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Tandis que les Volsques envahissaient le midi du Latium, les Eques enlevaient ses villes orientales. Suivant le traité conclu par Cassius, Rome aurait dû envoyer toutes ses forces au secours des Latins. Mais ses dissensions intérieures et les dangers qu'elle courait du côté de Véies retenaient les légions dans la ville ou au nord du Tibre. Les Véiens en effet, depuis 482, avaient recommencé la guerre, et le désastre des Fabius sur les bords du Crémère (477) leur avait permis de pénétrer jusqu'au Janicule. Un consul essaya vainement de les en déloger. Un autre, plus heureux, Virginius, les chassa et reporta la guerre sur le territoire véien. Pendant ce temps les ennemis, du côté du Latium, avaient pris, eux aussi, une position formidable. Les Eques sur l'Algide et les Volsques sur le mont Albain, séparaient les Latins des Herniques et menaçaient à la fois ces deux peuples. Mais une trêve de 40 ans, que signèrent les Véiens, en 474, lorsque Manlius Vulso commença le siége de leur ville, et l'adoption de la loi Publilia, en 471, mirent fin pour un temps à la guerre étrusque comme aux troubles du forum, et le sénat put écouter les plaintes des alliés.

Quinctius Capitolinus et Cincinnatus.

Deux membres de la gens Quinctia, Capitolinus et Cincinnatus, eurent l'honneur de cette guerre. T. Quinctius Capitolinus, patricien populaire, était en 471 le collègue d'Appius. Tandis que les Voléros d'Appius se faisaient battre par les Volsques, Quinctius enlevait aux Eques leur butin et rentrait à Rome avec le surnom de Père des soldats. Mais ce petit peuple était infatigable, quatre fois ses bandes agiles se jetèrent audacieusement entre les camps consulaires sur la campagne de Rome. En 468, le consul Furius s'engagea à leur poursuite dans une gorge étroite, et quand il voulut reculer, les Èques, subitement ralliés, avaient fermé toutes les issues. L'armée était perdue, Quinctius la sauva. A la nouvelle du danger de Furius, le sénat avait investi son collègue Posthumius de la puissance dictatoriale par la formule: Caveat consul ne quid detrimenti respublica capiat, et Pos

thumius ne s'en servit que pour charger Quinctius du soin difficile de délivrer l'armée consulaire. Une seconde fois consul l'année suivante, Quinctius s'empara de la riche cité maritime d'Antium, et célébra, au retour de cette campagne, un si brillant triomphe qu'il en garda le surnom de Capitolinus. Le péril ne fut que pour un moment éloigné. Jamais Rome en effet, depuis Porsenna, n'avait été aussi sérieusement menacée. Les troubles intérieurs avaient recommencé au sujet de la proposition Terentilla; la peste sévissait avec violence, et une armée ennemie campait à 3 milles de la porte Esquiline (462). Les désastres se multiplièrent encore les années suivantes. La citadelle des fidèles Tusculans fut pendant plusieurs mois occupée par les Eques, et un audacieux coup de main livra, une nuit, le Capitole au Sabin Herdonius (voy. p. 58) et à une troupe de bannis (459). Le Capitole fut repris; mais, l'année d'après, Antium fit défection, et l'armée du consul Minucius se laissa encore une fois enfermer par les Éques dans un défilé. Cincinnatus parut seul capable de sauver la république. On le nomma dictateur. Les sénateurs qui vinrent le saluer maître du peuple le trouvèrent à sa charrue, labourant de ses mains victorieuses son modeste héritage. Le même jour, il marcha aux Eques, les enferma dans ses lignes, et les fit passer sous le joug avec leur général Gracchus Cluilius. Rentré a Rome en triomphe, suivi du consul et de l'armée qu'il avait sauvés, il déposa le seizième jour, la dictature pour retourner à son champ (457). Malgré ce succès que la vanité a embelli, comme tant d'autres points de l'histoire militaire de Rome, la guerre n'était pas terminée, et les Éques restaient toujours en possession de l'Algide, les Volsques du mont Albain. Quelques bandes de Sabins, qui s'étaient mêlées aux courses des Véiens et des Eques, avaient aussi été battues,

Depuis un demi-siècle que les rois avaient été chassés, la décadence de la puissance de Rome ne s'était pas un seul instant arrêtée; en 493, son territoire était au moins couvert par les Latins. Mais des 30 villes latines qui avaient signé le traité de Cassius, 13 étaient maintenant ou détruites ou occupées par l'ennemi. Si l'ager romanus n'était pas encore

entamé, la barrière qui devait le protéger avait donc été en partie détruite. Heureusement, la population s'était aguerrie dans ces luttes continuelles, mais au fond peu dangereuses; et les soldats qu'Appius décime sans résistance, que Cincinnatus charge de douze pieux, de leurs armes et de leurs vivres pour une marche de 20 milles en 4 heures, sont déjà les légionnaires de Véséris, de Bénévent, de Cynocéphales et de Zama.

CHAPITRE V.

LES DÉCEMVIRS; EGALITÉ CIVILE.

PROPOSITION TÉRENTILLA (461); CÉSON ET LE SABIN HERDONIUS (459). CONCESSION AUX PLÉBÉIENS DES TERRES PUBLIQUES DE L'AVENTIN ET LOI SUR LES AMENDES (454-453). — LES PREMIERS DÉCEMVIRS (450). APPIUS ET VIRGINIE (448). — RÉSUMÉ DES XII TABLES: DROIT DES PERSONNES ET DES CHOSES. -DISPOSITIONS FAVORABLES AUX PLÉBÉIENS.

