Page images
PDF
EPUB

et pour la tenir soumise à l'esprit : obtenez-nous ces excellentes vertus qui vous ont distinguée entre tous les Justes; cette foi héroïque qui vous a rendue si heureuse, en vous faisant croire ce qui vous étoit révélé; cette profonde humilité qui vous a élevée si haut, et qui engagea le Verbe de Dieu à s'abaisser jusqu'à vous; cette pureté angélique qui vous fut si chère, et que vous préférâtes à toutes les grandeurs qu'on vous promettoit; cette obéissance que Jésus-Christ trouva plus digne de ses éloges, et plus recommandable en vous que votre maternité même ; ce zèle pour les intérêts de Dieu et pour le salut des hommes, qui, malgré la tendresse de votre cœur, vous fit consentir au sacrifice et à la mort de votre fils, quand vous le présentâtes dans le temple comme la victime qui devoit être immolée pour nos péchés. Sans prétendre au degré sublime où vous avez possédé ces vertus, obtenez-lesnous au moins dans le degré convenable à nos obligations : c'est-àdire, obtenez-nous une foi vive qui nous fasse agir, et qui, pour la cause de Dieu, nous détermine à tout souffrir; une confiance en Dieu inébranlable, qui ne soit jamais confondue; un amour de Dieu que toutes les eaux des tribulations et des adversités de cette vie ne puissent éteindre; une charité envers le prochain qui nous tienne tous étroitement et saintement unis en Jésus-Christ: obtenez-nous une victoire entière sur le monde, un détachement parfait de nous-mêmes, un esprit humble et un cœur pur. Voilà les graces, ô Vierge sainte, que nous vous demandons, et pour lesquelles nous ne craignons pas que vous nous refusiez votre intercession. Nous vous saluons avec l'Église en qualité de reine, Salve regina: mais à Dieu ne plaise que nous présumions d'entrer dans la gloire par une autre voie que par celle de vos vertus! Comme reine, nous vous réclamons, Ad te clamamus; mais nous n'implorons votre secours que pour pouvoir marcher sur vos pas en imitant vos exemples: comme reine, nous vous prenons pour notre protectrice, et nous vous faisons entendre nos gémissements, Ad te suspiramus; mais nous ne nous mettons sous votre protection que pour obtenir par vous la grace de notre conversion. Sans craindre d'être du nombre de vos dévots indiscrets, nous vous appelons mère de miséricorde, source de vie, consolation de nos ames, Mater misericordiæ, vita, dulcedo; mais nous ne prétendons point que ces titres nous autorisent dans nos foiblesses, ni qu'ils nous rassurent dans nos désordres. Malgré les critiques censeurs de votre culte, nous nous confions en vous; mais notre confiance ne nous fait point oublier que, pour être récompensé comme vous, il faut, par proportion, le mériter comme vous, et que jamais nous ne parviendrons autrement à ce royaume éternel, où nous conduise, etc.

AUTRE SERMON POUR LA FÊTE DE L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.

SUR LA DÉVOTION A LA VIERGE.

Intravit Jesus in quoddam castellum, et mulier quædam excepit illum in domum

suam.

Jésus entra dans une bourgade, et une femme le reçut dans sa maison. SAINT LUC, chap. x.

