indigence. Tout homme valide doit travailler. C'est la loi de nature s'il se refuse au travail, c'est un homme dangereux que l'autorité doit surveiller et punir sévèrement. >> A l'ouverture de la session de 1808, et dans l'exposé de la situation de l'empire, le ministre de l'intérieur (ie comte Cretet), annonçait ainsi la création des dépôts de mendicité ordonnée par l'empereur. « De grandes et importantes mesures ont été prises pour la répression de la mendicité. Chaque département aura dans son sein un dépôt où les indigens trouveront un asile, la subsistance et de l'ouvrage, établissemens paternels où la bienfaisance tempérera la contrainte par la douceur, maintiendra la discipline par l'affection, et ramènera au travail en réveillant le sentiment d'une honte salutaire. » « Ces institutions recevront leur exécution dans un court délai. Pour prix de ses efforts, le gouvernement a la confiance que, dans quelques années, la France offrira la solution, si inutilement cherchée jusqu'ici, du problème de l'extinction de la mendicité dans un grand état. » <«< Les indigens qu'il n'a pas été possible de rappeler à des habitudes honnêtes, et qui seront trouvés hors de leurs départemens, exigeant l'assistance publique, seront renfermés dans des maisons de correction. »> La loi, présentée au corps législatif, fut adoptée sans opposition, comme on pouvait l'attendre d'une assemblée aussi essentiellement dépendante, et dont les délibérations n'étaient qu'une affaire de pure forme. Nulle voix ne s'éleva pour représenter combien était dure et sévère la mesure qui confondait dans la même répression générale l'indigence infirme, l'enfance et la vieillesse, avec la mendicité honteuse et volontaire. On obéit, non seulement sans observation, mais même en vantant la bienfaisance d'une loi qui allait préserver les riches de l'importunité des mendians et de l'image dégoûtante des infirmites de la honteuse misère; car c'était là, à peu près, la plus puissante considération qui avait frappé le rapporteur du corps législatif, et sans doute la commission dont il était l'organe. Les dépôts de mendicité, en 1808, avaient été réduits à un petit nombre. Le gouvernement crut devoir en établir un par département, en proportionnant l'étendue des édifices au nombre des mendians présumé exister dans chaque département de l'empire. On pensait que ce nombre, se maintenant dans une moyenne à peu près constante, les dépôts formés d'après les données recueillies, rempliraient convenablement et toujours leur destination. La construction des dépôts de mendicité s'effectua dans la vaste superficie de l'empire français avec le caractère de rapidité et de grandeur imprimé aux monumens de ce règne qui étonnera toujours la postérité. Dans l'espace de quatre ans, on vit s'élever cinquanteneuf dépôts créés par décrets spéciaux; mais trente-sept seulement furent mis en activité: vingt-deux n'ont pas été ouverts. La population des cinquante-neuf dépôts était calculée devoir s'étendre à environ 22,550 mendians. Après avoir fait des dépenses de première mise qui s'élevèrent de 2 à 300,000 fr. pour chaque département, et supporté pendant quelques années des frais d'entretien, dont le taux moyen annuel n'était pas au-dessous de 90,000 fr. (outre le produit du travail des mendians), l'administration s'aperçut que ces sacrifices produisaient des effets peu sensibles sur le nombre des mendians: on avait estimé la dépense de chaque reclus à 220 fr. par an. Cette somme, déjà considérable, fut souvent dépassée. On avait espéré que les ateliers établis dans ces maisons donneraient un revenu qui compenserait en partie les. frais; mais l'expérience trompa ces calculs. La plupart des mendians renfermés dans les dépôts étaient vieux, infirmes et faibles : les causes qui les avaient empêchés de s'entretenir avant d'être amenés au dépôt, les rendaient incapables d'y faire un travail productif. Les valides qu'on renfermait avaient contracté l'habitude de l'oisiveté, ou bien c'étaient des campagnards dont l'industrie ne pouvait être utilisée que graduellement et lentement dans l'intérieur des dépôts. Il arriva ce qu'on avait dû prévoir. En n'établissant aucune distinction entre les mendians valides ou dangereux, et des pauvres rendus impotens par leur âge ou leurs infirmités, les dépôts de mendicité devenaient de véritables hospices qui n'avaient plus le mérite ni le résultat de la spécialité. Beaucoup d'abus contribuèrent à dénaturer encore davantage ces institutions. On fit admettre dans les dépôts des filles publiques attaquées de maladies, des galeux, des fous, des épileptiques; on y transporta aussi des condamnés dont les prisons étaient encombrées; enfin, on y reçut, par faveur, des familles entières qui pouvaient avoir droit à quelques secours, mais qui n'appartenaient pas à la classe pour laquelle