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Cette histoire des gardes au tombeau paraît conçue tout entière en vue de la situation où l'apologétique chrétienne se trouvait à l'égard des Juifs après la mort des apôtres et de la génération qui avait vu la mort de Jésus, puis la fondation de l'Église chrétienne à Jérusalem. Dans les premiers temps du christianisme, comme les premières apparitions du Sauveur avaient eu lieu en Galilée, et que sans doute aussi les apôtres alléguaient les apparitions, non la circonstance du tombeau vide, comme preuve de la résurrection, personne ne les accuse d'avoir pris le corps de leur Maître pour faire croire qu'il était ressuscité. C'est seulement plus tard, pour faire obstacle à la prédication de disciples qui prouvaient la résurrection par le témoignage d'autrui, et après qu'on eut fait valoir le récit du tombeau trouvé vide, que les Juifs imaginèrent la fable de l'enlèvement. Si cette fable n'a pas été inventée à Jérusalem, on la présenta néanmoins comme un fait connu d'abord dans cette ville. L'évangéliste l'a rencontrée dans le milieu où il vivait; il y a opposé la réponse qu'on vient de voir, et que d'autres peut-être avaient déjà ébauchée avant lui. La calomnie se répandit naturellement dans tous les endroits où la propagande chrétienne se trouvait en contact avec le judaïsme 1.

45. « Ayant vu ces choses (ce qui a été raconté vv. 35-44, supr. p. 734, n. 2), ceux qui étaient avec le centurion s'en allèrent promptement trouver Pilate pendant la nuit, laissant le tombeau qu'ils gardaient, et ils racontèrent ce qu'ils avaient vu, très tourmentés, et disant : « C'était vraiment le Fils de Dieu »> (cf. Mc. xv, 39. On sait que, dans l'Év. de Pierre, ce ne sont pas les soldats romains qui président au crucifiement; c'est peut-être ce qui explique pourquoi la confession du centurion a été transportée en cet endroit). 46. Pilate leur répondit en disant : « Je suis innocent du sang du Fils de Dieu; c'est vous qui avez voulu cela » (cf. Mr. xxvII, 24). 47. Venant ensuite le trouver tous, ils lui demandèrent et le prièrent de commander au centurion et aux soldats de ne pas dire ce qu'ils avaient vu : 48. « Car il vaut mieux, disaientils, encourir devant Dieu la responsabilité de cette grande faute que de tomber aux mains du peuple des Juifs et d'être lapidés. » 49. Pilate ordonna donc au centurion et aux soldats de ne rien dire. » Il semblerait que l'on veut expliquer pourquoi Pilate n'a point protesté contre la calomnie des Juifs.

1. Cf. JUSTIN, Dial. 17, 108; I, 37. Sur le parti que certains critiques modernes ont cru pouvoir en tirer, cf. supr. p. 720, n. 2.

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LXXXVIII

LE RESSUSCITÉ

MATTH. XXVIII, 16-20. Luc, xxiv, 13-53.

Les récits évangéliques où sont racontées les apparitions du Christ ressuscité ne sont pas le plus ancien témoignage écrit du Nouveau Testament sur le sujet. Saint Paul, voulant prouver que la résurrection des morts sera une réalité physique et une véritable résurrection des corps, écrivait aux Corinthiens, bien avant qu'un seul de nos Évangiles canoniques fût rédigé : « Je vous ai enseigné en premier lieu ce que j'avais appris moi-même que le Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures; qu'il a été enseveli, et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures; qu'il est apparu à Céphas, puis aux Douze; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères ensemble, dont la plupart vivent encore à présent, et quelques-uns sont morts; ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres; après tous les autres, comme à l'avorton, il m'est apparu aussi. Car je suis le moindre des apôtres..... Mais soit moi, soit eux, voilà ce que nous prêchons, et voilà ce que vous avez

cru. »

L'intention, que montre l'Apôtre, d'énoncer dans l'ordre chronologique les apparitions principales du Christ ressuscité, donne à son témoignage une signification particulière. Mais la mention du miracle qui l'a converti est doublement instructive. Paul n'a pas vu le Sauveur sur le chemin de Damas, il n'a fait que l'entendre 3,