Cette femme ainsi honorée de la présence de Jésus-Christ, ce fut, Chrétiens, dans le sens littéral de notre évangile, Marthe, sœur de Madeleine; mais, selon l'application de l'Église, c'est Marie, la mère du Rédempteur, la reine des vierges, et la souveraine du ciel et de la terre. C'est elle qui reçut dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu; et c'est elle qui est aujourd'hui reçue par cet Homme-Dieu dans le séjour de la gloire. Heureuse, mes Frères, s'écrie saint Bernard, heureuse réception de l'une et de l'autre part! Felix utraque susceptio (BERN.)! soit celle que Marie fit à Jésus-Christ dans le mystère de son incarnation, soit celle que Jésus-Christ fait à Marie dans le mystère de son assomption. Mais pourquoi parler maintenant de la première, demande le même saint Bernard? Pour mieux juger de la seconde, répond ce saint docteur; pour en former une juste idée; pour en concevoir toute la gloire et toute l'excellence; ou plutôt, pour reconnoître que comme la première est absolument inconcevable à nos esprits, la seconde est au-dessus de toutes nos vues et de toutes nos expressions: Ut juxta inestimabilem illius gloriam, inestimabilis cognoscatur et ista (Idem.). En effet, quel langage pourroit jamais expliquer comment ce Dieu de majesté, qui ne peut être compris dans la vaste étendue de l'univers, se renferma dans le sein d'une vierge; et qui pourroit dire aussi avec quelle pompe cette vierge entre dans le ciel pour y être couronnée, et pour y régner pendant toute l'éternité? Christi generationem et Mariæ assumptionem quis enarrabit (Idem.)? J'ai donc cru, mes chers auditeurs, devoir prendre un sujet plus proportionné à notre fo blesse, et même plus utile pour vous. J'ai cru que le grand et ineffable mystère de l'assomption de Marie me donnoit une occasion favorable de vous entretenir de la dévotion envers cette mère de Dieu. C'est ce que je me propose, et c'est pour cela même, Vierge sainte, que j'ai besoin de votre secours. Daignez agréer le zèle qui m'anime pour vous, et le seconder; daignez écouter la prière que je fais en vous saluant, et vous disant : Ave Maria.

Si j'entreprends aujourd'hui de vous parler de la dévotion à la Vierge, ce n'est point précisément pour vous l'inspirer, puisque je vous suppose trop chrétiens pour n'avoir pas envers la mère de Dieu tous les sentiments de zèle et de respect qui lui sont dus : c'est donc seulement pour vous donner sur cette importante matière toute l'in

struction que des chrétiens parfaits et spirituels doivent avoir, s'ils veulent parvenir à la pratique de ce culte raisonnable que le grand Apôtre nous a si fortement recommandé : Rationabile obsequium vestrum (Rom., 12). Ainsi, mes chers auditeurs, au lieu de vous exhorter à la dévotion envers Marie, je veux vous apprendre à régler cette dévotion, à profiter de cette dévotion, et à vous sanctifier vous-mêmes par cette dévotion; je veux vous en faire connoître les véritables caractères, vous en marquer les défauts, vous en découvrir les abus, et par-là vous engager à en faire un saint usage: pouvois-je choisir un dessein plus convenable à votre piété, et plus avantageux à la dévotion même dont il s'agit? Elle consiste, selon saint Bernard, en trois principaux devoirs à honorer Marie, à l'invoquer, à l'imiter. Or c'est à ces trois devoirs que je m'attache, et voici en trois mots le partage de ce discours. Il faut honorer Marie, mais l'honorer judicieusement; c'est la première proposition : il faut invoquer Marie, mais l'invoquer efficacement; c'est la seconde proposition: enfin il faut imiter Marie, et l'imiter religieusement; c'est la dernière proposition. Il faut honorer cette Vierge judicieusement; car l'honneur de la reine du ciel, aussi bien que celui de Jésus-Christ le Roi des rois, demande sur toutes choses cette condition: Nam et honor reginæ judicium diligit (BERN.), dit saint Bernard, appliquant à la mère ce qui est écrit du fils, Et honor Regis judicium diligit (Psalm. 98): ce sera le sujet de la première partie. Il faut invoquer cette vierge efficacement; car en vain Marie a-t-elle pour nous du crédit auprès de Dieu, si par l'indignité de nos prières, ou par l'impénitence de notre vie, nous nous rendons son crédit inutile: ce sera la seconde partie. Il faut, autant qu'il est en notre pouvoir, imiter cette vierge religieusement; car la sainteté de Marie est un modèle sur lequel Dieu prétend que nous nous formions, et, si nous ne le faisons pas, sur lequel il nous jugera : ce sera la dernière partie. Trois vérités également capables de contribuer à la conversion des pécheurs, et à la sanctification des Justes. Commençons.

