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dit le sort lamentable de Jérusalem et du peuple de Dieu; il vous a dit comment la ville du Roi des rois, qui transmit aux autres les préceptes d'une foi pure, a été contrainte de servir aux superstitions des païens, comment le tombeau miraculeux où la mort n'avait pu garder sa proie, ce tombeau, source de la vie future, sur lequel s'est levé le soleil de la résurrection, a été souillé par ceux qui ne doivent ressusciter eux-mêmes que pour servir de paille au feu éternel. L'impiété victorieuse a répandu ses ténè– bres sur les plus riches contrées de l'Asie Antioche, Ephèse, Nicée sont devenues des cités musulmanes; les hordes barbares des Turcs ont planté leurs étendards sur les rives de l'Hellespont, d'où elles menacent tous les pays chrétiens. Si Dieu lui-même, armant contre elles ses propres enfants, ne les arrête dans leur marche triomphante, quelle nation, quel royaume pourra leur fermer les portes de l'Occident?

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Le Pape Urbain II était Français de naissance, fils du comte de Sémur; il parlait à des Français, à des compatriotes : c'est dans le courage des Français que l'Eglise plaçait son principal espoir; leurs ancêtres, sous Charles-Martel, avaient arrêté et brisé la puissance mahométane dans les plaines de Poitiers; c'était aux descendants d'aller achever en Asie l'œuvre glorieuse de leurs ancêtres : c'est parce que le Pape, leur compatriote, connaissait leur bravoure et leur piété, qu'il avait traversé les Alpes et qu'il leur apportait la parole de Dieu. Qu'on juge de l'impression profonde que durent produire sur les seigneurs et les barons chrétiens de France, ces réflexions répétées en plus d'une rencontre par le vicaire de JésusChrist, par le chef de la chrétienté, leur compatriote, leur parent, leur ami! Combien durent retentir dans leurs nobles cœurs les paroles suivantes du Pontife!

Le peuple digne de louanges, ce peuple que le Seigneur, notre Pieu, a béni, gémit et succombe sous le poids des outrages et des exactions les plus honteuses. La race des élus subit d'indignes persécutions; la rage impie des Sarrasins, de ces enfants d'Agar, n'a respecté ni les vierges du Seigneur, ni le collége royal des prêtres. Ils ont chargé de fers les mains des infirmes et des vieillards; des enfants arrachés aux embrassements maternels oublient maintenant chez les barbares le nom du Dieu véritable; les hospices qui attendaient les voyageurs sur la route des saints lieux ont reçu sous eur toit profané une nation perverse; le temple du Seigneur a té traité comme un homme infame, et les ornements du sanc'uaire ont été emmenés comme des captifs. Que vous dirai-je de lus? Au milieu de tant de maux, qui aurait pu retenir dans leurs

demeures désolées les habitants de Jérusalem, les gardiens du Ca vaire, les serviteurs et les concitoyens de l'Homme-Dieu, s'ils n s'étaient pas imposé la loi de recevoir et de secourir les pélerins. s'ils n'avaient pas craint de laisser sans prêtres, sans autels, san cérémonies religieuses, une terre toute couverte encore du sang de Jésus-Christ?

Malheur à nous, mes enfants et mes frères, qui avons vécu dan ces jours de calamités! Sommes-nous donc venus dans ce siècle réprouvé du ciel, pour voir la désolation de la ville sainte et pour rester en paix lorsqu'elle est livrée entre les mains de ses ennemis Ne vaut-il pas mieux mourir dans la guerre que de supporter plus long-temps cet horrible spectacle? Pleurons tous ensemble sur nos fautes qui ont armé la colère divine; pleurons, mais que nos larmes, ne soient point comme la semence jetée sur le sable, et que la guerre sainte s'allume aù feu de notre repentir, que l'amour de nos frères nous anime au combat et soit plus fort que la mort même contre les ennemis du peuple chrétien.

