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archevêque de Trèves, et du comte Guibert, à la charge qu'ils iraient trouver l'empereur pour traiter la paix avec lui, et rapporter ses ordres touchant les autres prisonniers. Mais Guelfe, duc de Ba→ vière, survint trois jours après, avec des troupes, de la part du jeune roi, pour mettre en possession du siége de Trente le nouvel évêque Guébchard, que les habitants ne voulaient pas recevoir. Illes y contraignit, et intimida tellement Albert, qu'il relâcha les prisonniers et leur demanda pardon.

Otton de Bamberg, qui, comme le dit expressément Ebbon, son biographe, différait son ordination depuis trois ans, arriva à Rome le jour de l'Ascension. Comme le Pape était à Anagni, il alla l'y trouver avec les députés de l'église de Bamberg, qui le demandaient pour évêque. Otton raconta fidèlement au Pape la manière de son élection, et mit à ses pieds la crosse et l'anneau, lui demandant pardon de sa faute ou de son imprudence. Le Pape lui ordonna de reprendre les marques de l'épiscopat, et, comme il protestait toujours de son indignité, le Pape ajouta : La fête du Saint-Esprit approche, il faut lui recommander cette affaire. Otton étant retourné à son logis, pensa toute la nuit et le jour suivant à la difficulté des temps, aux périls des pasteurs, à l'indocilité des peuples; il craignait, de plus, qu'il n'y eût quelque tache de simonie dans son élection; enfin, après avoir mûrement délibéré, il résolut de tout quitter et de vivre en repos, comme personne privée. Il déclara sa résolution à ceux qui l'accompagnaient, et ayant pris congé du Pape, il se mit en chemin pour s'en retourner. Mais le Pape lui envoya ordre de revenir, en vertu de la sainte obéissance : ceux de sa suite le ramenèrent, et il fut ordonné évêque de la main du Pape, assisté de plusieurs évêques, le jour de la Pentecôte, le troisième des ides ou treizième jour de mai, comme dit expressément le biographe Ebbon; ce qui ne convient qu'à l'année 1106, au lieu de 1103 que met Fleury. Le Pape ne lui fit point prêter de serment, quoiqu'il n'en dispensât alors aucun de ceux qu'il consacrait. Les évêques de Bamberg étant autrefois immédiatement soumis au Saint-Siége, avaient déjà le privilége de la croix et du pallium comme les archevêques, mais seulement quatre fois l'année : le Pape en ajouta quatre autres en faveur d'Otton.

Pascal II écrivit à cette occasion trois lettres : l'une à Otton luimême, pour lui expliquer les priviléges du pallium et les saintes obligations qu'il impose; la seconde à l'archevêque Rothard de Mayence, son métropolitain, pour le lui recommander comme son bien-aimé fils et frère, et l'assurer qu'il l'a ordonné sans aucun préjudice de sa métropole; la troisième au clergé et au peuple de

Bamberg, à qui le Pape rappelle combien leur église, depuis son origine, était attachée à l'Eglise romaine; il en voyait la preuve dans leur lettre pleine d'affection; il leur mande que, suivant leurs désirs, il a consacré leur évêque comme par les mains de saint Pierre, et les exhorte à l'aimer comme leur père et à l'écouter comme leur pasteur. Otton leur écrivit, de son côté, pour rassurer au plus tôt leurs inquiétudes, en leur apprenant avec quelle bienveillance et quelle distinction il avait été reçu du chef de l'Eglise, et pour leur recommander d'en bénir Dieu avec lui. Toutes ces lettres respirent la douceur, la paix et une charité réciproque 1.

Brunon, archevêque de Trèves, qui accompagnait saint Otton de Bamberg, se présenta également au Pape pour le prier de confirmer son ordination. Pascal II le reçut avec honneur, comme métropolitain de la première province de Belgique; mais il lui fit une réprimande sévère de ce qu'il avait reçu l'investiture, par l'anneau et la crosse, de la main d'un laïque, c'est-à-dire de Henri le père, et de ce qu'il avait dédié des églises et ordonné des clercs avant d'avoir obtenu le pallium. Brunon, de l'avis des évêques qui composaient le concile de Rome, renonça au pontificat; mais, trois jours après, il fut rétabli à leur prière, témoignant se repentir du passé, parce qu'il parut propre à servir l'Eglise dans la circonstance du temps, à cause de sa discrétion et de sa prudence. On lui imposa pour pénitence de ne point porter de dalmatique à la messe pendant trois ans. Le Pape lui donna le pallium, avec une instruction touchant la foi et la conduite pastorale. Brunon retourna donc chez lui plein de joie. Fleury a grand soin de remarquer que le Pape ne défendit point à ces deux évêques de reconnaître Henri pour empereur. La raison en est bien simple. C'est que, dès l'année précédente, ces deux évêques, avec tous les seigneurs d'Allemagne, avaient persuadé à ce prince de déposer les insignes de la royauté et de l'empire, et de les remettre à son fils, qui fut élu roi de nouveau, et confirmé en cette qualité par le légat du Pape 2.

