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trouvent profondément enracinės. Nul n'est entièrement exempt de leurs atteintes, et c'est le mal le plus intime de notre être moral,depuis que l'homme a été corrompu dans son fond.

Assurément, les lumières qui nous éclairent le plus complétement à cet égard, doivent venir de Celui qui connaît mieux que nous le fond même de la triste humanité en nous, et toute notre corruption. Aussi n'est-ce pas un des caractères les moins frappants de la divinité de nos saintes Écritures que l'énergie, la clarté, la profondeur avec lesquelles la Bible nous révèle ceux de nos vices qui sont la source de tous les autres. On admire là l'œil de Dieu, sondant d'un regard perçant la nature humaine, et découvrant à l'homme tout ce qu'il y a de plus intime et de plus caché en lui-même.

Or, voici ce que dit à ce sujet saint Jean l'évangéliste : Omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vitæ.

Ces trois mots sont l'explication la plus complète du fond des choses humaines. La philosophie antique, dans ce qu'elle a dit de plus sage, n'a rien prononcé qui égale en profondeur, sur la question présente, ce simple verset de saint Jean. Sans la lumière de ces paroles, le monde moral, l'humanité tout entière, n'est qu'une énigme.

Tous les maux de la nature humaine proviennent de ces trois principes: il y en a un des trois néanmoins, qu'on peut regarder comme le plus fécond et qui résume tout: C'est l'orgueil, superbia vitæ. En effet, outre les nombreux et hideux enfants qui lui sont tout à fait propres, il est aussi, si l'on y regarde de près, le père des deux autres principes mauvais signalés ici. L'Écriture, dans un autre passage, enseigne elle-même cette triste et mystérieuse unité des principes vicieux qui sont en nous : Initium omnis peccati superbia.

Cependant, comme pour rapporter ainsi tout mal à l'or

gueil il faut une réflexion très-attentive et une recherche quelquefois fort difficile, la désignation explicite donnée par saint Jean de trois principes qui engendrent tout mal en nous, orgueil, sensualité, cupidité, cette désignation, disje, est plus propre à faire comprendre à tous comment naissent les défauts et les vices qui sont les plaies de l'humanité.

Mais, chose bien remarquable, ces trois paroles profondes où l'évangéliste a résumé tout le mal du cœur humain, c'est aux jeunes gens, c'est aux enfants mêmes qu'il les adresse, non moins qu'aux hommes faits, parce que cette concupiscence est dans les enfants et les jeunes gens aussi bien que dans les hommes; parce que les enfants et les jeunes gens sont les hommes de l'avenir; parce que toute la vie est en germe dans l'enfance et la jeunesse, et que là, dans ces jeunes cœurs, sont les semences de tout ce qui doit se lever et éclater plus tard. C'est donc dans ce premier âge qu'il faut combattre la triple concupiscence, sous peine de la voir plus tard pousser des jets vigoureux et terribles.

Mais c'est aussi toute la vie qu'il faut lutter contre elle. C'est pourquoi saint Jean appelle à cette œuvre tous les âges, les pères comme les fils, les maîtres en même temps que leurs disciples, les vieillards comme les jeunes gens, les adolescents, et les enfants eux-mêmes. C'est à tous, sans exception, qu'il s'adresse: aux pères, scribo vobis, patres : aux jeunes gens, aux adolescents, aux enfants, vobis, juvenes, adolescentes, infantes. Et saint Jean donne lui-même la raison de cet appel spécial à la jeunesse : parce que c'est l'âge des généreuses ardeurs, des vaillants combats. Scribo vobis adolescentes, quia vicistis malignum; je vous écris, jeunes gens, parce que vous avez vaincu le malin et le mal: Scribo vobis juvenes, quoniam fortes estis; je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts.

Oui, malgré la faiblesse de l'âge, la jeunesse chrétienne est forte; elle a en elle une source divine de force et de

DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS. vertu laquelle? l'Apôtre le dit: Et Verbum Dei manet in vobis et le Verbe de Dieu demeure en vous voilà pourquoi la jeunesse chrétienne est forte, elle a en elle le Verbe de Dieu, les clartés révélatrices et inspiratrices de la foi, et par ces vertus divines elle triomphe du malin, et vicistis malignum.

Vous, donc, qui élevez les jeunes générations et qui avez aussi en vous le Verbe de Dieu, la force surnaturelle de la foi et de la grâce, appelez la jeunesse chrétienne, et guidez-la aux saints combats, à la lutte contre le malin, contre le mal, contre la triple concupiscence: car, tout le succès de son éducation dépend de là.

