Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IV

RÉFLEXIONS SUR L'HISTOIRE CONTEMPORAINE.

Bien qu'on ait parlé des temps qui précèdent la révolution de 1789, si l'on veut suivre les fastes humains, il faut s'étendre sur cette période relativement récente; et, après avoir montré ce qui a fait naître ce bouleversement si critique, indiquer les erreurs qui ont influé sur cette période, essayer de voir jusqu'à quel point la vraie philosophie a été repoussée et enfin regarder si les résultats s'accordent avec la grande mission que l'homme doit remplir ici-bas.

Cette partie de l'histoire moderne est plus que fautive pour les esprits d'élite. Il semble qu'on n'ait pas compris les larges réformes qu'il y avait à faire et qu'on n'ait pas poussé les dépositaires de la loi ou de la morale à les accomplir. On a, au contraire, sous la régence et le règne de Louis XV, laissé à un grand nombre de membres de la noblesse et du clergé une existence qui ne pouvait mener à aucun résultat fructueux et qui excita particulièrement la bourgeoisie, d'habitudes calmes, douces et intelligentes. Ces bourgeois, profitant de l'instruction

que le clergé leur avait donnée, sentirent vite le besoin de sortir de leur position, se plaignirent promptement de leurs supérieurs et démontrèrent à tous, mais bien souvent de travers, des erreurs commises. De leur côté, le clergé et la noblesse, tout en voulant être utiles à leurs concitoyens, ont trop prêté, par leurs écarts et leur manque d'énergie, aux cris et même aux calomnies; ils en ont subi les conséquences. Ils n'ont pas su conserver la discipline. Ne la pratiquant plus, ils n'ont pu l'imposer. Au lieu de demander des lois pour les seconder, ils ont laissé l'immoralité matérielle se transmettre dans les masses par l'université désorganisée, par l'impression de livres qui n'auraient jamais dû paraître. Dans le clergé comme dans la noblesse, les petites et coupables querelles de jalousie d'une famille à l'autre, d'une idée divergente à la religion, des idées entre elles, ont fait que bien des esprits secondaires ont essayé de démontrer leur intelligence en démolissant ces notions qu'avant tout ils devaient respecter.

Clergé et noblesse, dans la monarchie, avant 1789, étaient habitués à un luxe trop grand qui nécessitait d'affreux emprunts. Ils avaient trop de part dans l'obtention des bénéfices, dans des charges absolument inutiles ou dans des pensions non méritées. Le Tiers État était impatient de payer les impôts nécessaires à ces largesses auxquelles il ne pouvait participer; la valeur générale était usée, et personne ne se sentait disposé à aider certains ministres dans les quelques actes justes et utiles qu'ils songeaient à

accomplir. La décadence commença. La jalousie de la troisième classe contre les deux premières était telle, qu'au lieu de composer, cette classe songea surtout à nuire; et le clergé comme la noblesse, trop enracinés par la soif de matérialité, se refusèrent, sans raisons sérieuses, à toute composition. La folie amenée par la philosophie insensée, la littérature de l'immoralité devenue générale, et l'administration mauvaise, prédisposèrent les classes à s'entre-déchirer. Au dernier moment, le clergé et la noblesse s'aperçurent de la position terrible dans laquelle ils étaient; et, sans aucune raison, dans la séance du 4 août, ils jetèrent tous leurs privilèges au pied du Tiers État, lorsqu'ils auraient pu ne lui accorder que le nécessaire, sans se démunir de ce qui leur était utile. Les Anglais ont jadis mieux compris une position semblable... Ils ont obtenu une cohésion nationale et patriotique en autorisant, lorsque certains des membres du Tiers État se distinguaient, à ce qu'ils fassent partie de la noblesse. La joie d'une pareille mesure, venue à temps, eût fait des Français une nation marchant vers les événements d'un pas égal; c'était mettre la moralité au premier plan, au lieu de la laisser tomber, c'était éviter l'arrivée du dévergondage qui a produit 89 et 93.

Ce temps de bouleversements a eu des effets curieux et que personne n'avait prévus. Par jalousie et haine, le Tiers État a vaincu le clergé et la noblesse, en même temps que le roi qui était leur représentant; mais, à la suite, il a été tellement bouffi d'orgueil qu'il s'est mis à faire au peuple ce que lui

faisait auparavant la noblesse. Il a acquis toutes les positions et une grande partie des fortunes, en employant de honteux moyens, bien heureux quand la boue dans laquelle il marchait n'était pas du sang. Aussi les jours succédant aux jours, c'est le Tiers État que la populace exaltée menaça d'abord, puis exécuta ensuite. De la révolution qu'elle avait faite, la bourgeoisie en souffrit plus cruellement que le clergé ou la noblesse, étant bien plus connue des tyrans de la rue. Les quelques bons actes tels que : la division du sol français en départements, les créations de la cour de cassation, des justices de paix, de l'ordonnance de l'état civil, ne lui servirent à rien. L'échafaud prit les membres du Tiers en bien plus grand nombre, et les Girondins gravirent les premiers l'escalier de la guillotine. Si le Tiers État ne s'était pas laissé corrompre par des idées fausses et une philosophie insensée, il pouvait faire beaucoup de bien à la nation française; au lieu de cela, il s'est déconsidéré.

Lorsque la révolution fut au pouvoir, non seulement les vertus disparurent, mais les qualités matérielles firent complètement défaut; l'administration n'existait plus, le crédit était mort; les forces agricoles ou industrielles s'étaient considérablement atténuées, l'Angleterre ravissait le commerce extérieur, et aux moment scritiques, l'honneur militaire ne se rencontrait plus. La moralité qui, évidemment, chez un grand nombre de personnes, existait encore, avait fait place à la littérature sale, à des discours également sales avec lesquels on séduisait l'ignorance.

Mille crimes étaient commis, tous par des énergumènes; mais le vrai peuple n'était pas le vrai coupable. Il possédait à la fois tous les vices, mais aussi toutes les vertus; et sa conduite peut toujours être mesurée aux conseils ou aux excitations de ceux qui le conduisirent. Parfois il devient féroce, mais sa férocité n'est jamais qu'un résultat odieux de ceux qui l'ont surexcité; si au contraire les conseils auxquels il est livré sont bons et vertueux, son enthousiasme éclate, il saute au col de qui le guide et risque sa vie pour obéir à qui sagement le commande.

Lorsqu'en 1793 les révolutionnaires eurent affreusement usé de leur tyrannie, le crime n'ayant aucune affection pour le crime, ils commencèrent à se désunir, ne cherchant que l'occasion de se tirer d'une mauvaise affaire, en accusant leur complice. Bientôt, et par suite de leur conduite, le peuple commença à trouver que son existence et les agréments de sa vie étaient bien compromis; il eut peur de ne rien garder de ce qu'il avait acquis et il chercha, en punissant certains grands coupables, comme les Marat ou les Robespierre, à rétablir un peu d'ordre. Dès qu'il put constater l'apparition, quelque petite qu'elle fût, d'une force légale, il s'y cramponna. Il abandonna, comme il le fera toujours, ceux qui l'avaient si mal dirigé. Ce sentiment de crainte est bien loin d'être de la lâcheté, il ne change pas, même après une révolution; aussi voit-on la masse, à la suite de si affreuses catastrophes, se jeter dans les bras de Napoléon.

Cet homme, très intelligent, très brave, eut le

« PreviousContinue »