Le jeune roi célébra à Bonn la fête de Pâques, qui, cette année 1106, était le vingt-cinquième de mars; puis, vers la mi-juin, il assiégea Cologne, qué son père avait fortifiée, après en avoir chassé l'archevêque. Pendant ce siége, qui dura environ un mois, son père, qui était à Liége, lui envoya des députés avec des lettres, tant pour lui que pour les seigneurs. Dans la lettre à son fils, il lui reproche sa détention à Bingen, et les autres mauvais traitements

Ebbo., l. 1, c. 2. 2 Hist. Trevir., t. 12. Spicileg, p. 241.

qu'il avait soufferts, puis il ajoute : Il ne vous reste aucun prétexte de la part du Pape et de l'Eglise romaine, puisque nous avons déclaré au légat, en votre présence, que nous étions prêts à lui obéir en tout, suivant le conseil des seigneurs, de notre père Hugues, abbé de Clugni, et d'autres personnes pieuses. Nous vous conjurons donc, pour l'honneur du royaume et le respect que vous devez avoir pour vous et pour votre père, nous vous conjurons, par l'autorité du Pontife romain et de l'Eglise romaine, de nous faire justice et de nous laisser vivre en paix. Pensez que Dieu est un juste juge, lui à qui nous avons remis notre cause et notre vengeance. Enfin nous appelons au Pontife romain et à la sainte et universelle Eglise romaine. La lettre aux seigneurs contenait les mêmes plaintes et les mêmes protestations, avec le même appel au Pape et à l'Eglise romaine1.

Après que ces deux lettres eurent été lues publiquement, le jeune roi, par le conseil des seigneurs, envoya aussi des députés à son père, avec un manifeste qu'il fit lire aussi en public par Henri, évêque de Magdebourg. Il était conçu en ces termes : Après une division d'environ quarante ans, qui a presque aboli les lois divines et humaines, qui, sans parler des meurtres, des sacrilèges, des parjures, des brigandages, des incendies, a réduit notre empire, non-seulement en solitude, mais à l'apostasie et presque au paganisme, Dieu a regardé en pitié son église, et nous, les enfants de cette épouse du Christ, touchés par l'Esprit-Saint, nous sommes revenus à résipiscence et à l'unité de la foi; par le zèle de Dieu et l'obéissance à la foi apostolique, nous avons rejeté le chef incorrigible des schismes, Henri, dit notre empereur, et nous avons élu un roi catholique, quoique né de sa race. Voyant que le nouveau règne était le terme du sien, lui-même, comme de son plein gré, mais bien malgré lui, comme le disent maintenant ses lettres, approuva cette élection, rendit les insignes royaux, nous recommanda son fils avec larmes, et promit de ne plus songer qu'au salut de son áme. Maintenant il revient à ses premiers artifices, il se plaint par toute la terre qu'on lui a fait injure, il s'efforce d'attirer contre nous les armes des Français, des Anglais, des Danois et des autres nations voisines; il demande justice et promet de suivre désormais nos conseils. Mais en effet il ne cherche qu'à dissiper cette armée du Seigneur, à ravager l'Eglise qui commence à refleurir, à nous replonger dans l'anathème, enfin à crucifior de nouveau le Christ, qui ressuscite dans les âmes. C'est pourquoi la volonté du

1 ' Apud Wurst., p. 398.

roi, des seigneurs et de toute l'armée catholique est qu'il se présente en tel lieu et avec telle sûreté qu'il désirera, afin que l'on examine de part et d'autre ce qui s'est passé depuis le commencement du schisme, que l'on fasse justice au fils et au père, et que l'on termine, sans plus différer, les contestations qui agitent l'Eglise et l'empire 1.

