Page images
PDF
EPUB

qui n'ont laissé incultes que 5,814 hectares de terre; ce département couvert de villes florissantes, coupé de canaux et de routes qui mettent en faciles rapports de nombreuses manufactures; ce pays modèle, en un mot, compte 150,000 indigens, dont 8,000 mendient habituellement leur pain.

Si vous vous souvenez, messieurs, de ce que je vous ai dit du royaume des Pays-Bas, vous comprendrez la situation de la Flandre française.

Entre ces deux pays, les analogies sont sensibles, climat, planimétrie de terrain, fertilité, habitudes d'ordre, amour du travail, industrie, accumulation de capitaux, tout, dans un pays comme dans l'autre, a concouru à un développement des puissances productives, tel qu'aucune autre contrée n'en offre d'exemple. Ainsi le département du Nord est arrivé à cet état de pléthore que connurent autrefois la Grèce et Rome, et qui accable aujourd'hui l'Irlande: état d'autant plus fâcheux qu'il tourne contre la civilisation les biens même qu'elles nous procure.

M. de Villeneuve, après avoir constaté la situation de son département sous le rapport du nombre des indigens, rechercha les causes d'un état si affligeant. Il reconnut d'abord que ce mal datait de loin, et qu'il existait depuis long-temps dans une égale proportion; car en 1789 on comptait 120,000 indigens pour une population de 808,147 individus : il vit ensuite que c'était surtout à l'exubérance de la population relativement à la surface du sol, aux fluctuations du travail dans les manufactures, à des habitudes vicieuses d'aumônes prodiguées jadis par de nombreuses et riches abbayes, à l'ignorance des basses classes, qu'on devait attribuer ce nombre prodigieux d'individus sans moyens d'existence.

Ses premiers soins furent donnés à tirer le meilleur parti possible des immenses secours offerts par la bienfaisance, et un réglement très étendu témoigne de la justesse de ses vues et de son esprit de prévoyance.

Mais ces palliatifs ne pouvaient satisfaire M. de Villeneuve : frappé de la gravité du mal, éclairé par l'exemple de ce qui se faisait au-delà de sa frontière, il a porté ses vues sur des moyens permanens de secourir les indigens.

Comme le général Van den Bosch, c'est dans l'emploi des bras oisifs à l'agriculture des terres, jusqu'à ce jour dédaignés, qu'il croit trouver un remède au fléau qui menace nos provinces septentrionales.

Le département du Nord ne lui présentant presque aucune terre qui n'ait été mise en valeur, M. de Villeneuve a jeté ses regards sur les portions du royaume où le sol n'est pas encore entièrement employé. Des recherches faites avec persévérance lui ont permis de dresser, par département, un tableau des terres incultes, et le résultat de ce tableau donne un total de 7,221,226 hectares.

Vous savez, messieurs, que ces terres se trouvent principalement réunies en deux masses: en Bretagne, où elles occupent 828,000 hectares, et en Guienne, où leur superficie est à peu près égale; et ce sont ces deux

1

provinces que M. de Villeneuve a principalement en vue dans ses projets
de colonisation.

Cet administrateur s'attache ensuite à démontrer que les landes de ces
deux provinces sont susceptibles de cultures, et qu'elles se prêteraient,
aussi bien que les bruyères des Pays-Bas, à un assolement raisonné. Son
opinion sur la possibilité d'établir des colonies d'indigens dans ces terres
incultes est appuyée de plusieurs autorités: d'abord, il cite MM. Léopold
de Bellaing et Eugène de Montglave, qui ont publié des écrits sur cette
question; ensuite M. le baron d'Haussez, ministre de la marine aujour-
d'hui, qui, pendant qu'il administrait le département de la Gironde,
en 1826, publia une brochure intitulée Etudes sur les Landes, dans
laquelle il établit la possibilité de secourir l'indigence en lui ouvrant des
asiles dans ces plaines désertes, et qui donne tous les détails de la dé-
pense et des produits présumables d'un établissement de colonie ré-
pressive.

M. le baron d'Haussez peut être cité avec confiance, car, successivement préfet des départemens des Landes et de la Gironde, il connaît parfaitement les ressources de ces contrées, et le premier, il a résolu, à Bordeaux, le grand problème de la répression de la mendicité.

M. le duc de Richelieu et M. Lainé avaient aussi conçu tout le parti qu'on pouvait tirer des landes pour l'occupation des classes indigentes, et en ma qualité de préfet de la Gironde, j'ai correspondu avec ces deux hommes de bien sur cet important objet. Enfin, si, après de si graves autorités, j'ose me citer, je puis dire que, dès 1819, j'avais préparé l'établissement de ces colonies en favorisant la formation d'une ferme d'expériences au milieu de ces plaines incultes, et qu'enfin, en 1827, je sollicitais à la tribune de la chambre des pairs l'appui du gouvernement pour l'ouverture d'un canal dans les Landes, en disant: <<< Notre population « est répartie d'une manière très inégale, et à côté des provinces où elle << s'entasse, nous avons de vastes contrées désertes. Il est temps de porter « nos regards sur elles, pour les préparer à recevoir notre excès de popu<<«lation, pour y fonder des colonies intérieures, bien plus utiles que les <<< colonies extérieures. » (Séance du 19 juin 1827.)

