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verges, continuellement exposés au danger de perdre la vie, étrangers à toute espèce d'éloquence, à tous les artifices du langage; et il voit tomber à ses pieds les savants et les ignorants, les rois et les armées, les Grecs et les barbares; partout on l'accueille, on l'adopte, on fléchit sous cette loi. (SAINT JEAN-CHRYSOSTÔME.)

24. Et les apôtres, s'en allant, prêchèrent partout, le Seigneur agissant avec eux, et confirmant leur parole en la faisant suivre par des prodiges. Nous voyons dans ce monde ceux qui sont élevés au comble de la gloire n'en conserver la jouissance que durant leur vie. Sont-ils morts, toute cette gloire s'évanouit avec eux. Tel est le dénoûment commun des richesses et de la puissance; les rois eux-mêmes n'en sont pas affranchis. Dans le même tombeau viennent s'abattre et les lois qu'ils ont portées, et les statues érigées en leur honneur, et le souvenir de leurs actions; leur nom s'efface, et, jusqu'à leur famille, tout tombe dans l'oubli. Ils ont eu beau mettre des armées sur pied, exciter des révoltes parmi les peuples, rappeler les bannis, tremper leurs mains dans le sang de leurs maîtres, tout éclatante que fut leur gloire, ils n'en conservent rien dans le tombeau. Il n'en est pas ainsi de JésusChrist. Avant son crucifiement, quelle apparente abjection! A peine a-t-il été mis à mort, que, pour manifester qu'il y avait en lui autre chose qu'un homme, bien loin que sa gloire succombe sous les coups de la mort, il se relève avec plus d'éclat. Le premier de ses apôtres, qui avait pâli à la voix d'une servante et protesté qu'il ne connaissait pas cet homme, court l'annoncer par toute la terre, et des peuples tout entiers de saints confesseurs se laissent égorger pour sa gloire. L'étroite enceinte qui fut son sépulcre est devenue plus auguste et plus vénérable que les palais et que la personne même des monarques. L'éclat de son nom rejaillit jusque sur ses disciples. Ces mêmes hommes, pendant leur vie l'objet du mépris et de la haine publique, qui ne trouvaient que sur les échafauds le terme de leurs longues et cruelles souffrances, c'est après leur mort que vous les voyez plus honorés que les rois eux-mêmes, jusque dans Rome, la plus royale des cités, où les maîtres du monde s'empressent de venir avec toute leur cour se prosterner au pied du tombeau d'un faiseur de tentes. Dans la ville où nous sommes, à Constantinople, les empereurs regardent comme une insigne faveur, pour eux et pour les membres de leur famille, le privilége de reposer, sinon auprès des saints apôtres, au moins dans les vestibules des temples qui leur sont consacrés, et d'être, après leur mort, les gardiens de la dépouille de ces hommes de néant.

Eh! qu'était-ce donc que cette croix par laquelle se termine sa vie? le signe de la malédiction, le genre de mort le plus infâme de tous, le seul à qui fut attaché le sceau de la malédiction. Dans les anciennes législations, les criminels condamnés à la mort mouraient, soit par le feu, soit sous les pierres dont ils étaient accablés, soit de toute autre manière; on se contentait de la mort pour leur supplice; mais le crucifiement entraînait, outre la mort, l'ignominie et la malédiction. Maudit soit, dit l'Écriture, celui qui est suspendu au bois. Cependant cet objet de malédiction et d'infamie, ce signe odieux du dernier supplice, le voilà proposé à tous les hommages comme à tous les vœux. La couronne des monarques est pour leurs têtes un ornement moins illustre que cette croix, plus précieuse que le monde entier. Et, ce que naguère on n'envisageait qu'avec horreur, on en fait aujourd'hui sa plus riche parure. Tous, depuis les rois jusqu'aux habitants des chaumières, en impriment le signe sur leur front, en décorent la plus noble partie d'eux-mêmes et l'y gravent à tous les moments du jour comme une inscription sur une colonne. On porte la croix au banquet sacré dans l'imposition des mains que fait le prêtre, dans la participation au pain eucharistique qui nous incorpore la chair de Jésus-Christ. Elle se montre en triomphe dans les maisons, dans les places publiques, dans les solitudes, dans les chemins au milieu des montagnes, sur le soinmet des collines et dans le fond des vallons, sur les navires que bat la tempête et dans les îles les plus éloignées. Elle se produit dans tous les actes de la vie, tant généraux que particuliers; sur les murailles des édifices, mêlée aux pierres les plus précieuses, appliquée sur les corps des animaux malades et des hommes possédés du démon. Après cela, que les Gentils me répondent comment un signe d'opprobre et de malédiction est devenu quelque chose de si honorable, autrement que par la vertu toute-puissante du Crucifié? Parmi les instruments de supplice dont la justice humaine déploie sous nos yeux le formidable appareil, vous comptez les chevalets, les fouets, les ongles de fer, les diverses tortures imaginées pour imprimer la souffrance; je demande qui les voudrait avoir dans sa maison, y porter seulement la main? Qui est-ce qui voudrait se rencontrer dans le voisinage du bourreau quand il exécute son terrible office? Quel effroi en leur présence! La peur qu'ils inspirent va jusqu'à attacher à leur simple aspect, de sinistres pressentiments. La croix, au contraire, bien loin de la repousser de ses regards, on s'en dispute la moindre parcelle, on l'enchâsse dans les plus riches métaux, on s'en fait une parure, on se met à cou

