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ses progrès embarrasseront un jour le gouvernement; car le remède est difficile en n'employant que des palliatifs, et les partis extrêmes ne seraient approuvés qu'au moment où le désordre arriverait à un excès qui frapperait tous les

yeux. >>

A cette époque on transportait à Paris, chaque année, deux mille enfans expédiés de différens lieux, comme une marchandise. Ces enfans périssaient dans la proportion de 9 sur 10 pendant la route, ou peu de jours après leur arrivée.

L'on vit alors s'accréditer l'opinion que l'augmentation progressive du nombre des enfans trouvés pouvait être justement imputée aux institutions créées en leur faveur.

<«< Les pauvres, disait-on, se sont accoutumés insensiblement à envisager les hôpitaux d'enfans trouvés comme des maisons publiques où le gouvernement a reconnu qu'il était juste de nourrir et d'entretenir leurs enfans. » Il faut avouer que ce reproche n'était pas dépourvu d'une apparence de fondement. Telle est en effet la faiblesse de toutes les institutions humaines, que le mal est toujours à côté du bien. Mais, répondait-on avec raison, parce qu'on voit des pauvres à la porte des hospices, et des plaideurs à la porte des juges, serait-ce un motif de supprimer les hospices et les tribunaux ? Les progrès de l'exposition étaient peut-être à quelques égards favorisés par les institutions de saint Vincent-de-Paule; mais bien plus sûrement ils étaient l'expression d'une immoralité et d'une misère profondes, dignes d'exciter au plus haut degré l'attention des hommes d'état et des philosophes. A d'autres époques de misère et de démoralisation, de semblables désordres s'étaient manifestés. Le tableau effrayant que fait un évêque de Paris de ce qui se passait dans cette capitale, en 1362, au sujet des enfans exposés, motiverait suffisamment, s'il en était besoin, la charité de saint Vincent-dePaule et le justifierait du reproche d'avoir contribué à l'ef

frayante mortalité qui régnait parmi les enfans transportés dans l'hospice général de Paris.

Quoi qu'il en soit, l'obligation imposée aux hospices de recevoir les enfans trouvés, augmentant considérablement leurs charges, les autres pauvres admis dans ces établissemens ne pouvaient manquer de souffrir de cette nouvelle destination donnée aux revenus des maisons charitables. C'est même à cette cause que l'on attribua l'exposition des enfans légitimes. Voici l'opinion énoncée à ce sujet à la tribune de l'assemblée législative, en 1792.

<< Quoi de plus impolitique et de plus injuste que cette application exclusive des secours publics aux enfans trouvés! Les hospices s'ouvraient pour eux seuls et se fermaient aux enfans des pauvres ! Distinction immorale qui déterminait les pauvres à se séparer pour jamais de leurs enfans et à les jeter dans les bras de l'assistance publique, pour ne pas les exposer à souffrir avec eux toutes les horreurs du besoin. C'est véritablement à cet abandon des pauvres qu'il faut attribuer la multiplication excessive des enfans légitimes délaissés ; c'est ce cruel abandon qui contraignait leurs parens malheureux, par excès d'attachement même pour les tristes fruits d'une fécondité qu'ils déploraient, de fermer leur cœur au sentiment le plus doux; mais ce sentiment triomphait encore du vice même de l'institution. Les mêmes mères qui avaient délaissé leurs enfans, se mêlant aux nourrices étrangères, allaient dans les hôpitaux, choisissaient entre tous celui à qui elles avaient donné le jour, et ivres de joie et de tendresse, elles l'emportaient dans leur chaumière. Tant il leur en avait coûté pour s'en séparer, tant l'amour maternel était plus ingénieux que la pitié du gouvernement n'était parcimonieuse et cruelle !

Cette opinion révélait le fait incontestable de la misère publique; mais elle ne remontait pas à sa véritable source. Ce n'était pas la cruauté et la parcimonie du gouvernement qu'il fallait déplorer. Admettre que l'état doit la sub

sistance à tous les pauvres indistinctement est une erreur, car l'état ne saurait se substituer entièrement ni à la charité individuelle, ni au travail et à la moralité des pauvres. Le mal était dans l'affaiblissement des principes de la charité chrétienne chez les riches, dans l'oubli de la vertu et de la religion chez les indigens; ce sont là les causes génératrices et perpétuelles de la misère publique, trop souvent négligées et méconnues dans les axiomes de la politique moderne et que l'avenir se charge tôt ou tard de dévoiler.

Nous ne rapporterons point tous les réglemens qui furent successivement établis pour la nourriture et l'entretien des enfans trouvés. Au commencement de la révolution, le régime variait suivant les localités. Dans les villes considérables, l'hôpital principal était chargé de ce service et y apportait les soins et l'économie que l'administration, plus ou moins éclairée, pouvait imaginer. Le gouvernement se bornait à protéger et surveiller directement l'hô– pital général de Paris. En géneral, les enfans étaient placés en nourrice ou en pension, et confiés à la sollicitude vigilante des curés. Tous les ans, des sœurs de la charité, ou d'autres personnes commises à cet effet, faisaient une tournée dans les villes, bourgs et hameaux où ces enfans étaient placés; elles les visitaient, inspectaient les nourrices et rendaient compte au bureau de l'hôpital.