PREMIÈRE PARTIE.

Pour honorer saintement la mère de Dieu, il faut l'honorer judicieusement. C'est un principe qui ne peut être contesté, et dont il n'y a sans doute personne qui ne convienne avec moi. Mais on doit en même temps convenir d'une autre vérité qui me paroît également incontestable, savoir, que s'il faut du discernement et de la prudence pour honorer la mère de Dieu, il n'en faut pas moins, que dis-je? qu'il en faut même encore plus pour censurer ceux qui l'honorent, et pour s'ériger en juge du culte et des honneurs qu'ils lui rendent.J'ai droit, ce me semble, d'exiger d'abord de votre piété que vous ne sépariez jamais ces deux principes, quand il s'agit de décider sur un sujet aussi mportant que celui-ci ; et vous avez trop de pénétration, Chrétiens,

pour n'entrer pas dans ma pensée, et trop d'équité pour n'avouer pas que la raison, aussi bien que la droite et sincère religion, le demandent ainsi je m'explique. Il peut y avoir dans le monde, parmi les personnes adonnées au service de la Vierge, des dévots indiscrets, j'en veux bien tomber d'accord avec vous; et s'il y en a de tels, à Dieu ne plaise que je prétende ici les excuser ni les autoriser! mais aussi peut-il y avoir des censeurs indiscrets de la dévotion envers cette même vierge; et c'est à quoi l'on ne pense point assez. De ces deux désordres, on se pique d'éviter le premier, et il arrive tous les jours qu'on se fait un faux mérite ou une vanité bizarre du second. Cependant le second n'est pas moins dangereux que le premier ; et l'homme chrétien ne court pas moins de risque devant Dieu, en condamnant avec témérité un culte légitime et saint, qu'en pratiquant par ignorance un culte outré et superstitieux. C'est donc à nous, mes chers auditeurs, à nous préserver de l'un et de l'autre ; c'est à moi, comme prédicateur de l'Évangile, à vous conduire entre ces deux écueils, et par quelle voie? en vous donnant des règles sûres pour honorer discrètement la reine du ciel, et vous proposant les mêmes règles pour ne pas critiquer légèrement les honneurs même populaires qu'elle reçoit sur la terre. Ne disons rien de vague; et, dans le dessein que j'ai formé d'éclaircir ces vérités, ne combattons point des fantômes, mais venons au détail des choses.

On a prétendu que, malgré le soin qu'ont eu les pasteurs d'instruire les peuples, et d'épurer, dans notre siècle, la religion ou la dévotion des fidèles, il y avoit encore de l'excès, et par conséquent de l'abus dans le culte qu'on rend à la sainte Vierge; et ce que je vous prie de bien remarquer, ce ne sont pas seulement les ennemis déclarés de l'Eglise qui en ont jugé de la sorte. Quelques uns même de ses propres enfants ont déploré cet abus : des catholiques, prétendus zélés, mais dont le zèle sans doute n'a pas eu toutes les qualités requises pour être ce zèle selon la science que demandoit l'Apôtre; quoi qu'il en soit, des catholiques même ont cru devoir prendre sur ce point la cause de Dieu; et de la manière qu'ils s'en sont expliqués, voici les trois chefs où la vénération du commun des fidèles pour la mère de Dieu leur a paru aller jusqu'à l'indiscrétion. Car c'est le terme dont ils se sont servis, et il nous importe une fois de bien comprendre à quoi ils l'ont appliqué. Touchés des intérêts de Dieu, ils se sont plaints qu'on rendoit des hommages à Marie comme à une divinité; ils se sont plaints qu'on lui donnoit des titres d'honneur qui ne lui appartenoient pas, surtout ceux de médiatrice et de réparatrice du monde perdu ; ils se sont plaints qu'on lui attribuoit de nouveaux priviléges, qui ne nous étoient révélés ni dans l'Écriture, ni dans la tradition. Examinons leurs plaintes sans préjugé; et puisqu'ils les ont publiées dans le monde chrétien en forme d'avertissements donnés par Marie elle-même à ses dévots indiscrets, nous qui voulons de bonne foi que notre dévotion soit

