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secours publics. Dans le rapport qui lui fut fait le 13 juin 1792, on agita la question de savoir si le législateur avait le droit de défendre la mendicité. Le rapporteur s'exprime en ces termes :

« D'abord, à considérer l'action du mendiant en ellemême, il semble qu'elle n'offre rien de répréhensible. Rien ne peut enchaîner les facultés physiques de l'homme : rien ne peut aussi le contraindre à les déployer. S'il trouve son compte à agir, il agit : l'inaction lui offre-t-elle plus d'attrait, il reste dans l'inaction. Le pauvre serait-il le seul à qui cette inaction fût imputée à délit ? Et, tandis que mille autres, comblés des faveurs de la fortune, peuvent se vouer impunément à l'oisiveté, par quelle injuste exception ce qui leur est permis lui serait-il défendu? Il est vrai que le pauvre, ne pouvant exister, comme eux, de ses propres ressources, il cherche à s'en faire une des dons de la bienfaisance qu'il sollicite. Mais cela peut-il devenir, à son égard, la matière d'un reproche? Empêcherait-on l'homme qui jouit d'un immense superflu de procurer le nécessaire à celui qui est dans le dénûment ? Voudrait-on paralyser la main qui s'ouvre pour secourir l'infortune? Il est vrai encore que le pauvre pourra ne pas obtenir de la bienfaisance le secours qu'il en attend, ou ne les obtenir qu'incomplets. Qu'importe? Il se sera trompé; mais son erreur n'apportera de préjudice qu'à lui seul et il sera toujours à temps de recourir au travail lorsque l'expérience l'aura bien convaincu qu'il ne peut pourvoir à sa subsistance que par le travail. Craindra-t-on que l'excès du besoin ne le porte à chercher cette subsistance dans des moyens contraires à l'ordre public? Mais il demandera à son tour si on a droit de raisonner sur des erimes possibles, de les tenir pour commis, et d'appliquer une peine à ceux qui ne l'ont pas été sous le vain prétexte qu'ils peuvent l'être un jour. En un mot, il doit être permis à tout homme de choisir la route qu'il croit la plus

propre à le conduire au bonheur; c'est là ce qu'il faut appeler sa philosophie, et la mendicité est la philosophie du pauvre. »

:

Le comité n'exposait ces objections que pour les réfuter. « On sait bien, répondait-il, que la loi n'a de prise que pour les actions qui peuvent intéresser l'ordre établi par elle mais on doit ajouter aussi qu'elle ne peut voir d'un œil indifférent, celles qui sans l'attaquer ouvertement, conduisent néanmoins, en dernière analyse, à porter le trouble dans la société. Si la société a le droit de veiller sur la conduite physique de ses membres, elle n'a pas moins celui d'inspection sur leur conduite morale ; et lorsqu'elle ne saurait autrement exister que par leur travail, lorsque l'obligation de s'entr'aider mutuellement dérive pour eux de la nature même de la convention sociale, ce serait admettre un principe destructif de cette convention que de prétendre que dans un pays, qui n'a de prospérité et d'existence que dans la réunion de son industrie agricole et commerciale, on puisse tolérer une classe d'hommes qui, refusant le travail dont elle est susceptible, consomme sans rien produire, et dévore ainsi la subsistance de l'homme laborieux qui remplit sa condition du pacte. Donc, par cela même que le mendiant préfère le repos à l'action, il est coupable envers la société qu'il surcharge du poids de son inutilité. Mais son injuste repos ne lui est pas même profitable. L'assistance qu'il a arrachée par ses importunités peut lui manquer tout à coup. La bienfaisance, fatiguée, peut abandonner ce fainéant robuste, et alors trouvera-t-il à point nommé le travail qu'il cherchera? S'il en trouve, sera-t-il en état de s'y livrer après en avoir perdu le goût et l'habitude? Qui sait si, pressé par le besoin, il ne tournera pas contre la société cette vigueur qu'il avait reçue pour la servir, et si, employant la menace à défaut de succès de la prière, il ne se rendra pas un être formidable qui fonde sa subsistance,

non plus sur les secours de la bienfaisance, mais sur le vol, sur le meurtre et le brigandage? L'exemple du riche qui vit dans l'oisiveté n'est pas applicable. Il ne saurait y avoir de similitude entre l'homme qui existe du travail qu'il a précédemment fait, ou du travail de ses auteurs, et l'homme qui met sa subsistance au hasard et la fait dépendre d'une volonté étrangère. L'un n'existe que de ses propres moyens; l'autre que des moyens d'autrui. D'ailleurs, ce valide qui, n'ayant besoin pour subsister que de commander à ses bras de le nourrir, préfère d'être aux gages de la pitié, ne se rend-il pas, en la mettant chaque jour à contribution, coupable d'un vol véritable? Les secours qu'il reçoit, il les enlève à des infortunés dont les droits, bien mieux établis, sont fondés sur l'impossibilité d'exister par le travail. Combien de riches, portés à la bienfaisance par un heureux naturel, mais lassés, fatigués des importunités des mauvais pauvres, et ne sachant plus reconnaître les bons, refusent à ceux-ci ce qu'ils avaient d'abord prodigué aux premiers? »

