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XI

Ainsi fut arrachée à un juge faible, par peur et par politique, la condamnation d'un innocent. Ainsi s'accomplit la prédiction de Jésus sur le chemin de la Galilée à Jérusalem, dans le pays d'Ephraïm, quand il disait à ses apôtres : «Le Fils de l'homme sera livré aux païens, outragé et mis en croix. » La sentence fut rendue vers onze heures du matin. Aussitôt les soldats, avec la grossièreté habituelle à cette époque chez les gens de guerre, recommencèrent les insultes dont ils avaient déjà rassasié Jésus. Après avoir épuisé les coups, les injures, les moqueries, ils lui ôtèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements. Aussitôt ils le trainèrent dehors, et le conduisirent au lieu du supplice. Jésus se mit en marche, chargé du bois de sa croix, se dirigeant vers le Calvaire, en hébreu Golgotha. Deux malfaiteurs, condamnés au même genre de mort, devaient être exécutés en même temps. En suivant la voie douloureuse, épuisé par la

souffrance et la perte de son sang, Jésus succombait sous le poids de sa croix. Les soldats rencontrèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs et passait par là. Ils l'arrêtèrent, et le forcèrent de porter la croix de Jésus.

C'était la coutume chez les Romains que le condamné portât l'instrument de son supplice. Quelques auteurs prétendent qu'il s'agissait ordinairement, pour le patient, de porter la traverse de la croix, et non l'arbre, qui était communément d'une grandeur considérable. Le funèbre cortége était ordinairement précédé d'un crieur public, proclamant les motifs de la condamnation, ou portant un écriteau sur lequel chacun pouvait lire les termes de la sentence. Pilate écrivit le titre qui devait être placé au haut de la croix; il était conçu en ces termes : JÉSUS DE NAZARETH, ROI DES JUIFS, et en trois langues, c'est-à-dire en hébreu, en grec et en latin. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription; ils en étaient mécontents. Les princes des prêtres en firent la remarque au gouverneur : « N'écrivez pas : ROI DES JUIFS; mais qu'il

se dit le roi des Juifs. » Pilate leur répondit sèchement Ce que j'ai écrit est écrit. Les deux malfaiteurs allaient en avant; Jésus suivait, accompagné d'une grande foule et de picuses femmes qui pleuraient et se lamentaient. Jésus se tourna, et dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants; car viendront des jours où l'on dira: Heureuses les femmes stériles et celles qui n'ont point eu d'enfants; heureux le sein qui n'a point allaité! On dira alors aux montagnes : Écrasez-nous! et aux collines: Couvrez-nous! >>

Dans cette marche pénible, Jésus semble oublier ses douleurs, et ne pense qu'à la ruine prochaine de Jérusalem, de cette ville coupable qui repousse et tue les prophètes. Durant les derniers assauts qui précédèrent la prise de Jérusalem, des milliers d'infortunés qui avaient cherché leur salut dans des souterrains profonds furent ensevelis sous les ruines. Ce ne furent pas cependant les plus à plaindre. Combien de malheureux, tristes jouets des vainqueurs, vendus en esclavage, traînés partout comme le rebut du genre humain, eussent

souhaité de trouver un tombeau sous les débris

de leur patrie!

Ce fut en ce moment qu'une pieuse femme, suivant une tradition respectable, appelée Bérénice, quoique plus connue sous le nom de Véronique, s'avança vers Jésus d'un air compatissant, et lui essuya le visage inondé de sueur et de sang. L'empreinte de la face du Sauveur y resta marquée. Une autre tradition non moins digne de foi nous apprend que Jésus tomba plusieurs fois le long de la voie douloureuse, depuis le prétoire jusqu'au Calvaire. Puisque nous avons mentionné ces deux anciennes traditions, nous ne devons pas en omettre une autre non moins pieuse ni moins ancienne. Marie, mère de Jésus, se tenait non loin du prétoire tandis que les Juifs demandaient à grands cris le sang de l'innocente victime. Quoi de plus naturel pour une mère? Aussi la voyons-nous quelques instants plus tard au pied de la croix. A peine sorti du tribunal, Jésus aperçut sa mère, et lui fit un salut respectueux en passant. La Vierge tomba comme demi-morte. En cet endroit, les chrétiens érigèrent dans la suite un sanc

tuaire sous le titre de Notre-Dame-desDouleurs.

An haut de la rue suivie par le lugubre convoi, s'ouvrait la porte Judiciaire, qui donnait sur le Golgotha ou la place des exécutions. Arrivés au Calvaire, les soldats offrirent à Jésus comme boisson du vin mêlé de myrrhe; mais, lorsque Jésus en eut goûté, il refusa d'en boire. Ensuite ils le dépouillèrent de ses vêtements, et le crucifièrent en lui enfonçant de gros clous dans les mains et dans les pieds; ils plantèrent sa croix entre celles des deux voleurs, afin que cette parole de l'Écriture fût accomplie : « Il a été mis au rang des scélérats. >> Pendant ce temps-là, Jésus disait : << Mon Père, pardonnez-leur; car ils ne savent ce qu'ils font. >>

Après avoir crucifié Jésus, les soldats, par suite d'un usage peu honorable ', prirent ses vêtements, et en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Mais, comme sa tunique était

1 Les soldats, à cette époque, faisaient l'office de bourreaux ; ils se partageaient les vêtements du supplicié. L'empereur Adrien abolit cette coutume, si peu digne de l'armée romaine.

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