ces dépôts avaient été créés. Les autorités locales se montraient extrêmement empressées de faciliter ces admissions, qui diminuaient d'autant la charge des pauvres de leurs communes. On comprend qu'un tel état de choses devait avoir pour effet de réduire encore le travail et d'augmenter les dépenses d'entretien. Une population composée d'élémens si différens, et qui, pour certaines classes, se renouvelait fréquemment, ne pouvait être contenue que par une surveillance sévère. La comptabilité se compliquait; il fallut des employés, des gardiens, des infirmiers, des médicamens et un régime plus coûteux. La dépense revint à plus de 250 fr. par individu. Ces établissemens, ainsi détournés de leur destination première, furent bientôt entièrement remplis de pauvres de toute espèce et hors d'état d'en recevoir de nouveaux. Dans le principe, ces institutions avaient imprimé une sorte de terreur et fait disparaître, en quelque sorte, les mendians valides et adonnés à la fainéantise; mais, lors que les dépôts furent encombrés, les mendians se montrèrent de nouveau et impunément. Ils ne redoutaient plus, d'ailleurs, d'être conduits dans des maisons où ils étaient sûrs d'être entretenus sans travailler, ou du moins sans être soumis à aucune tâche pénible. Les infirmes, également assurés d'y goûter une existence douce et tranquille, affluaient vers les dépôts de mendicité. Ainsi transformés en hospices, ces établissemens ne pouvaient offrir aucune ressource aux indigens manquant d'ouvrage qui auraient dû en trouver dans les ateliers des dépôts.. Telle était la situation de ces institutions au moment de la restauration. Convaincu qu'elles ne pouvaient répondre au but que l'on s'en était proposé, et qu'en général elles n'étaient pas conçues sur des principes charitables et religieux, le ministère crut devoir, en 1816, prononcer leur suppression, sollicitée d'ailleurs par un grand nombre de conseils généraux de département. Les édifices furent consacrés à d'autres destinations. Vingt-quatre dépôts de mendicité, supprimés de 1814 à 1818, n'ont eu par conséquent qu'une existence de huit à dix ans. En 1818, il en restait encore en activité vingtdeux, dont la population avait été réduite à 3,433 mendians, à cause de la modicité des ressources départementales. Toutefois, plusieurs de ces dépôts, administrés avec sagesse et discernement, avaient réalisé les espérances que leur création avait fait concevoir. La mendicité avait entièrement disparu dans les contrées où ils étaient placés, sans occasioner aucun frais aux départemens et aux communes. Le travail des mendians valides avait donné des produits suffisans pour indemniser les dépenses d'entretien. Il est vrai que ces résultats remarquables, dus au mérite personnel des directeurs, étaient aussi favorisés par des circonstances particulières (1). Néanmoins, ces (1) On aime à citer ici MM. Lacoste, Laforêt, et de Saint-Félix, qui exemples démontraient la possibilité de retirer de grands avantages des dépôts de mendicité en faisant disparaître les abus, en profitant des leçons du temps et de l'expérience, et en introduisant dans ces établissemens les améliorations qu'ils ont reçues dans d'autres états de l'Europe. Nous devons partager d'autant plus vivement le regret de cette brusque suppression, qu'il est à notre connaissance personnelle que, pour plusieurs conseils généraux appelés à délibérer sur le maintien des dépôts de mendicité, le seul motif allégué contre ces institutions était d'avoir été créées sous le règne de Napoléon. Quoi qu'il en soit, on ne réfléchit pas qu'en détruisant les dépôts de mendicité, on rendait désormais nulle ou illusoire toute la législation sur les mendians, étroitement liée à l'existence de ces dépôts. En effet, cette législation non abrogée ne considère la mendicité ordinaire comme un délit punissable, que lorsqu'elle a lieu dans un département ou dans une commune, dans lesquels il existe un établissement public organisé à l'effet d'obvier à la mendicité. Dans les lieux où il n'existe pas de tels établissemens, les mendians d'habitude, valides seulement, sont punis d'un mois à trois d'emprisonnement, et, s'ils sont arrêtés hors du canton de leur résidence, ils sont passibles d'un emprisonnement de six mois à deux ans. Ainsi, par l'effet de la suppression des dépôts, la mendicité se trouvait autorisée pour les pauvres infirmes. La pénalité n'atteignait plus que les mendians d'habitude valides, et l'emprisonnement se trouvait, désormais, substitué au travail, seule peine véritablement juste et morale à infliger à la fainéantise volontaire. . Ces conséquences ne manquèrent pas d'exercer une grande influence sur la jurisprudence des tribunaux. L'habitude de dirigeaient les dépôts de mendicité d'Agen, de Marseille et de Montauban, avec les succès les plus dignes d'éloges. |