Proposition Térentilla (461); Céson et le Sabin Herdonius (459).

Jusqu'à Voléro et Létorius, le peuple n'a conquis que des armes pour le combat; mais ce combat, malgré les violences que nous avons déjà vues, n'a pas encore été sérieusement engagé. En 461, les plébéiens passent de la résistance à l'attaque; ils demandent la révision de l'ancienne constitution et une législation nouvelle. C'était trop vouloir à la fois, car ils n'étaient pas assez forts pour triompher d'un coup. Aussi leur victoire se fractionnera, si je puis dire, et ne s'achèvera qu'en plus d'un siècle. En 450, ils arracheront l'égalité civile; en 367, l'égalité politique; en 339 et en 306, l'égalité judiciaire; en 302, l'égalité religieuse. Le décemvirat fut la conquête de l'égalité devant la loi civile.

Les consuls et les juges patriciens avaient jusqu'alors rendu la justice, non d'après les lois écrites et connues de tous, mais en suivant d'anciennes et obscures coutumes qu'ils interprétaient arbitrairement, et qui livraient à leur

pouvoir discrétionnaire le plaideur plébéien. Dans la constitution rien n'était fixe, déterminé; nul ne savait où s'arrêtait la juridiction des magistrats, où cessaient les pouvoirs du sénat. Ce fut pour détruire cet arbitraire et ces incertitudes que le tribun Térentillus Arsa, abandonnant la loi agraire qui s'usait, demanda, en 461, que dix hommes fussent nommés pour rédiger et publier un code de lois. Le sénat repoussa avec violence cette proposition, et pour gagner du temps, il chercha à arrêter le tribun par le veto d'un de ses collègues. Mais ils avaient juré tous de rester inébran. lablement unis, et ni ruses, ni menaces, ni présages sinistres ne purent les détourner du but. Le chef de toutes les violences patriciennes était le fils de Cincinnatus, Quinctius Céson, jeune homme fier de sa force, de ses exploits, de sa noblesse. A la tête de jeunes patriciens, il troublait les délibérations, se jetait sur la foule et chassa plus d'une fois les tribuns du forum. Cet homme semblait porter en lui toutes les dictatures et tous les consulats, et son audace rendait l'autorité tribunitienne impuissante. Un tribun osa cependant se servir de la loi Icilia. Virginius accusa Céson d'avoir frappé un tribun malgré son caractère inviolable, et un plébéien attesta qu'il avait renversé sur la voie Suburrane un vieillard, son frère, mort quelques jours après de ses blessures. Le peuple s'émut à ce récit de meurtre, et Céson, laissé libre sous caution, eût été condamné à mort aux prochains comices, s'il ne se fût exilé de lui-même en Étrurie. Pour payer l'amende de son fils, Cincinnatus vendit presque tous ses biens; il ne lui resta que quatre arpents au delà du Tibre (460).

Ainsi que Coriolan, Céson voulut se venger, et les tribuns vinrent un jour dénoncer au sénat une conspiration dont il était l'âme. Le Capitole devait être surpris, les tribuns et les chefs du peuple massacrés, et les lois sacrées abolies. Le Capitole fut, en effet, l'année suivante, occupé durant la nuit par le Sabin Herdonius, à la tête de 4000 esclaves ou bannis, parmi lesquels se trouvait peut-être Céson (459). Cet audacieux coup de main n'effraya pas moins le sénat que le peuple, auquel le consul Valérius promit l'acceptation de la

loi Térentilla pour prix de son concours. Le Capitole fut repris, et de tous ceux qui l'occupaient, pas un n'échappa : mais Valérius, le consul populaire, avait péri durant l'attaque, et il fut remplacé par Cincinnatus, qui crut le sénat délié par cette mort de ses promesses. « Tant que je serai consul, dit-il aux tribuns, votre loi ne passera pas, et avant de sortir de charge je nommerai un dictateur. Demain j'emmène l'armée contre les Eques. » Ils annonçaient leur opposition à l'enrôlement. « Je n'ai pas besoin de nouveaux soldats, les légionnaires de Valérius n'ont pas été licenciés; ils me suivront à l'Algide. » Il voulait amener là les augures, leur faire consacrer un lieu pour délibérer et contraindre l'armée, comme représentant le peuple, à révoquer toutes les lois tribunitiennes. Le sénat n'osa suivre son consul dans cette réaction violente; il se contenta de repousser la loi; mais les mêmes tribuns furent pour la troisième fois réélus (458); ils le furent encore les années suivantes, jusqu'à cinq fois, et avec eux se présenta toujours l'odieuse proposition, malgré une nouvelle dictature de Cincinnatus qui profita de son autorité sans appel pour exiler l'accusateur de son fils.

Cet état de choses entretenait les esprits dans une tell fermentation, que le sénat crut prudent de consentir à co qu'on nommât désormais dix tribuns, deux pour chaque classe. Le peuple, surtout celui des classes inférieures, attendait de cette augmentation une protection plus efficace et plus prompte, les patriciens une facilité plus grande pour acheter quelques membres du collége. D'autres concessions suivirent.

Concession aux plébéiens des terres publiques de l'Aventin et loi sur les amendes (454-453).

En 454, le tribun Icilius demanda que les terres du donaine public sur l'Aventin fussent distribuées au peuple; et malgré les violences de la jeunesse patricienne, il fit accepter зa loi par les tribus, força les consuls à la porter au sénat, où il obtint lui-même d'entrer pour défendre son plébiscite. De cette innovation sortit le droit, pour les tribuns, de con

sa

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