Après avoir considéré sous toutes ses faces la grande question qu'il s'agit de résoudre, M. de Villeneuve arrive aux conclusions suivantes :

La France, principalement dans sa partie septentrionale, est chargée du poids d'une population improductive, souffrante, et qui fait la honte et le désespoir de l'administration : cette population est mal connue, et aucun renseignement officiel ne fait connaître exactement ni le nombre des individus, ni la situation véritable de chacun d'eux.

De cette ignorance résulte une mauvaise répartition des secours, et par conséquent l'amoindrissement de leur efficacité.

Dès lors, le premier pas à faire est de porter les regards de l'adminis tration sur cette partie souffrante de la population.

1

Le moyen le plus efficace à employer pour éclairer ces obscurités serait la formation d'un conseil supérieur de bienfaisance, nommé par le roi, et dont les fonctions seraient d'étudier tout ce qui concerne les indigens, et de conseiller au gouvernement les moyens les plus assurés de les

secourir.

Après avoir pourvu, par une institution spéciale, à une sorte de tutelle de la classe indigente, M. de Villeneuve passe aux moyens de la secourir. Au premier rang, il place la création d'une société générale de bienfaisance, sous les auspices de S. A. R. M. le Dauphin.

Cette société se composerait d'un nombre illimité de membres, qui ne contracteraient d'autre engagement que celui de payer, pendant qu'ils en feraient partie, une somme annuelle de 20 fr.

Il souhaiterait qu'à l'exemple de la société des prisons, elle obtint l'hon neur, une fois par an, d'être présidée par M. le Dauphin. Le conseil supérieur de bienfaisance serait choisi dans son sein; il dirigerait les opérations et les travaux de la société; ses membres auraient droit d'inspecter les établissemens de bienfaisance du royaume et d'éclairer le gouvernement sur les abus qui pourraient se glisser dans ces administrations.

Des commissions correspondantes seraient formées dans chaque département, et établiraient ainsi un vaste réseau, dont le nœud serait l'amour du bien; enfin des moyens de publication des actes de la société et de ceux du conseil supérieur seraient adoptés.

Le produit des souscriptions serait employé, en premier lieu :

1o A fonder sur les terres incultes de la Bretagne, de la Guienne, de la Champagne, de la Sologne, de la Provence, du Languedoc, etc., des dépôts de mendicité agricoles pour les mendians et vagabonds, sur les principes si heureusement appliqués dans les colonies de répression du royaume des Pays-Bas;

2o A fonder des colonies libres pour les indigens non mendians. M. de Villeneuve voudrait qu'en même temps la législation répressive de la mendicité et du vagabondage fût révisée;

Que la tutelle des enfans appartenant à des familles qui ont recours à la charité publique fût dévolue, par la loi, aux commissions administratives. des hospices et aux bureaux de bienfaisance;

Que toutes les communes fussent tenues d'établir des écoles primaires; Que des obligations fussent imposées aux manufacturiers et chefs d'ateliers, tant pour maintenir la santé que pour conserver les mœurs de leurs ouvriers et pour répandre parmi eux les bienfaits de l'instruction;

Que l'entrée des cabarets fût interdite aux indigens, sous peine de privation de tout secours, etc.

Tel est l'ensemble des propositions faites par M. le vicomte de Villeneuve; et je ne crois pas pouvoir terminer plus convenablement le résumé que je devais vous faire, que par les paroles mêmes dont se sert cet admi

nistrateur

« Nous regarderions comme une des plus honorables circonstances de « notre vie d'avoir éveillé l'attention publique sur cet important objet, << d'avoir émis quelques pensées utiles, et enfin d'avoir posé une modeste << pierre d'un édifice tout national. >>>

Sans doute, messieurs, ainsi que je vous l'ai dit en commençant, plusieurs des propositions de M. de Villeneuve sortent du cercle de nos attributions; mais comme l'idée-mère, celle de l'application à la culture des bras des indigens, rentre parfaitement dans notre institution, je croirais n'avoir pas rempli la mission que vous m'avez donnée, si je ne discutais maintenant les diverses mesures proposées par cet habile administrateur, qui, déjà fondateur de la Ferme de Roville et de l'Ecole agricole de la Meilleraye, acquiert, par son nouveau travail, des droits plus grands encore à l'estime publique et à votre confiance.