prudente, qu'elle soit solide, qu'elle soit sans reproche, profitons de ces avis pour peu qu'ils soient fondés, édifions-nous-en; du moins servons-nous de l'examen que nous en allons faire, pour nous rendre encore plus exacts et plus irrépréhensibles dans le culte de la Vierge que nous honorons. Écoutez-moi : ceci n'aura rien de trop abstrait, ni d'ennuyeux.

Il est donc vrai, Chrétiens, et je le dis hautement, que d'honorer Marie comme une divinité, quoique subalterne, ce seroit, non pas un simple abus, ni une simple indiscrétion, mais un crime et une impiété. Car Marie, toute mère de Dieu qu'elle est, n'est qu'une pure créature; l'humble servante du Seigneur, dont tout le bonheur est fondé sur l'aveu authentique qu'elle a fait elle-même de sa bassesse et de son néant : Quia respexit humilitatem ancillæ suæ; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes (Luc., 1). C'est ainsi qu'elle nous l'a appris; et nous le savons si bien, que, pour ne l'oublier jamais, nous nous faisons un devoir de la saluer chaque jour en cette qualité de servante du Seigneur : Ecce ancilla Domini (Ibid.). Ainsi, grace à la Providence et à l'esprit qui gouverne le christianisme, je prétends que l'Église de Jésus-Christ, surtout dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, n'avoit nul besoin de l'avis prétendu salutaire qu'on a voulu nous donner là-dessus. Car, comme je vous l'ai fait déja remarquer d'autres fois, ce que disoit saint Augustin dans un sujet à peu près semblable, pour répondre aux manichéens, qui, malicieusement et sans raison, accusoient de son temps les catholiques de rendre aux martyrs un culte idolâtre; ce que disoit ce Père touchant les martyrs, qui de nous ne le dit pas de la mère de Dieu, que ce n'est point à elle que nous dédions des autels, ni à elle que nous offrons le sacrifice, mais à Dieu qui l'a choisie, à Dieu qui l'a sanctifiée, à Dieu qui l'a glorifiée? Nous sommes donc bien éloignés de cette grossière erreur, ou de cette énorme indiscrétion qui consisteroit à faire de Marie une déesse; et l'indiscrétion, s'il y en avoit ici, seroit plutôt de la part de ceux qui, dans leurs avis, auroient supposé qu'un grand nombre de fidèles, à la vue de leurs pasteurs, avoient pu tomber et étoient en effet tombés dans une telle corruption de foi; l'indiscrétion seroit, non seulement d'avoir par-là renouvelé les accusations vaines et frivoles des anciens hérétiques contre l'Église, mais d'avoir donné l'avantage à l'hérétique protestant, de voir des catholiques mêmes persuadés que notre foi s'étoit ainsi corrompue dans ces derniers siècles. Non, mes chers auditeurs, je le répète, l'Église de Jésus-Christ n'a point été abandonnée de la sorte. Car qu'est-ce, selon nous, que d'honorer judicieusement la mère de Dieu ? C'est l'honorer d'un culte inférieur à celui de Dieu, mais supérieur à tout autre que celui de Dieu: or voilà comment nous l'honorons, voilà comment tous les siècles du christianisme l'ont honorée : malheur à celui qui la confondroit avec Dieu! mais aussi malheur à celui qui ne lui rendroit pas des hommages

« PreviousContinue »