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conseillé de vous retirer à Rome, et de ne vous point
opiniâtrer à gouverner une nation qui a conçu pour
vous une haine qui ne finira jamais; que même, étant
pressée de vous faire votre procès, en suite des conclu-
sions que l'Avocat Général en avoit prises, il n'avoit pas
voulu suivre la chaleur de ce mouvement; que
de toutes
les choses qui s'étoient passées sous son Pontificat, il
n'y avoit rien dont sa conscience lui fît tant de reproches,
et sur laquelle il redoutât plus les jugements de Dieu,
que l'indulgence qu'il avoit eue pour vous; que s'il vous
avoit traité avec quelque sévérité, il ne seroit pas en
peine de l'état où il laissoit la France.

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Sa Sainteté s'arrêta ici quelque temps, et, après avoir soupiré trois ou quatre fois avec empressement et avec des gémissements lugubres, il continua et dit : « Pauvre France, malheureuse ville de Paris, tes pasteurs sont chassés; ceux qui te conduisoient sont exilés ; on traite injustement ton Archevêque de criminel; des usurpateurs, par un attentat sacrilége, ont pris la conduite spirituelle, et s'ingèrent dans le régime des âmes qui ne leur sont point commises; les sacrements sont exposés à la profanation, les consciences sont en péril; les bons ecclésiastiques sont persécutés parce qu'ils ont le zèle de Dieu; le schisme s'en va formé ; l'Angle

terre.... »

Sa Sainteté ne put achever sa dernière pensée, car les larmes lui tombant des yeux avec une extrême abondance, et étant comme étouffée par la violence de

25. Anciennement empressement signifiait pressement, serrement, oppression, et empresser, presser, serrer, fouler. Voyez Dictionnaire de l'ancien français, par Godefroy.

26. S'en aller s'employait avec un verbe à l'infinitif pour mar quer une action qui va se faire, et avec un participe passé pour marquer une action déjà faite << Tout s'en va perdu », a dit Malherbe. Voyez les Lexiques de Malherbe et de Corneille.

1654

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ses sanglots, ses médecins et ses domestiques nous firent signe de nous retirer pour le pouvoir soulager. Nous étions six cardinaux qui sortîmes de la chambre du Pape, et tous la larme à l'œil".

Voilà, Monseigneur, le détail de ce qui s'est passé à la lecture de la Lettre du Roi; et V. E. ne doute pas du déplaisir que j'eus qu'Elle eût si mal réussi. J'ajouterai, dans la franchise avec laquelle elle sait que je lui parle toujours, et dans l'attachement que j'ai depuis si longtemps à ses véritables intérêts, que jamais affaire ne lui sera plus importante que celle-ci; que je vois que la cause du Cardinal de Retz est considérée en cette Cour comme celle de toute l'Église; qu'elle intéresse au dernier point le Sacré Collège et l'Épiscopat; qu'on appréhende même que les suites n'aillent à un schisme. Et ce qui me touche encore sensiblement est que cette affaire ne passe ici que pour votre querelle particulière et personnelle; que tous les politiques de ce pays n'y voient rien à gagner pour vous, mais beaucoup à perdre; et qu'enfin, sur ces fondements, vous donnez lieu au Cardinal de Retz d'augmenter sa considération au dépens de la vôtre. Il faut avouer qu'il soutient sa réputation avec grande force, et, quelque changement qui puisse arriver au Pontificat, il y trouvera toujours son compte. Votre Éminence a les remèdes en main; elle en usera selon sa sagesse. Il me suffit de l'avoir informée de la vérité des choses, en lui baisant les mains et l'assurant que je suis,

Monseigneur 28,

A Rome, ce 30o décembre 1654.

27. Cette expression n'avait alors rien de trivial. Voyez les Lexiques de Corneille et de Racine.

28. Il va sans dire que la lettre n'est pas signée.

7.

LETTRE DE MONSEIGNEUR L'ÉMINENTISSIME CARDINAL DE RETZ, ARCHEVÊQUE DE PARIS, A MONSIEUR LE DUC DE RETZ, LE PÈRE'.

1655

(JANVIER 1655.)

NOTICE.

CETTE lettre du cardinal de Retz est une réponse à une lettre que lui avait adressée son cousin Henri de Gondi, duc de Retz, beau-père de Pierre de Gondi, également duc de Retz, frère du cardinal. Il paraît que le duc de Retz, au nom de Mazarin, avait fait au Cardinal des offres considérables pour qu'il se démît de son siège. Malheureusement, nous n'avons pas retrouvé la lettre qu'il adressait à ce sujet à son cousin. Comme on le verra par un passage de la fin de cette lettre, que nous avons eu soin d'annoter, elle dut être écrite vers le mois de janvier 1655, peu de temps après l'arrivée à Rome du Cardinal fugitif. Lors de la fuite de Retz du château de Nantes, Henri de Gondi lui avait donné, fort à contre-cœur, l'hospitalité à Machecoul. Après le départ de Retz pour l'Espagne, le maréchal de la Meilleraye vint mettre le siége devant cette petite place, et le vieux duc s'empressa de lui en ouvrir les portes avant qu'il fût tiré un seul coup de canon. Le bonhomme, sans la moindre ambition, aimait avant tout à vivre en paix. Or, comme son repos, pendant plus de quatre ans, avait été sans cesse troublé par la vie orageuse de son factieux cousin,