1. On admet communément que les Épîtres aux Corinthiens ont été écrites en l'an 57. Harnack les place en 52-53.

2. 1 Con. xv, 3. παρέδωκα γὰρ ὑμῖν ἐν πρώτοις, ἢ καὶ παρέλαβον, ὅτι Χριστὸς ἀπέθανε» ὑπὲρ τῶν ἁμαρτιῶν ἡμῶν κατὰ τὰς γραφάς, καὶ ὅτι ἐτάφη, καὶ ὅτι ἐγήγερται τῇ ἡμέρᾳ τῇ τρίτῃ κατὰ τὰς γραφάς, Β. καὶ ὅτι ὤφθη Κηφᾷ, εἶτα τοῖς δώδεκα· 6. ἔπειτα ὤφθη ἐπάνω πεντακοσίοις ἀδελφοῖς ἐφάπαξ, ἐξ ὧν οἱ πλείονες μένουσιν ἕως ἄρτι, τινὲς δὲ ἐκοιμήθησαν· 7. ἔπειτα ὤφθη Ἰακώβῳ, εἶτα τοῖς ἀποστόλοις πᾶσιν· 8. ἔσχατον δὲ πάντων ώσπερεὶ τῷ ἐκτρώματα ὤφθη καμοί.

3. Cf. Act. ix, 1-19; xxII, 1-21; xxvi, 9-18; Gal. 1, 15-17; I Con. ix, 1.

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entendre une voix, après avoir été ébloui par une lumière. Néanmoins i compte ce phénomène pour une apparition, pour une vision, de même nature et de même portée que celles dont Pierre et les premiers fidèles du Christ ont été favorisés. Il se représente ces apparitions comme des incidents passagers; il n'a pas l'idée d'un séjour continu du Ressusscité auprès des siens, des quarante jours de vie commune dont parle l'auteur des Actes 1. On peut ajouter qu'il n'a pas non plus l'idée de scènes analogues à celles que Luc décrit dans son dernier chapitre. De plus, la conversion de Paul n'a eu lieu qu'assez longtemps, plusieurs années peut-être après la résurrection du Christ; le miracle qui l'a provoquée ne laisse pas d'être rangé dans la série des manifestations par lesquelles Jésus lui-même a prouvé à l'Église naissante qu'il était ressuscité. Il est vrai que la vision de Paul vient la dernière, et rien n'empêche d'admettre un intervalle notable entre cette vision et l'apparition « à tous les apôtres », qui est mentionnée auparavant; mais on irait contre toutes les vraisemblances en isolant complètement les cinq premières apparitions de la sixième, et en plaçant toutes celles-là le même jour, ou dans une courte suite de jours, à égale distance de la dernière.

Bien que Paul n'indique ni le lieu ni le temps des apparitions, il donne suffisamment à entendre qu'elles se sont produites en des endroits différents et à des intervalles plus ou moins inégaux et éloignés. On peut dire aussi que l'Apôtre ne connaissait pas d'autre apparition importante que celles dont il a parlé. Ou bien il a ignoré, comme Marc et Luc, l'apparition du Sauveur aux femmes, ou bien il l'a jugée accessoire. Mais il ne paraît pas même soupçonner l'histoire de la découverte du tombeau vide il serait puéril de supposer qu'il n'en dit rien pour ne pas alléguer un témoignage de femmes. L'histoire des disciples d'Emmaüs lui était inconnue : il y aurait plus que de la subtilité à soutenir que Paul l'a omise parce qu'il ne parle que des témoins officiels de la résurrection, comme si les «< cinq cents frères » étaient des témoins plus officiels que ces deux disciples.

(༥

En observant que les apôtres enseignent la même chose que lui,

1. I, 4-5.

2. ABBOTT, EB. II, 1787, et plusieurs autres.

3. SANDAY, DB, II, 639.

il présente sa liste d'apparitions comme celle qui était admise de son temps dans l'Eglise de Jérusalem et par les premiers témoins de la résurrection. Le défaut d'indications chronologiques ne résulte probablement pas de ce qu'il les aurait passées sous silence, mais plutôt de ce que la tradition n'en fournissait que d'assez vagues. Personne n'avait pensé à compter les jours écoulés entre chaque apparition; quant au fait même de la résurrection, l'on peut voir que Paul le date, non d'après la découverte du tombeau, ou la première apparition du Ressuscité, mais d'après les Écritures 1, bien qu'il ne cite pas les textes qu'il a en vue; on peut dire même qu'il entend le prouver par les Écritures avant de le prouver par les apparitions. Inutile d'observer que la preuve de la résurrection par l'Ancien Testament n'apprend rien à l'historien, si ce n'est que, dès les premiers temps, la foi a cherché à s'appuyer sur les prophéties. Le témoignage de Paul aide ainsi à comprendre le discours du Christ aux pèlerins d'Emmaüs.