vert sous cette égide. Un si merveilleux changement, de qui peut-il être l'ouvrage, sinon de celui qui dispose de tout à son gré, qui a purifié le monde et transporté le ciel sur la terre? (SAINT JEAN-CHRYSOSTOME.)

24. Et les apôtres, s'en allant, préchèrent partout, le Seigneur agissant avec eux, et confirmant leur parole en la faisant suivre par des prodiges.- Pendant que l'ancien peuple est réprouvé pour son infidélité, le nouveau peuple s'augmente tous les jours parmi les Gentils. L'alliance autrefois faite avec Abraham s'étend, selon sa promesse, à tous les peuples du monde qui avaient oul. tié Dieu; l'Église chrétienne appelle à lui tous les hommes, et, tranquille durant plusieurs siècles, parmi des persécutions inouïes, elle leur montre à ne point attendre leur félicité sur la terre. C'était là le plus digne fruit de la connaissance de Dieu, et l'effet de cette grande bénédiction que le monde devait attendre par Jésus-Christ. Elle allait se répandant tous les jours de famille en famille et de peuple en peuple, pour leur faire connaître l'aveuglement où l'idolâtrie les avait plongés; et, malgré toute la puissance romaine, on voyait les chrétiens, sans révolte, sans faire aucun trouble, et seulement en souffrant toutes sortes d'inhumanités, changer la face du monde, et s'étendre par tout l'univers. La promptitude inouïe avec laquelle se fit ce grand changement est un miracle visible. Jésus-Christ avait prédit que son Évangile serait bientôt prêché par toute la terre cette merveille devait arriver incontinent après sa mort; et il avait dit qu'après qu'on l'aurait élevé de terre, c'est-à-dire qu'on l'aurait attaché à la croix, il attirerait à lui toutes choses. Ses apôtres n'avaient pas encore achevé leur course, et saint Paul disait déjà aux Romains que leur foi était annoncée dans tout le monde. Il disait aux Colossiens que l'Évangile était ouï de toute créature qui était sous le ciel; qu'il était prêché, qu'il fructifiait, qu'il croissait par tout l'univers. Une tradition constante nous apprend que saint Thomas le porta aux Indes, et les autres en d'autres pays éloignés. Mais on n'a pas besoin des histoires pour confirmer cette vérité. L'effet parle, et on voit assez avec combien de raison saint Paul applique aux apôtres ce passage du psalmiste: Leur voix s'est fait entendre par toute la terre, et leur parole a été portée jusqu'aux extrémités du monde. Sous leurs disciples il n'y avait presque plus de pays si reculé et si inconnu où l'Évangile n'eût pénétré. Cent ans après Jésus-Christ, saint Justin comptait déjà parmi les fidèles beaucoup de nations sauvages, et jusqu'à ces peuples vagabonds qui erraient deçà et delà sur des chariots