Je l'ai dit déjà, et je le répète : Quiconque ne sait pas que, dans la grande œuvre de l'Éducation, c'est contre la triple concupiscence qu'il lutte, ne sait rien, ne fait rien !

Et au fond, ici, les principes de l'Éducation se rencontrent avec la plus haute morale chrétienne, qui signale toujours cette triple concupiscence comme l'éternel ennemi de l'âme et du salut, et enseigne qu'il la faut sans cesse mortifier, la crucifier, l'attacher aux trois branches de la croix. Il se trouve ainsi que la grande doctrine de la mortification chrétienne, qui fait le fond de la morale médicinale de l'Évangile, est aussi le nerf de toute vraie Éducation; et ici encore se vérifie admirablement la parole de saint Paul: Pietas ad omnia utilis est, la piété est utile à tout.

C'est pour cela que dans une maison d'Éducation chrétienne on attache tant d'importance à la piété.

Mais, entrons dans tout le détail de ce triste et important sujet.

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L'orgueil, le premier et le plus fécond des péchés capitaux, occupe une triste et grande place dans la vie humaine. Nul vice n'étend plus loin son empire. Il se rencontre chez tous les hommes, à tous les âges, dans toutes les conditions de la vie. Il se mêle à tout, il envahit tout c'est le mal universel. « C'est ce vice, dit admirablement Bossuet, qui s'est coulé « dans le fond de nos entrailles, à la parole du serpent, qui « nous disait, en la personne d'Ève: Vous serez comme des « Dieux, eritis sicut dii. Nous avons avalé ce poison mortel. « Il a pénétréjusqu'à la moelle de nos os, et toute notre âme << en est infectée 1. »

C'est encore la tentation de toute créature. S'exalter, s'enivrer de sa propre excellence, monter, monter toujours dans sa pensée, dans son cœur, dans sa vie, c'est le rêve de l'orgueil en toute âme.

L'orgueil est donc tout à la fois la maladie la plus ancienne de notre nature, et la blessure la plus dangereuse que l'antique ennemi du genre humain nous ait faite; et il nous l'a faite au cœur, à tous, et d'une profondeur effrayante.

Traité de la concupiscence, chap. 10.

Ce vice est d'ailleurs celui qui éclate le plus vite en nous. Il y a des vices qui sommeillent plus ou moins longtemps chez les enfants: l'orgueil, au contraire, s'y développe de bonne heure, et quelquefois dans des proportions étranges. Il y a des enfants qui sont déjà, littéralement, des prodiges II d'orgueil à dix ans, et même plus tôt.

Chose triste à dire, la vertu même n'est pas à l'abri de ses atteintes comme un ver rongeur, l'orgueil se glisse secrètement dans les cœurs les plus purs, et gâte, corrompt à leur racine les meilleures actions, les plus belles vertus. On trouve quelquefois des âmes qui seraient nobles, qui seraient grandes, qui ont des élans et des ardeurs vers le bien, vers le beau : mais l'orgueil, qui est au fond de ces âmes, répand sur elles je ne sais quel souffle malfaisant qui flétrit tous leurs charmes.

<< Le plus grand mal de l'homme, dit quelque part Platon, << est un défaut qu'on apporte en naissant; que tout le monde «se pardonne, et dont par conséquent personne ne travaille « à se défaire c'est ce qu'on appelle l'amour-propre. >>

Ce mal, Platon a bien pu le signaler; mais indiquer le re-mède à un mal si profond, et surtout en faire accepter le traitement radical, c'est ce que Platon ni personne n'eût jamais pu faire. Hoc Plato nescivit, dit saint Jérôme. Jésus-Christ l'a fait, et c'est en quoi il s'est montré Dieu : « Apprenez de moi à être doux et humbles de cœur. » Admirable parole! On voit bien là le médecin divin, mettant du premier coup la main et le remède sur la plus vive plaie de notre nature et à l'endroit précis du mal.

Nous dirons bientôt tout ce que l'orgueil enfante de vices hideux dans l'âme. Et néanmoins rien n'est plus difficile à observer et à bien définir que l'orgueil; parce que, si sa fécondité est prodigieuse, ses déguisements et ses artifices sont innombrables. Grossier de son fond, il a ses subtilités et ses ruses, et quelquefois des raffinements inouïs;

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