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101. M. l'abbé Gerbet publie son livre :

Considérations sur le Dogme générateur de la Piété catholique1

avec cette épigraphe:

Tous les sacrifices et les choses auxquelles préside la science sacrée, et par lesquelles la Divinité s'unit aux hommes, ont pour objet la conservation de l'amour, p. 269 (Platon, Banquet) 2.

Voici ce que dit Mgr de Ladoue de la publication de ce livre : «Au milieu de cette nuée de controverses théologiques et > philosophiques, dans ce feu croisé d'argumentations belli» queuses, l'un des combattants les plus intrépides, les plus » acharnés à la lutte, M. l'abbé Gerbet, lançait dans le public » un livre que l'on eût pu croire composé au fond d'un Cloître » solitaire, bien loin de tous les bruits agités du monde 3.

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En effet, il n'existe pas de livre de piété plus profond et plus clair, plus fort et plus doux ; c'est le Cantique des cantiques, dont les aspirations ardentes sont mêlées aux sombres appréciations du livre de Job; c'est le Platonisme chrétien. Pour bien faire comprendre cette vérité nous allons donner ici l'extrait suivant du livre :

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Ch. III. Développement de la Religion primitive,
Communion chrétienne,

Présence

réelle de Dieu, Quoique la Religion primitive formât une société réelle entre Dieu et l'Homme, le genre humain aspirait néamoins à une plus grande union. Il avait conservé le souvenir d'une société originelle plus parfaite, et la même tradition avait perpétué l'espérance que des communications plus intimes seraient retablies par le Réparateur, qui était l'espérance des nations. Aussi la croyance d'un Dieu présent seulement par sa grâce, n'a jamais pu satisfaire ce besoin immense que l'homme a de s'unir étroitement avec lui. L'Idolatrie tenait en partie à l'énergie de ce sentiment; car toute pratique vicieuse est fondée sur un sentiment droit, détourné de son véritable objet, comme toute erreur, suivant la remarque de Bossuet, est fondée sur une vérité dont on abuse. De là la consécration des Statues pour y faire habiter corporellement la Divinité; de là aussi ce penchant à la Théurgie, si violent chez toutes les nations païennes, ainsi que cette disposition à reconnaître dans les Personnages extraordinaires

Vol. in-12 de 159 p., 4e édit. de 1852. Paris. Vaton.

2 Dans la trad. de Cousin qui est mauvaise, t. vI, p. 269 et dans le texte éd. d'Astius, t. III, p. 467 et 188 c.

3 Vie de Mgr Gerbet, t. I, p. 138.

1

quelque Dieu caché sous le voile des formes humaines. Cet instinct divin s'agitait en tout sens dans l'univers, et le culte tout entier, même dans les superstitions qui s'y étaient jointes, était en quelque sorte l'élan prophétique du genre humain, cherchant de toutes parts la Présence personnelle de la Divinité.

Jésus-Christ parait, le monde respire, son attente était remplie. Cette foi en la Présence réelle produisit incontinent, sous le point de vue qui nous occupe, deux effets remarquables: l'un dans le sein du Christianisme, l'autre dans le monde Païen. Chez les Chrétiens, la manie universelle de la divination, des évocations, des opérations magiques, cessa d'agiter les âmes. Ce ne furent pas seulement les pratiques extérieures qui fléchirent devant les sévères défenses de l'Eglise, ce fut le penchant même jusque-là si fougueux et si indomptable qui s'apaisa dans le cœur de l'homme et y fit place à un calme profond, indice d'un grand besoin satisfait. La même croyance réagit hors de l'Eglise sur la Philosophie païenne. Celle-ci, comprenant que le Christianisme, en annonçant la Présence personnelle de Dieu, avait rempli le vœu perpétuel de l'humanité, se crut obligée, pour conserver quelque empire sur les esprits, de leur promettre le même bienfait. Mais comme en tourmentant des abstractions, elle n'en aurait tiré tout au plus qu'un Dieu obstrait, et que même elle n'en avait tiré jusqu'alors rien de réel que le doute, elle changea fondamentalement de caractère. De rationnelle qu'elle était, elle devint Mystique et Théurgique; et la fameuse école d'Alexandrie, qui fut, à cette époque, le centre de la Philosophie païenne, opposa aux mystères de l'Evangile une espèce d'Alchimie théologique, qui disparut bientôt, comme un rêve impuissant, devint l'ascendant de l'antique foi dont le Christianisme était le complet développement.

La supériorité du Christianisme, proprement dit, sur la religion primitive, tient radicalement à ce rapprochement de la Divinité vers l'homme'.

Il faut le dire, ce livre étonna et scandalisa presque les vieux théologiens qui ne voyaient dans Jésus que l'auteur du Christianisme moderne sans rapport avec le Christianisme primitif. Aussi, tandis que le jeune clergé et les laïques instruits y trouvaient un sujet d'instruction scientifique et d'édification nouvelle, tous les Gallicans y furent instinctivement contraires.