sans avoir de demeure fixe. Ce n'était point une vaine exagération; c'était un fait constant et notoire, qu'il avançait en présence des empereurs et à la face de tout l'univers. Saint Irénée vient un peu après, et on voit croître le dénombrement qui se faisait des Églises. Leur concorde était admirable: ce qu'on croyait dans les Gaules, dans les Espagnes, dans la Germanie, on le croyait dans l'Égypte et dans l'Orient; et, comme il n'y avait qu'un même soleil dans tout l'univers, on voyait dans toute l'Église, depuis l'extrémité du monde à l'autre, la même lumière de la vérité. Si peu qu'on avance, on est étonné des progrès qu'on voit. Au milieu du troisième siècle, Tertullien et Origène font voir dans l'Église des peuples entiers, qu'un peu auparavant on n'y mettait pas; ceux qu'Origène exceptait, qui étaient les plus éloignés du monde connu, y sont mis un peu après par Arnobe. Que pouvait avoir vu le monde pour se rendre si promptement à Jésus-Christ? S'il a vu des miracles, Dieu s'est mêlé visiblement dans cet ouvrage; et s'il se pouvait faire qu'il n'en eût pas vu, ne serait-ce pas un nouveau miracle plus grand et plus incroyable que ceux qu'on ne veut pas croire, d'avoir converti le monde sans miracle, d'avoir fait entrer tant d'ignorants dans des mystères si hauts, d'avoir inspiré à tant de savants une humble soumission, et d'avoir persuadé tant de choses incroyables à des incrédules? Mais le miracle des miracles, si je puis parler de la sorte, c'est qu'avec la foi des mystères les vertus les plus éminentes et les pratiques les plus pénibles se sont répandues par toute la terre. Les disciples de Jésus-Christ l'ont suivi dans les voies les plus difficiles. Souffrir tout pour la vérité a été pour ses enfants un exercice ordinaire; et, pour imiter leur Sauveur, ils ont couru aux tourments avec plus d'ardeur que les autres n'ont couru aux délices. On ne peut compler les exemples ni des riches qui se sont appauvris pour aider les pauvres, ni des pauvres qui ont préféré la pauvreté aux richesses, ni des vierges qui ont imité sur la terre la vie des anges, ni des pasteurs charitables qui se sont faits tout à tous, toujours prêts à donner à leur troupeau non-seulement leurs veilles et leurs travaux, mais leur propre vie. Que dirai-je de la pénitence et de la mortification? Les juges n'exercent pas plus sévèrement la justice sur les criminels, que les pécheurs pénitents l'ont exercée sur eux-mêmes. Bien plus, les innocents ont puni en cux avec une rigueur incroyable cette pente prodigieuse que nous avons au péché. La vie de saint JeanBaptiste, qui parut si surprenante aux Juifs, est devenue commune parmi les fidèles; les déserts ont été peuplés de ses imitateurs ; il y a eu

tant de solitaires, que des solitaires plus parfaits ont été contraints de chercher des solitudes plus profondes: tant on a fui le monde, tant la vie contemplative a été goûtée. Après que Jésus-Christ eut fait voir, par une longue expérience, qu'il n'avait pas besoin du secours humain, ni des puissances de la terre, pour établir son Église, il y appela enfin les empereurs, et fit du grand Constantin un protecteur déclaré du christianisme. Depuis ce temps, les rois ont accouru de toutes parts à l'Église; et tout ce qui était écrit dans les prophéties touchant sa gloire future s'est accompli aux yeux de toute la terre. (BOSSUET.)

ÉLÉVATION.

Le jour annoncé par vous est enfin arrivé, bon Sauveur; l'Esprit consolaleur destiné à nous rapprocher de Dieu et à nous unir à lui par les liens les plus intimes, descend au milieu du trouble des éléments, sur vos apôtres réunis qui voient comme des langues de feu se parlager et s'arrêter sur chacun d'eux. O prodige! ces hommes, jusque-là ignorants, grossiers, craintifs, tout à coup éclairés, fortifiés par une verlu divine, se répandent parmi toutes les nations de la terre pour y porter la lumière de la foi, publier en tous lieux les bienfaits de Dieu envers les hommes et leur annoncer que la paix est enfin conclue entre le ciel et la terre. La face du monde est renouvelée, et partout vous vous plaisez, Seigneur, à confirmer le témoignage de vos apôtres par une infinité de prodiges. Comme les apôtres nous avons une mission à remplir, bon Sauveur; vous êtes venu sur la terre pour nous sauver par votre miséricorde, nous instruire par vos préceptes et vos exemples; s'il y avait un moyen plus assuré pour arriver au salut que celui de la croix, vous nous l'auriez appris par vos paroles et par vos actions. Ah! ne permettez pas que nous oubliions que le pèlerinage du chrétien n'est pas véritablement sa vie; que celui qui veut vivre un jour avec vous doit être, autant qu'il est possible à l'infirmité humaine, votre image; qu'il faut qu'il soit doux, miséricordieux, palient, bumble comme vous l'avez été, afin de vous voir un jour face à face, non pas en passant, non pas une heure, mais pour toute une éternité.

FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME.

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