Guerriers qui m'écoutez, poursuivait le Pontife, vous qui cher chez sans cesse de vains prétextes de guerre, réjouissez-vous, car voici une guerre légitime. Le moment est venu de montrer si vous êtes animés d'un vrai courage; le moment est venu d'expier tant de violences commises au sein de la paix, tant de victoires souil lées par l'injustice. Tournez contre l'ennemi du nom chrétien les armes que vous employez injustement les uns contre les autres Vous qui fûtes si souvent la terreur de vos concitoyens et qui ven dez pour un vil salaire vos bras aux fureurs d'autrui, armés di glaive des Machabées, allez défendre la maison d'Israël, qui est la vigne du Seigneur des armées; allez réprimer l'insolence de infidèles, qui veulent se soumettre les royaumes et les empires, e se proposent d'éteindre le nom chrétien. Il ne s'agit plus de venger les injures des hommes, mais celles de la Divinité; il ne s'agit plus de l'attaque d'une ville ou d'un château, mais de la conquête de lieux saints. Si vous triomphez, les bénédictions du ciel et le royaumes de l'Asie seront votre partage; si vous succombez, vous aurez la gloire de mourir aux mêmes lieux que Jésus-Christ, Dieu n'oubliera point qu'il vous aura vus dans sa milice sainte. Ce pendant nous prenons sous la protection de l'Eglise et des apôtre saint Pierre et saint Paul, ceux qui s'engageront à cette sainte entre prise, et nous ordonnons que leurs personnes et leurs biens soie dans une entière sûrcté. Que si quelqu'un est assez hardi pour q inquiéter, il sera excommunié par l'évêque du lieu, jusqu'à las tisfaction convenable. Et les évêques et les prêtres qui ne lui

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sisteront pas vigoureusement, seront suspendus de leurs fonctions jusqu'à ce qu'ils obtiennent grâce du Saint-Siége.

Soldats du Dieu vivant, qu'aucune lâche affection, qu'aucun sentiment profane ne vous retienne dans vos foyers; n'écoutez plus que les gémissements de Sion; brisez tous les liens de la terre, et ressouvenez-vous de ce qu'a dit le Seigneur: Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi; quiconque abandonnera sa maison, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou son héritage pour mon nom, sera récompensé au centuple et possédera la vie éternelle.

A ces paroles du Pontife suprême, l'assemblée des fidèles se leva tout entière et fit entendre ces mots : Dieu le veut! Dieu le veut! Ce cri unanime fut répété à plusieurs reprises; il retentit au loin dans la cité de Clermont, et jusque sur les montagnes du voisinage. Alors le Pape, levant les yeux au ciel et faisant signe de la main pour imposer silence, continua ainsi : Mes frères, vous voyez aujourd'hui l'accomplissement de cette parole du Seigneur, que là où les siens sont assemblés en son nom, il est au milieu d'eux; car, s'il ne vous l'avait inspiré lui-même, vous n'auriez point ainsi crié tout d'une voix. Que ces paroles: Dieu le veut! soient désormais votre cri de guerre, et qu'elles annoncent partout la présence du Dieu des armées. Au reste, nous ne prétendons pas que les vieillards ou les invalides, et ceux qui ne sont pas propres aux armes, entreprennent ce voyage, non plus que les femmes sans leurs maris, leurs frères ou d'autres hommes qui en répondent. Toutes ces personnes donnent plus d'embarras que de secours. Les riches aideront les pauvres, et meneront avec eux des gens de service à leurs dépens. Les prêtres et les clercs n'iront point sans la permission de leurs évêques, de qui les laïques mêmes doivent prendre la bénédiction pour entreprendre un pélerinage. Quiconque veut entreprendre celui-ci, doit porter sur lui la figure de la croix. Elle sera le signe élevé entre les nations, pour réunir les enfants dispersés de la maison d'Israël; portez-la sur vos épaules ou sur votre poitrine; qu'elle brille sur vos armes et sur vos étendards; elle deviendra pour vous le gage de la victoire ou la palme du martyre; elle vous rappellera sans cesse que Jésus-Christ est mort pour vous et que vous devez mourir pour lui1.

Lorsqu'Urbain eut cessé de parler, l'agitation fut grande; on n'entendait plus que ces acclamations: Dieu le veut! Dieu le veut! qui étaient comme la voix de tout le peuple chrétien. Le cardinal

1 Baron., an 1095.

TOME XIV.

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Grégoire, qui monta depuis sur la Chaire de saint Pierre, sous le nom d'Innocent II, prononça à haute voix une formule de confession générale; tous les assistants se prosternèrent à genoux, se frappèrent la poitrine et reçurent l'absolution de leurs péchés.

Adhémar de Monteil, évêque du Puy, demanda le premier à entrer dans la voie de Dieu, et prit la croix des mains du Pape; plusieurs évêques suivirent son exemple. Raymond, comte de Toulouse et de Saint-Gilles, s'excusa, par ses ambassadeurs, de n'avoir pu assister au concile de Clermont : il avait déjà combattu les Sarrasins en Espagne, il promettait d'aller les combattre en Asie, suivi de ses plus fidèles guerriers. Les barons et les chevaliers, qui avaient entendu les exhortations d'Urbain, firent tous le serment de venger la cause de Jésus-Christ; ils oublièrent leurs propres querelles, et jurèrent de combattre ensemble les ennemis de la foi chrétienne; tous les fidèles promirent de respecter les décisions du concile, et décorèrent leurs vêtements d'une croix rouge, de drap ou de soie; ils prirent dès-lors le nom de croisés, et le nom de croisade fut donné à la guerre qu'on allait faire aux Sarrasins. Le Pape, d'après la voix unanime des évêques, nomma pour chef spirituel de la croisade l'évêque Adhémar du Puy, en qualité de légat, comme très-instruit de la religion et des affaires temporelles. Le comte de Toulouse et de Saint-Gilles en fut regardé comme le chef séculier, étant jusqu'alors le plus distingué d'entre les seigneurs qui avaient pris la croix.