Ce manifeste est bien remarquable. On y voit la nation allemande, après quarante ans de funeste expérience, parler de Henri IV comme en avait parlé, quarante ans auparavant, le pape saint Grégoire VII. L'expérience avait justifié le Pape aux yeux même de ses adversaires. Les députés porteurs de ce manifeste ayant eu audience de l'ex-empereur, comme dit l'auteur contemporain, furent maltraités par ceux de sa suite, avec lesquels ils ne voulaient pas communiquer, les regardant comme excommuniés, et rapportèrent pour réponse du père que l'on quittât les armes pour le moment et que l'on indiquât une conférence.

Henri le fils, ayant été obligé de lever le siége de Cologne, envoya encore proposer à son père une conférence à Aix-la-Chapelle dans huit jours. Le père s'en plaignit par une dernière lettre adressée aux évêques et aux seigneurs du royaume, disant qu'on n'avait jamais donné un terme si court pour la moindre affaire, et à plus forte raison pour une affaire de cette importance. Nous vous supplions donc, conclut-il, pour Dieu et pour votre âme, pour notre appel au Pontife romain, le seigneur Pascal, et à l'Eglise romaine, enfin pour l'honneur de l'empire, de vouloir bien obtenir de notre fils qu'il congédie son armée, qu'il cesse de nous persécuter et qu'il fasse en sorte que nous puissions nous voir pacifiquement, en temps et lieu convenables, et rétablir la paix du royaume. Que, s'il s'y refuse absolument, nous en avons fait et nous en faisons notre protestation à Dieu, à sainte Marie, au bienheureux Pierre, notre patron, à tous les saints et à tous les chrétiens, mais à vous particulièrement, afin que vous cessiez de l'exciter à nous poursuivre et de faire comme lui. Nous en avons appelé, et nous en appelons pour la troisième fois au seigneur Pascal, pontife romain, au Saint-Siége universel et à l'Eglise romaine 2.

Ainsi parlait l'ex-empereur Henri dans sa dernière lettre. Pendant quarante ans il avait persécuté les Papes ; et le voilà réduit à implorer contre son propre fils ces mêmes Papes, cette même Eglise romaine dont il avait si long-temps méprisé l'autorité. La Providence voulait le forcer, ce semble, à réparer devant tout le

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HIST. UNIVERS. DE L'ÉGLISE CATHOL. [Livre 66. An 1085-1106.] monde ce scandale de quarante ans, avant de frapper le dernier coup. Henri n'était encore que dans la cinquante-cinquième année de son âge: il ne s'attendait guère à mourir, lorsqu'il mourut inopinément à Liége, le septième d'août 1106. Il fut d'abord enterré dans la cathédrale de Liége, ensuite déterré comme excommunié, mis en un lieu profane, enfin transporté à Spire, où il resta cinq ans hors de l'église dans un cercueil de pierre.

Voici l'effet que produisit sa mort dans la chrétienté, au rapport d'un écrivain qui constamment lui est plus favorable qu'hostile, Conrad d'Ursperg, déjà cité. « C'est une chose pourtant digne de pitié, qu'un personnage de ce nom, de ce rang, de ce caractère, qui, professant le christianisme, fut si long-temps le maître du monde, ne reçut pas, tel que le défunt le plus pauvre, la moindre marque de deuil ou de compassion de qui que ce soit parmi tant de chrétiens ; mais qu'au contraire, tout ce qu'il y avait de chrétiens véritables, soit en Allemagne, soit partout ailleurs, ne se possédassent pas de joie en apprenant sa mort. Non, Israël ne chanta pas plus haut au Seigneur, lorsque Pharaon eut été submergé ; non, jamais Rome n'applaudit avec plus de transport aux triomphes d'Octavien ni d'aucun de ses augustes. Le mors qui retenait la bouche des peuples se changea pour eux en cantique, comme la voix d'une sainte solennité. L'exacteur n'étant plus, le tribut cessa. Ceux qui, par intérêt seul, étaient restés jusqu'alors attachés au prince et lui avaient vendu leurs âmes, se soumirent au nouveau roi et à l'Eglise catholique.

> Telle fut la fin, telle fut la mort, telle fut la dernière destinée de Henri, nommé par les siens Henri IV, empereur des Romains, mais qui, par les catholiques, c'est-à-dire par tous ceux qui, d'après la loi chrétienne, gardaient au bienheureux Pierre et à ses successeurs la foi et l'obéissance, était justement appelé archipirate, hérésiarque, apostat et persécuteur des âmes plus encore que des

corps.

» Grâces en soient rendues à Dieu, qui, tard il est vrai, mais enfin avec éclat, a donné la victoire à son Eglise : le même Galiléen qui vainquit autrefois Julien, a changé pour elle en jubilé la cinquantième année d'exaction du nouveau Nabuchodonosor 1. >

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