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peuple en devra garder, il ordonne que ce chant soit enseigné à tous les enfants de Juda. Il fallait que le nom du pauvre Saül fût encore bien populaire pour qu'il se crût obligé à une telle dépense de lyrisme. Nous voyons, en effet, qu'il ne parvient à faire accepter sa royauté qu'à ceux qui avaient déjà accepté ses présents.

« Après cela David consulta Jéhovah disant : Dois-je monter dans une des villes de Juda?

<< Jéhovah lui dit: Monte.

« David dit: Vers laquelle monterai-je ?

« Jéhovah dit: A Hébron.

<< David monta de là, ainsi que ses deux femmes Achinoam de Jezrahel, et Abigail, femme de Nabal de Carmel. Et il fit monter chacun avec sa maison les hommes qui étaient avec lui, et ils s'établirent dans les villes de la contrée d'Hébron. Les hommes de Juda vinrent, et ils oignirent David pour roi sur Juda. » (Sam., liv. II, ch. 1, v. 1-4.)

« D'un autre côté, Abner, fils de Ner, chef de l'armée de Saül, prit Isboseth, fils de Saül, et le fit passer à Mahanaïm; il l'établit roi sur Galaad, sur Gessuri, sur Jesrahel, sur Éphraïm, sur Benjamin, et sur tout Israël. » ( 1bid., v. 8-9.)

Ainsi se dessine dès lors la division qui se produira plus tard entre les royaumes de Juda et d'Israël. Il faut

avoir soin de tenir compte de cette énergique tendance

du

peuple

hébreu à se partager en deux fractions hos

tiles, si l'on veut bien comprendre toute l'habileté de

celui qui réussit à opérer entre elles une réunion politique de quelque durée. On peut voir que David ne perdit pas un moment pour préparer l'exécution de ce dessein. Qu'était-ce, en effet, auprès de la monarchie qu'il rêvait, qu'une autorité s'exerçant sur l'étroit territoire d'une seule tribu? Sa véritable onction, celle que Samuel lui avait conférée de la part de Jéhovah, avait expressément pour but de le faire régner sur tous les descendants d'Abraham et sur toute la terre de Chanaan. Ce n'était pas un héritage partiel qu'il espérait, c'était l'héritage entier et complet du royaume divin. Il avait déjà fait un grand pas; il n'était plus le chef obscur d'une bande de gens sans aveu sa royauté avait un siége; il pouvait à la fois combattre Isboseth par les combinaisons de son esprit fécond en ruses, et par le bras des hommes vaillants qu'il avait su former.

Comment s'y était-il pris pour convertir en soldats redoutables cette poignée d'hommes qu'il avait jusquelà, sous sa conduite personnelle, exercés à la fuite plus qu'aux combats?—Nous pouvons nous en faire une idée à l'aide d'un trait que son historien ne cite que beaucoup plus tard (Samuel, liv. II, ch. xxII, v. 15), sans en préciser la date. Rien, d'ailleurs, ne peint mieux l'étrange

personnage dont le portrait exact est si indispensable à l'éclaircissement de la question que nous traitons. « David eut un désir et dit : Qui me fera boire du puits de Bethleem qui est à la porte? Alors trois hommes vaillants passèrent au travers du camp des Philistins, et puisèrent de l'eau au puits de Bethleem qui est à la porte, et, l'ayant apportée, ils la présentèrent à David; mais il ne voulut pas la boire et la répandit devant Jéhovah. Il dit: Loin de moi de faire cela! Boirai-je le sang de ces hommes qui y sont allés au péril de leur vie? Et il ne voulut pas boire. » Et, comme le font peut-être encore quelques-uns de ceux qui lisent ce récit, - ses hommes ne prenaient garde qu'au noble sentiment exprimé, après l'épreuve faite, et ils l'admiraient.

Par ce moyen et par d'autres semblables, David s'était assez assuré de la solidité de ses gens pour pouvoir désormais compter sur eux, sans avoir lui-même à prendre part à une vie de combats qui n'était pas celle à laquelle il se sentait propre. Le plus précieux de ces hommes vaillants 1 était à coup sûr Joab; car c'est à lui

1

1. Il n'est pas de côté exploitable du cœur humain dont David n'ait su habilement tirer parti. Aucun des moyens modernes d'exciter l'ardeur militaire ne paraît lui avoir été inconnu. Non-seulement il faisait dresser des listes d'hommes vaillants, mais il faisait mettre à l'ordre du jour de son armée les belles actions de chacun. (Voir Sam., liv. II, ch. xxi, et Chroniques, passim.)

que, d'un bout à l'autre de ce règne, nous voyons revenir l'honneur de toutes les victoires qui ont servi à le consolider. David le savait si bien que, malgré de nombreux griefs et en dépit d'une rancune souvent prête à déborder, il ne se décida jamais à se priver des services de ce capitaine habile.

Nous avons vu que, de son côté, Isboseth avait à son service un homme brave et en apparence dévoué qui se nommait Abner. A quelques escarmouches qui servent d'entrée en matière à la nouvelle lutte entreprise par David, on reconnaît que, les deux capitaines se valant à peu près, cette lutte aurait menacé de se prolonger sans résultat bien marqué, si elle n'avait eu pour se dénouer que la voie des armes. Mais le fils de Saül avait affaire, sur un autre terrain, à un adversaire invisible contre lequel aucune résistance ne pouvait longtemps tenir; ce redoutable combattant, toujours éveillé, toujours actif et toujours habile à cacher ses coups, c'était l'esprit de David combinant ses intrigues. Il n'est pas difficile d'en saisir les premiers fils dès le début de la scène ainsi racontée: (Ibid., ch. m.)

<«< Saül avait eu une concubine nommée Ritspa, fille d'Aia. Il fut dit à Abner : Pourquoi es-tu venu vers la concubine de mon père? >>

Remarquons dès ce début que le propos n'est pas mis expressément dans la bouche d'Ishoseth lui-même.

On peut donc supposer qu'il est simplement rapporté à Abner. Il n'est point vraisemblable d'ailleurs que, timide comme on va nous le montrer, le fils de Saül ait osé mécontenter le seul homme qui soutînt vaillamment sa cause, s'il n'avait été poussé à cette maladresse par une inspiration étrangère.

« Abner fut fort irrité à cause des paroles d'Isboseth, et il dit Suis-je une tête de chien qui appartient à Juda? Aujourd'hui j'exerce la bonté envers la maison de Saül ton père, envers ses frères, ses amis; je ne t'ai pas livré à la main de David, et voilà que tu me cherches aujourd'hui querelle pour cette femme... » « Il (Isboseth) ne put pas répondre un mot à Abner, tant il le craignait. Abner envoya des messagers à David pour lui dire de sa part: A qui est le pays? Fais une alliance avec moi; alors ma main sera avec toi pour tourner vers toi tout Israël. >>

David s'empresse de prêter l'oreille à ces propositions; et, pour donner prétexte à une entrevue avec Abner, il fait prier Isboseth de lui renvoyer par lui sa femme Michol, la fille de Saül. Quoiqu'il eût, depuis son établissement à Hébron, ajouté quatre femmes à celles qui ont été nommées plus haut, il jugeait sans doute qu'il n'était pas inutile de reprendre celle qui lui donnait, aux yeux d'Israël, un titre à la succession de Saül.

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