Enfin, pour attirer les bénédictions du ciel sur cette grande entreprise, le pape Urbain crut qu'il fallait y intéresser la mère de Dieu. Pour cela, ayant pris l'avis des pères du concile, il ordonna' que les clercs réciteraient le petit office de la Vierge, qui était en usage parmi les ermites institués par saint Pierre Damien. Nonseulement le clergé, mais les laïques et même les femmes reçurent avec joie cette sainte pratique, et en retirèrent de grands fruits. On ajoute que le même Pape ordonna que le samedi serait spé-/ cialement consacré à la sainte Vierge, et qu'on en ferait l'office ce jour-là.

En sortant de Clermont, le Pape visita plusieurs églises de France, notamment celles de Limoges, de Poitiers, d'Angers, de Tours. Dans cette dernière ville, le dimanche Lætare qui est le quatrième, de carême, le Pape se couronna de palmes, selon l'usage de Rome. Il fit aussi, le même jour, la bénédiction de la rose d'or, comme il est marqué dans l'ordre romain; et, pendant la procession qu'il fit ensuite de l'église de Saint-Martin à celle de Saint-Gatien, il donna cette rose à Foulque, comte d'Anjou, qui était présent, et qui la

porta le reste de la procession; car quand il se trouvait à Rome ' quelque prince à la procession qu'on faisait après la bénédiction de la rose d'or, c'était l'usage que le Pape la lui donnât : sinon, il l'envoyait par honneur à quelque princesse ou à quelque prince absent. Le comte d'Anjou fut si charmé de ce présent, que, pour témoigner l'estime qu'il en faisait, il s'engagea à porter tous les ans cette fleur à la procession du dimanche des Rameaux, et il ordonna que ses successeurs ne manquassent pas de la porter à la même procession, qui était fort célèbre à Angers dès le temps de Théodulphe, évêque d'Orléans, comme on le voit par la belle hymne qu'il composa pour y être chantée. On y portait non-seulement des rameaux, majs encore des fleurs; et c'est peut-être d'où nous est venu le nom de Pâque fleurie '.

Au mois de juillet 1096, après avoir visité plusieurs autres églises, le Pape se rendit à Nîmes, où il tint le concile qu'il avait indiqué à Arles. Le roi, Philippe de France, malgré la violente passion qui l'attachait à Bertrade, ne put soutenir long-temps le poids de l'excommunication dont il était frappé. La grâce agissant sur son cœur, il fit, pour rompre les chaînes qui le captivaient, des efforts qui parurent sincères. Il se sépara de sa concubine, et alla lui-même au concile de Nîmes pour demander son absolution, en promettant qu'il n'aurait plus aucun commerce avec Bertrade. Cette démarche donna la plus sensible consolation au Pape, qui leva avec plaisir les censures qu'il s'était cru obligé de porter contre ce prince. Urbain avait montré peu auparavant qu'il ne cherchait en tout que le bien du royaume de France et de l'Eglise catholique. Guillaume de Montfort, frère de Bertrade, avait été élu évêque de Paris à la mort de Geoffroi, oncle du duc Godefroi de Bouillon. Guillaume était disciple du bienheureux Yves de Chartres. Il consulta son maître pour savoir s'il devait accepter. Yves, qui connaissait ses bonnes qualités, fut d'avis qu'il acceptât, si, après un examen qu'il ferait sur les lieux, il reconnaissait que son élection n'eût point été l'effet de la brigue, de la faveur ou de la simonie. Guillaume, s'étant assuré de la canonicité de son élection, accepta l'épiscopat; mais sa jeunesse était un autre obstacle. Yves lui conseilla de demander dispense au Pape, et cependant de garder les interstices en recevant les différents ordres, avant que de se faire sacrer évêque. C'est ce que l'évêque de Chartres écrivit au Pape, qu'il alla trouver ensuite en personne. Urbain fit examiner l'affaire; et, comme il ui restait encore quelque doute, il chargea Yves de prendre à

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