Parmi ces opposants semant secrètement leurs insinuations malveillantes se distinguait un mystique à la mode à cette époque, le père Barat, jésuite, directeur des Dames et des Demoiselles aristocratiques du couvent du Sacré-Cœur. M. l'abbé Gerbet voulut savoir de lui ce qu'il blàmait dans son livre et à ce

• Considérations sur le dogme générateur de la piété catholique, p. 31, 4o édit. Paris. Vaton. 1852.

sujet il y eut une correspondance où M. l'abbé Gerbet ne put parvenir à savoir ni ce que les Jésuites reprochaient à son livre, ni la promesse de ne plus le désavouer secrètement. Un certain nombre de lettres furent échangées intimes, mais quand les Jésuites refusèrent toute explication, alors les lettres furent publiées dans le Mémorial catholique; elles ont été récemment reproduites par Mgr de Ladoue dans sa Vie de Mgr Gerbet1.

Malgré cette opposition sourde ou publique, l'ouvrage se répandit partout, et il fut immédiatement traduit en italien, en allemand, en polonais, en anglais, en espagnol. Ce furent les Protestants, surtout les Calvinistes, niant la présence réelle, qui y trouvèrent des preuves nouvelles de la beauté et de la vérité de la croyance de l'Eglise. Mgr de Ladoue en cite un bel exemple.

L'abbé Gerbet, dit-il, avait eu plusieurs fois occasion d'admirer ces belles plantes qui poussaient sur le sol ingrat de l'Anglicanisme; il aimait à raconter qu'étant à Rome, dans son cabinet de travail, il vit entrer un personnage de très-bonne façon, qu'à sa tournure et à son costume il reconnut pour un Ministre anglican. A peine assis, ce visiteur entra ainsi en matière: « Je sais, Monsieur l'abbé, que vous vous êtes occupé du dogme » de l'Eucharistie, je viens vous soumettre une difficulté qui >> existe dans mon esprit et dont je ne trouve la solution nulle >> part au sujet d'un canon du Concile de Trente... » Et il expose sa difficulté. «< Veuillez me permettre, répondit l'abbé Gerbet, de >> vous faire observer que vous vous méprenez sur le sens du >> Concile... » A peine l'explication terminée, « Monsieur l'abbé, » vous avez raison, je m'étais trompé. » Une aussi parfaite droiture devait être récompensée; elle le fut, car ce visiteur était M. Manning, aujourd'hui cardinal et archevêque catholique de Westminster 2.

Nous pouvons ajouter que c'est nous qui donnâmes la première connaissance de ce livre à l'illustre cardinal Manning. Nous eûmes l'honneur de faire sa connaissance à Oxford, où, archidiacre encore de Chichester, il était venu prêcher le fa

Vie, t. 1, p. 373-386. Il faut observer à ce sujet qu'il y a erreur dans la citation en datant la 11e lettre de 1822; c'est 1829 qu'il fout mettre partout. La réponse du P. Varin, 5 octobre, est datée de Vitry. Nous avons entre les mains la minute de toutes ces pièces. 2 Vie de Mgx Gerbet, t. I, p. 143.

meux discours obligé du 8 octobre. Nous lui parlâmes de ce livre et il désira le connaître, et nous lui en adressâmes un exemplaire dont il nous remercia par la lettre suivante :

Lavington Petrworth, april 27 1844.

<< The Archideacon of Chichester presents his best compli>ments et regards to M. Bonnetty, and begs him to accept his > tanks for the copy of M. l'abbé Gerbet book on the B. Eu> charist, wich he will value as well for its own excellence ar > for the memorial it affords of M. Bonnetty's kindness.

Lavington Petrworth, 27 avril 1844. L'Archidiacre de Chichester présente ses meilleurs compliments et ses respects à M. Bonnetty et le prie de recevoir ses remerciements pour l'exemplaire du livre de M. l'abbé Gerbet sur la B. Eucharistie qu'il appréciera autant pour sa propre excellence, que pour le témoignage qu'il produit de la bonté de M. Bonnetty.

A. BONNETTY.

Études Bibliques.

LE LIVRE DE JUDITH

Des Événements historiques rapportés dans ce Livre.

Après avoir publié les deux articles de M. Robiou, qui renferment les premiers documents sur l'authenticité du Livre de Judith, nous avons dit que nous voulions les compléter par des applications plus spéciales de ces documents. Nous les trouvons dans un article de M. l'abbé M. Daniel, sulpicien, inséré dans l'Univers du 25 mars 1878. C'est cet article que nous publions ici. C'est une œuvre savante et qui répand un jour, presque complet, sur cette page de l'histoire biblique.

I

A. B.

L'objection la plus grave qui ait été faite contre le caractère du livre de Judith, c'est l'impossibilité, alléguée par les partisans du système allégorique, de faire entrer les événements que raconte le texte sacré dans le cadre de l'histoire assyrienne. L'ignorance où l'on était de cette histoire jusqu'à ces dernières années rendait, il est vrai, très-difficile la détermination de l'époque où a vécu l'héroïne de Béthulie. Les commentateurs chrétiens désignaient bien un roi d'Assyrie sous lequel avaient dû se passer les événements rapportés par la Bible; mais, faute de renseignements suffisants, ils ont été jusqu'ici très-divisés entre eux et n'ont pu fonder que sur des inductions vagues, peu satisfaisantes, l'hypothèse à laquelle ils ont donné leurs préfé

rences.

Nous allons essayer de résoudre l'importante question du caractère historique du livre de Judith au moyen des documents indigènes de l'Assyrie et à l'aide des divers travaux qui leur ont été consacrés, spécialement du Mémoire lu par M. Robiou, professeur d'histoire à la faculté de Rennes, devant l'Académie

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