TROISIÈME PARTIE.

DES MOYENS DE SECOURIR LES INDIGENS PAR L'ÉTABLISSEMENT DES COLO-

NIES AGRICOLES.

Réunir les mendians dans des établissemens où ils seraient assujettis à une sévère discipline et au travail, et trouver, dans le produit de ce travail, des moyens de subvenir à leurs dépenses, est une idée ancienne déjà, et mise plusieurs fois en pratique; mais jamais l'expérience n'en fut faite sur une plus grande échelle que lorsque, de nos jours, la France se couvrit presque simultanément de dépôts de mendicité. Mais des constructions trop dispendieuses, des états-majors trop nombreux, la difficulté de trouver des emplois utiles de tant de bras exténués par la misère, surtout un vice d'organisation, qui, ouvrant les portes de ces maisons de répression à la souffrance, les transforma en succursales des hospices; telles sont les causes qui ruinèrent, dès leur origine, ces établissemens. En 1815, les sources auxquelles on avait puisé pour fournir aux dépenses, diminuèrent sensiblement: il fallut réduire le nombre des personnes secourues, et la disproportion, entre les dépenses improductives et invariables et celles qui avaient pour résultat le soulagement des pauvres, frappa tous les yeux. En même temps la mendicité se montrait aussi importune qu'avant l'ouverture des dépôts, il n'en fallut pas davantage pour faire prononcer successivement leur abandon dans presque tous les départemens.

Plusieurs années se passèrent sans qu'on s'occupât de la répression de ce fléau: enfin, à Bordeaux, M. le baron d'Haussez; à Nantes, M. le vicomte de Villeneuve, auteur de ce mémoire; à Paris, M. de Belleyme, et plus tard, le magistrat habile qui administre le département du Rhône, firent des appels à la charité publique, et un heureux résultat a couronné leurs efforts.

Mais peut-on espérer que la cause qui détruisit principalement les an

ciens dépôts ne minera pas sourdement les maisons de refuge actuelles ? Quelle garantie avons-nous que le produit d'un travail mécanique deviendra une ressource permanente, qui suffirait lors même que la bienfaisance publique prendrait un autre cours ?

On ne peut se le dissimuler, messieurs, tout établissement qui ne se suffit pas à lui-même, lorsque les premiers frais ont été faits, porte dans son sein un germe de ruine: or, il est évident qu'avec quelque intelligence qu'un travail mécanique soit distribué dans les grandes réunions de mendians, il ne suffira pas constaniment à ses besoins : la concurrence extérieure, les chances des achats et des ventes, les caprices des goûts et les révolutions des modes rendront toujours cette ressource très précaire.

Ce même travail appliqué à la culture de la terre donnera-t-il un secours plus constant ? Il semble que la réponse peut être affirmative, car les produits de la terre ont un emploi généralement assuré et à l'abri d'extrêmes vicissitudes, et une fois le sol payé, l'établissement chargé de sa culture se trouve dans une position meilleure que le fermier ou le métayer, qui cependant subsistent et élèvent leur famille avec une portion seulement des produits du sol.

D'ailleurs les ateliers de mendians transportés à la campagne coûtent moins, et les mœurs de ceux qui les composent s'améliorent plus facilement que dans les villes. Le travail en plein air maintient la santé, que détruit le travail d'atelier; la variété des occupations développe l'intelligence, et l'aspect de la nature, les scènes qui se succèdent agissent nécessairement avec plus d'efficacité sur le cœur que la monotonie d'un travail de filage ou de tissage et les murs enfumés d'un atelier.

Ainsi, l'établissement des maisons de répression de la mendicité est préférable aux champs qu'à la ville, et on peut espérer que, placées dans les campagne, elles trouveront dans l'application des bras à la culture des terres un moyen d'existence permanent.

A l'appui du raisonnement vient se placer l'exemple des colonies agricoles des Pays-Bas, qui prospèrent depuis douze ans, et qui s'étendent chaque jour.

Ainsi il n'y a, dans mon opinion, aucun doute sur la convenance de conseiller au ministre d'adopter la proposition de M. le vicomte de Villeneuve et de décider qu'il sera immédiatement fait un certain nombre d'essais de colonies agricoles de répression de la mendicité.

Ce principe adopté, il faut s'occuper des moyens de le féconder et de parvenir à son application.

M. de Villeneuve me semble présenter deux moyens parfaitement coinvenables : d'abord, la création d'un conseil supérieur de bienfaisance, qui, sous l'autorité du ministre, devienne le patron des pauvres du royaume, et offre constamment au gouvernement des lumières sur l'étendue des besoins et sur le meilleur emploi des-secours.

En second lieu, un appel à la bienfaisance pour la formation d'une so

« PreviousContinue »