairé d'une lumière supérieure, avait appris, c'est la cause et le remède de cette étrange sujétion de la volonté de l'homme à l'empire du mal, qui faisait dire à Racine, après saint Paul :

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !

Je trouve deux hommes en moi :
L'un veut que, plein d'amour pour toi,

Mon cœur te soit toujours fidèle;
L'autre, à tes volontés rebelle,

Me révolte contre ta loi 2.

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Euripide, Tragédie d'Hippolyte, acte 11, scène 11. — Traduction de Geoffroy.

2 Chacun de nous peut dire comme Louis XIV, lorsque Racine lui lut ce beau cantique : - « Voilà deux hommes que je

» connais bien ! »

Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix?
Je veux et n'accomplis jamais.
Je veux; mais (ô misère extrême!)
Je ne fais pas le bien que j'aime
Et je fais le mal que je hais.

O grâce, ô rayon salutaire!

Viens me mettre avec moi d'accord;
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire

De cet esclave de la mort.

Scrutons cette importante vérité, et descendons dans les abîmes du cœur humain, qui en est le théâtre, pour l'y voir de nos propres yeux.

I. Nous sommes portés au mal. C'est un fait patent. Notre volonté est blessée. Elle incline visiblement vers la violation des lois de notre nature morale. Il suffit qu'une chose soit défendue, c'està-dire contre la raison et la conscience, pour que, dès lors, elle devienne attrayante, et pour que notre volonté tende vers elle. Nitimur in vetitum.

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Assurément c'est là une grande anomalie. Tout suit sa loi dans la nature; tout, depuis l'insecte jusqu'aux astres, marche dans l'ordre et concourt à l'harmonie universelle qui révèle l'intelligence créatrice de l'univers. L'homme seul tourne au désordre et présente dans ses sociétés un tel chaos d'er

reurs et de vices que cette grande vérité de l'existence d'un Dieu en est obscurcie, et qu'il faut sortir de l'humanité pour la retrouver; de sorte que c'est le chef-d'œuvre qui dément et qui accuse l'ouvrier. C'est là, dis-je, une grande anomalie 1.

Et qu'on ne dise pas que l'homme seul étant li– bre, il n'est pas étonnant que seul il puisse errer;— car je réponds aussitôt que ce n'est pas de la possibilité d'errer qu'il s'agit, mais de la facilité d'errer, mais de la préférence pour l'erreur, et de la déclinaison vers le mal.

Pour que l'homme fùt dans l'ordre et que cet édifice fùt tel qu'il a dû être par analogie avec toute la création, il faudrait au moins que sa liberté fût en équilibre et comme d'aplomb sur elle-même. Il faudrait plus cette liberté, comme un instrument bien dressé, a dû être mise dans l'homme toute

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
(Boileau, Sat. vII.)

Jamais le génie de la satire n'a mieux rencontré et n'a fourni des développements plus heureux et plus piquants que ceux que présente ce chef-d'œuvre de Boileau. Toutefois il n'a peint que le mauvais côté de l'humanité, et le portrait qu'il en a tracé n'est bon à opposer qu'à ceux qui veulent en dissimuler les misères. La vérité exige de tenir compte aussi de ses grandeurs, et le problème est de concilier les unes et les autres.

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