Le mot dont Paul se sert pour caractériser les manifestations du Christ: « Il est apparu », mot à mot : « il a été vu », ne prouve pas que la tradition primitive ne connût que de simples visions, des apparitions dans lesquelles le Christ n'aurait point parlé, car, dans celle qu'il connaît le mieux, celle qui l'a converti, Paul a entendu le Sauveur et ne l'a point vu. Les apparitions qu'il mentionne peuvent donc être identifiées avec celles qu'on trouve dans les récits évangéliques, dès qu'un accord suffisant existe eu égard aux personnes à qui Jésus s'est montré, pourvu d'ailleurs que l'on tienne compte de la transformation que les données primitives ont pu subir, soit dans la tradition chrétienne, soit dans la rédaction des Évangiles. Ce que dit Paul ne permet pas de se faire une idée précise des apparitions dont il parle. Si l'on en juge par la vision de Damas, elles n'auraient eu de pleine signification que pour la foi. Paul a cru à l'objectivité de sa vision, à une intervention personnelle et directe du Christ immortel; il ne l'a point vérifiée. Au témoignage des Actes, ceux qui l'accompagnaient sur le chemin entendirent quelque chose, mais ils ne virent rien3: qu'auraient-ils eu à

2. La référence aux Écritures porte en effet spécialement sur le troisième jour, Paul visant sans doute Os. vi, 2.

3. Textes cités supr. p. 738, n. 3.

4. Acr. ix, 7; dans xxII, 9 (cf. xxvi, 13), on lit, au contraire, qu'ils virent la

raconter? Sans le travail de conscience qui s'est opéré en lui, Paul lui-même n'aurait-il pas cru que l'éblouissement dont il avait été frappé, la voix qu'il avait cru entendre n'étaient qu'accident naturel et hallucination de son esprit ?

Selon Paul, le Christ s'est montré d'abord à Pierre. Était-ce en Galilée ou à Jérusalem, à Pierre seul ou accompagné d'autres disciples? Il est fort probable que l'Apôtre a en vue l'apparition annoncée dans Marc, racontée dans le dernier chapitre de Jean et dans l'Évangile de Pierre. L'apparition « aux Douze » pourrait être l'apparition galiléenne racontée par Matthieu, si toutefois celle-ci devait être prise pour un fait déterminé, non pour un résumé ou une interprétation générale de toutes les autres. Elle correspond sans doute aux apparitions que Luc et Jean placent à Jérusalem le soir même de la résurrection. On ne saurait dire si l'apparition aux cinq cents frères est un fait galiléen ou hiérosolymitain : mais est-il probable qu'il y ait eu cinq cents fidèles groupés autour des apôtres, avant qu'ils fussent revenus à Jérusalem prêcher le Christ ressuscité? Cette apparition se serait donc produite à Jérusalem, dans quelque occasion extraordinaire, par exemple dans une réunion sur le mont des Oliviers, plutôt qu'en Galilée dans quelqu'un des endroits où Jésus avait autrefois prêché. On ne peut songer à l'identifier avec l'ascension, dont saint Paul ne parle pas, et qui, d'après Luc luimême, n'a pas eu pour témoins un si grand nombre de personnes. On ne pourrait l'identifier à la Pentecôte1 qu'en admettant, ce qui d'ailleurs n'aurait rien de contraire à la vraisemblance, que le fait visé par Paul aurait été antidaté et plus ou moins transformé dans les Actes 2. La vision de Jacques pourrait avoir eu lieu en Galilée, et même à Nazareth 3, si elle a déterminé le « frère du Seigneur » à se joindre aux apôtres, ou bien à Jérusalem, si Jacques a été gagné à la foi avant cette apparition. Le témoignage de l'Évangile des Hébreux est loin d'être décisif en faveur de la seconde hypothèse.

lumière, mais qu'ils n'entendirent pas la voix. Ce qui est certain c'est que les compagnons de Paul n'eurent pas comme lui la vision du Christ ressuscité. Le trait ne manque pas de signification.

1. VON DOBSCHüгz, Probleme des Apost. Zeitalters (1904), 21; JÜLICHER, dans Die christliche Religion (1905), 70.

2. II, 1-13.

3. Cf. Mc. II, 21, 31-35; vi, 1-6; I, 720-728, 832.

4. S. JÉRÔME, De viris, 2, cite les fragments suivants de cet apocryphe :

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