et que

la

1. In-4° de 4 pages, sans date, sans signature, sans nom de lieu et d'imprimeur. Bibliothèque nationale, Lb3, no 3185. Dans le catalogue de cette bibliothèque, la lettre a été classée par erreur sous l'année 1653. Deux autres exemplaires imprimés, l'un dans notre collection, l'autre aux Archives du Ministère des Affaires étrangères, Rome, tome CXXVI. La Bibliographie des mazarinades de C. Moreau, tome II, p. 150, place cette lettre sous l'année 1655, et avec raison puisqu'elle est du mois de janvier de cette année.

RETZ. VI

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fortune de sa famille avait été plus d'une fois menacée, il 1655 avait hâte de se remettre bien en cour. Dès que le cardinal de Retz eut quitté la France, il n'eut rien de plus pressé que de faire toutes les soumissions possibles au cardinal Mazarin afin de ménager un accommodement. Ses avances furent agréées, et à partir de ce moment il n'eut plus rien de commun avec l'ancien chef de la Fronde. Il existe aux Archives des Affaires étrangères plusieurs lettres fort intéressantes du vieux duc adressées à Servien et à Mazarin, pour leur donner des explications sur sa conduite, lors du passage du Cardinal à Machecoul, à Belle-Isle, pour justifier son gendre, le duc de Retz, d'avoir sauvé un frère proscrit, et pour supplier les deux secrétaires d'État de croire à son dévouement et de travailler à sa réconciliation et à celle de toute sa famille avec le Roi. (Archives des Affaires étrangères, lettres du 20 septembre 1654, 28 novembre 1654 et 15 mars 1655, tome DCCCLXLIII bis et DCCCLXLV. Voyez passim, les Mémoires de Retz, tome IV, années 1653 et 1654.)

M. Gazier, dans l'Appendice de sa thèse sur le cardinal de Retz2, no 2, p. 229 à 233, a reproduit cette lettre, mais seulement d'après une copie manuscrite du temps, qui se trouve dans les recueils manuscrits de Port-Royal dont il est dépositaire. Comme il ne dit mot de l'imprimé, il y a tout lieu de croire qu'il n'en connaissait pas l'existence au moment où il rédigeait sa thèse. Il commet de plus une erreur, en supposant que cette lettre doit avoir été écrite en 1656 (thèse, p. 40). Quoi qu'il en soit, cette lettre, dans laquelle le cardinal de Retz repoussait avec autant de dignité que de hauteur le conseil de donner sa démission, lui faisait le plus grand honneur et contrastait singulièrement avec la conduite un peu trop pusillanime de son cousin le duc de Retz.

2. Les Dernières Années du cardinal de Retz (1655, 1679). Étude historique et littéraire. Thèse présentée à la Faculté des lettres de Paris par A. Gazier, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur au lycée Saint-Louis. Un vol. in-8°, Paris, E. Thorin, 1875.

MONSIEUR,

J'ai fait toutes les réflexions nécessaires sur la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je crois que vous ne doutez pas, qu'étant obligé, comme je le suis, par tant de titres différents, de vous honorer plus que personne du monde, je ne reçoive, avec toute sorte de respect, tout ce qui me peut venir de votre part. Je vous rends très-humbles grâces de la peine que vous avez pris de me faire savoir le particulier de vos sentiments, et comme il m'a paru par votre lettre, que ceux que vous m'avez témoigné sur la démission de l'Archevêché, n'étoient fondés que sur la persécution que l'on faisoit souffrir à mes proches, je ne puis douter qu'ils ne soient présentement changés, par l'accommodement qu'ils doivent à vos soins et qui empêche les effets que l'on pouvoit craindre dans les suites3. Quoique je ne sache rien de toute cette affaire, je ne puis que je ne m'en réjouisse, étant persuadé que vous n'avez rien fait que de fort avantageux et d'honorable pour la Maison qui vous a déjà tant d'obligation. Je croirois présentement me rendre indigne de votre nom, si je lui faisois perdre, par ma foiblesse, une de ses plus belles et plus solides considérations. Quand il n'y auroit que cette raison pour avoir de la fermeté dans ce rencontre, elle seroit, ce me semble, assez forte pour m'obliger à souffrir longtemps avec patience des persécutions, qui ne sauroient empêcher, quelque violentes qu'elles soient, qu'on ne pense,

3. C'est-à-dire la saisie par les troupes du Roi des places de Machecoul et de Belle-Isle, appartenant à la famille de Retz, sans parler d'autres confiscations et mauvais traitements.

4. Pur latinisme: non possum quin.... Voyez le Lexique de Malherbe au mot pouvoir.

5. Après le mot considérations, il n'y a qu'une virgule dans l'imprimé.

6. Voyez ci-dessus, p. 27, note 10.

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