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à suspendre l'exercice des deux premières conditions morales de toute société : la famille et le travail?

Quels furent ceux qui se sentirent le mieux disposés à ajouter foi à ses paroles? Ce furent, — en exceptant ses proches et son entourage immédiat trop habitué à ne rien voir de surnaturel en lui, — tous les gens de Galilée pour

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qui l'annonce d'un sort différent du leur était une bonne nouvelle au premier rang, les imaginations si aisément impressionnables des enfants et des femmes; puis les pauvres et les déshérités; puis, enfin, les cœurs simples et pacifiques qui se plaisaient au charmant tableau, déroulé par Jésus, d'un repos sans fin et d'un monde peuplé d'êtres inoffensifs et paisibles comme eux. Les conditions imposées aux élus du royaume n'étaient pas assez dures pour que, ayant si peu de temps à les observer, ils hésitassent à s'y soumettre. D'ailleurs, à ce que la pénitence paraissait avoir de trop pénible, quels adoucissements n'apportait pas l'entraînante parole qui la prêchait !

Comme autrefois David et à peu près dans les mêmes termes, mais avec quelle différence de sentiment! Jésus appelait à l'héritage promis tous ceux qui vien

1. Ce qui séduit les pauvres, c'est évidemment un monde d'où la pauvreté est bannie. Les premiers à accourir vers le monde meilleur offert à leurs rêves sont naturellement ceux qui sont les derniers dans le monde réel.

draient se grouper autour de lui avec des dispositions pures: Bienheureux 1 seraient les pauvres et les simples, les doux et les pacifiques; bienheureux ceux qui seraient affligés et persécutés, ceux qui auraient à souffrir pour la justice! ils posséderaient la terre, ils vivraient sous le paternel gouvernement du ciel; ils jouiraient de la présence du Dieu accessible et visible qui serait devenu leur roi pour toujours. Il n'était pas venu pour modifier en quoi que ce fût l'ancienne loi; il fallait donc la pratiquer si l'on voulait entrer dans le royaume. Mais ce n'était pas faire pénitence que de s'en tenir à la lettre de la loi; il fallait en tout, jusqu'au jour de Jéhovah, dépasser ses prescriptions; car ceux de la génération présente seraient traités avec plus de rigueur que ceux des générations passées. A ceux-ci il avait été dit seulement de ne pas tuer, il fallait aujourd'hui, sous peine du feu de Ghé-Hinom (yéɛvva, Géhenne), ne pas même injurier son prochain. Aux anciens on avait simplement interdit l'adultère, aujourd'hui c'était trop de jeter sur une femme un seul regard de convoitise, Pour être plus sûr de ne pas manquer au commandement de ne pas jurer, il fallait se borner à dire : Cela est, et cela n'est pas. Au lieu d'exiger œil pour œil,

1. Cette forme paraît être intentionnellement empruntée aux psaumes. Le premier mot du premier psaume est celui-ci : « de l'homme... ou Bienheureux l'homme qui... etc. >>

Felicités אַשְׁרֵי האָיִשׁ

dent pour dent, il fallait, en ces jours de pénitence, tendre sa seconde joue à celui qui avait frappé la première. Ce n'étaient plus seulement ses amis qu'il fallait aimer, c'étaient ses ennemis 1. — Jéhovah était parfait ; pour être bien jugé par lui, il fallait être parfait comme lui. Ceux qui continueraient à agir, non pour être vus de lui, mais pour être vus des hommes, auraient-ils part aux richesses qu'il préparait au ciel pour les répandre sur son royaume? Y avait-il maintenant d'autres richesses à acquérir que celles-ci? Comment les accorderait-il à ceux qui, par leurs apparences pieuses et leurs attitudes attristées, avaient pour but d'attirer sur leurs prières et leurs jeûnes d'autres regards que les siens? Faire de longues prières, sans rapport avec les circonstances présentes, était inutile; demander instamment ce qui était nécessaire pour attendre sans crainte le règne de Jéhovah, c'était tout ce qui importait. Que ce règne arrivât enfin; que rien, sur la terre ni au ciel ne retardât l'accomplissement de la volonté divine; que jusque-là le pain de chaque jour fût assuré, le pardon obtenu, la tentation détournée; et qu'au dernier jour on pût échapper à tout mal: telle devait être la

1. Le texte de Matthieu (ch. v, v. 43) porte: «Vous avez appris qu'il a été dit, vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi. »> Jésus n'a pu dire cela, puisque ce mot ne se trouve nulle part dans la Torah.

prière. En attendant, il fallait traiter ses frères comme on voulait être traité par le Père céleste. Tout autre souci devenait vain; il ne s'agissait plus de songer à se nourrir et à se vêtir; la vie n'était-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? Le temps était passé où il fallait travailler pour le lendemain. Que chacun travaillât à son salut, et celui qui connaissait les besoins de chacun saurait bien pourvoir à ces besoins. Qu'on s'abstint de toute critique et de tout jugement sur les actions d'autrui; comme on aurait jugé on serait bientôt jugé soi-même. Chercher afin de trouver, frapper à la porte afin qu'elle fût ouverte; là était maintenant tout l'intérêt. Dès longtemps une voie sûre conduisait à cette porte; la Torah et les prophètes l'avaient enseignée, ils avaient dit : «< Faites aux hommes tout ce que vous voudriez qu'ils vous fissent. » Mais que la voie était étroite et la porte petite! Il était venu pour élargir la voie et faciliter l'entrée de la porte à ceux qui voudraient l'écouter. Mais il ne suffirait pas pour entrer de l'avoir appelé Seigneur, Seigneur, ni même d'avoir fait des miracles en son nom; il faudrait avoir fait la volonté de son père écrite dans la Torah. Écouter ses paroles et les mettre en pratique, c'était bâtir sa maison sur le roc; en suivre d'autres, c'était bâtir sur le sable; quand viendrait l'orage, on verrait celle qui résisterait le mieux.

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A l'exemple du premier évangéliste et pour moins

entraver la suite du récit, nous avons donné, sous la forme d'une seule prédication, la substance des discours ou λóya ordinaires de Jésus. Reprenons maintenant notre récit.

Jésus ne pouvait fonder en Galilée une de ces écoles sédentaires qui abondaient à Jérusalem. Il voulut, toutefois, à l'imitation des Rabbi de son temps, s'attacher, en qualité de disciples, ceux qui avaient eu assez de confiance en lui pour le suivre, après avoir quitté leurs familles et leur travail. Les premiers furent des pêcheurs du lac de Tibériade: Simon-Pierre ou Céphas et son frère André, et les deux fils de Zébédée Jacques et Jean. A peine se fut-il montré en quelques endroits avec cette petite escorte d'hommes qui le nommaient le Messie, que le bruit de sa venue se répandit, partout ailleurs qu'à Nazareth, avec cette rapidité que tout fait étrange met à se propager dans l'inflammable milieu de la crédulité populaire. Tous s'empressaient d'accourir et de se placer sur le passage du nouvel envoyé de Jéhovah, pour voir renouveler par lui les merveilles opérées jadis par les prophètes sous les yeux de leurs pères. Mais, par un singulier contraste avec tout ce qu'ils avaient entendu dire ou déjà vu eux-mêmes en fait de miracles, il fallut d'abord qu'ils forçassent en quelque sorte Jésus à se montrer capable d'en faire. Et, chose encore plus digne de surprise, loin de faire hautement publier les gué

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