<< Si leur cœur devient sourd aux prières de l'indigence réelle, il faut s'en prendre à ces oisifs dont le nombre paraît plus grand qu'il n'est en effet par l'art qu'ils ont de se multiplier, et par leur apparition soudaine d'un lieu à un autre. Ces hypocrites attaquent de mille manière la sensibilité de l'homme qu'ils veulent tromper, finissent par émousser et user entièrement le penchant à la bienfaisance. Une telle immoralité est subversive de tout esprit social; elle tend à éteindre tous les bons sentimens : celui de l'humanité dans l'individu qui donne, celui de l'amour du travail dans l'individu qui reçoit; elle va contre l'intérêt de l'industrie, contre l'intérêt général de la société. »

D'après ces principes, le comité commençait par offrir du travail aux mendians et aux indigens valides. Il ne voulait point les occuper à de grandes entreprises qui, par leur nature, ne peuvent être placées qu'à de grandes dis

tances et ne sauraient être appliquées immédiatement à la subsistance du pauvre. D'ailleurs, ces grands travaux, donnant lieu à des rassemblemens d'hommes qui peuvent devenir des instrumens de trouble et d'anarchie et nécessitent l'entretien d'une force armée toujours prête à agir, lui paraissaient offrir de graves inconvéniens. Sous d'autres rapports, ils occasionent des dilapidations énormes, souvent sans résultat. Enfin, le pauvre journalier, obligé d'aller s'y établir, voit tout le fruit de ses sueurs passer à la dépense qui se trouve doublée, tandis que s'il eût rencontré le travail à portée de sa demeure, il aurait pu, chaque soir, venir rejoindre sa femme et ses enfans, qui auraient vécu de son salaire. Par ces motifs, le comité voulait que les ateliers de charité fussent concentrés dans chaque canton, qu'on les appliquât à l'entretien des chemins vicinaux, aux défrichemens, au redressement du lit des ruisseaux et autres objets d'utilité locale. Ces travaux ne devaient s'ouvrir que dans les temps où nulle autre ressource n'existe pour le pauvre valide, dans les saisons entièrement mortes à toutes les occupations de la campagne. Nul canton n'aurait été compris dans la distribution du fonds des travaux de secours qu'en s'obligeant à augmenter d'un quart la somme accordée, et le supplément devait être le résultat d'une contribution que le canton s'imposerait sur lui

même.

Les mendians, qui se seraient refusés à l'ouvrage, devaient être conduits dans des maisons de répression où l'on s'attacherait particulièrement à introduire le travail, seule peine raisonnable, disait le comité, que l'on pût infliger à la paresse. Les mendians ne devaient être retenus que le temps nécessaire pour les ramener à des inclinations honnêtes. Si, après leur sortie de cette maison, ils se livraient à une vie errante et inoccupée, le comité proposait des peines plus graves que la convention décréta

l'année suivante, ainsi que plusieurs dispositions du projet.

Le 15 octobre 1793, une loi fut rendue pour l'abolition générale de la mendicité. Elle consacra, comme nous venons de le dire, une partie des mesures proposées par le comité de l'assemblée législative.

Voici comment s'exprimait Barrère, rapporteur du comité de salut public de la convention nationale, sur les moyens d'abolir la mendicité qui, dans ces momens de trouble et d'anarchie, ne pouvait manquer d'avoir pris une extension déplorable.

« Tandis que le canon gronde sur toutes nos frontières, un fléau redoutable, la lèpre des monarchies, la mendicité fait des progrès effrayans dans l'intérieur de la république. La propagation de cette maladie politique et morale n'a pas de principe plus actif que la guerre, d'agens plus dangereux que les factions, de moyens plus puissans que l'indifférence du législateur. Eh bien! ce sera une belle époque pour la convention d'avoir aboli la mendicité au milieu des fureurs de la guerre. >>

«La mendicité est une accusation vivante contre le gouvernement; c'est une accusation ambulante qui s'élève tous les jours au milieu des places, du fond des campagnes et du sein des tombeaux de l'espèce humaine, décorés du nom d'Hôtel-Dieu et d'hôpitaux. »

« Cependant la mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire. Ce mot honteux de mendiant ne fut jamais écrit dans le dictionnaire du républicain, et le tableau de la mendicité n'a été jusqu'à présent sur la terre que l'histoire de la conspiration des grands propriétaires contre les hommes qui n'ont rien. »

<< Laissons à l'insolent despotisme la fastueuse construction des hôpitaux pour engloutir les malheureux qu'il a faits, et pour soutenir momentanément des esclaves qu'il

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