A l'âge de seize ans, les garçons que l'hôpital n'avait pu trouver à mettre en pension étaient placés en apprentissage. Les maîtres-ouvriers ne pouvaient prétendre autre chose que le droit de se servir de ces jeunes gens pendant deux ans au-delà du temps requis pour l'apprentissage de chaque métier. A l'égard des filles placées de même en apprentissage jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, les maîtresses devaient, à l'expiration de l'engagement, leur payer une somme de 200 ou 300 liv., suivant la durée de leur service, et leur fournir un trousseau complet.

Toute personne, dans l'étendue du royaume, qui avait

élevé un enfant trouvé, pouvait le présenter, à l'âge de seize ans, au tirage de la milice, en remplacement d'un fils, d'un frère ou d'un neveu.

En s'occupant de venir au secours des enfans trouvés, Louis XIV pensait à recruter ses armées et ses colonies. On lit dans le préambule de l'édit de juin 1670 : « Considérant combien la conservation de ces enfans est avantageuse, puisque les uns pouvaient devenir soldats et servir dans nos troupes, les autres ouvriers ou habitans des colonies que nous établissons pour le commerce, etc. »

Dans la suite on est revenu à cette idée (1).

Les administrateurs des hôpitaux étaient tuteurs naturels des enfans confiés à leurs soins. A Lyon, les enfans trouvés demeuraient toute leur vie sous l'autorité paternelle des administrateurs, conformément au droit écrit ; de sorte que si, après avoir acquis quelque fortune, ils mouraient sans postérité, l'hôpital héritait d'eux, les regardant comme ses enfans adoptifs.

L'assemblée constituante apporta peu de changement au mode d'assistance des enfans trouvés. Seulement une loi du 10 octobre 1790, déclara que les anciens seigneurs haut-justiciers ne seraient plus chargés du soin des enfans exposés sur leur territoire; et divers décrets ordonnèrent à la trésorerie de payer par trimestre et d'avance aux hôpitaux les fonds nécessaires pour le service des enfans trouvés. Il paraissait juste en effet, au moment où les droits et les priviléges féodaux allaient être abolis, de décharger les anciens seigneurs de l'entretien des enfans trouvés dans

(1) M. J.-B. Say pense que les enfans trouvés appartiennent à l'état et qu'il peut en faire des soldats et des marins. Dans un essai sur l'administration publique, qui parut en 1787, l'auteur (le comte de Sainte-Foi) proposait la création d'établissemens provinciaux participant à la fois d'hospices de vieillards, d'orphelins, d'enfans trouvés et d'indigens. Les enfans trouvés et les indigens auraient été mis à la disposition de l'état, pour des travaux publics.

l'étendue de leur juridiction supprimée, et dont le nombre d'ailleurs ne pouvait être onéreux aux hospices.

Le comité de secours de l'assemblée constituante distingua en deux classes les enfans à assister. 1o Ceux nés de parens indigens et mariés; 2o ceux nés d'unions illégitimes, de libertinage, ou d'un moment d'erreur ou de faiblesse. Pour les premiers, il proposait des secours à domicile; pour les autres, un hospice devait être ouvert dans chaque département. «< Par-là, disait le rapporteur du comité, on empêchera des délits qu'il importe d'autant plus de prévenir, qu'il serait plus fàcheux d'avoir à les punir, et qu'il devient plus difficile et plus dangereux d'en découvrir la trace. Une jeune fille qui frémit en pensant que les suites d'une seule erreur peuvent imprimer à sa réputation une tache ineffaçable, ne deviendra pas une mère dénaturée, si elle peut cacher sa faute loin du lieu qui en fut le témoin secret. L'idée d'un crime qu'elle espère qu'on ignorera lui paraît plus facile à supporter que celui d'une faiblesse qui serait exposée au grand jour. Il y aura moins d'enfans délaissés, lorsque les enfans des pauvres seront assistés au domicile même de leur famille. Leur nombre diminuera de tous ceux que la crainte affreuse de ne pouvoir satisfaire à leurs premiers besoins faisait abandonner de leurs parens. Les soins de l'amour maternel seront conservés à l'enfant qu'il peut avouer. »

Pour relever les enfans trouvés de l'état d'abjection où ils étaient restés jusqu'alors, on proposait de leur donner le titre d'enfans de la patrie. Cette proposition fut adoptée par la Convention en 1793. Enfin, pour compléter en leur faveur l'œuvre de la bienfaisance publique, on demandait une loi «< qui, unissant les hommes par le plus fort de tous les liens (l'adoption), réparât à leur égard l'abandon de la nature; qui, fécondant, par une fiction heureuse, un mariage stérile, assurât des enfans à ceux à qui il n'avait pas été donné d'en obtenir, et des parens aux enfans que

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