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fraternelle, signe caractéristique de son peuple, que Paul empruntait tous ses conseils pratiques. On trouve assez fréquemment dans ses écrits l'apologie de la charité, cette vertu juive par excellence; et certes la littérature hébraïque, si remarquable par l'expression multipliée et diversifiée de ce sentiment, contient sous ce rapport bien peu de pages aussi chaudement inspirées que certaines pages de Paul.

Il était loin de songer à la rare et précieuse valeur de ces semences morales, inconnues au sol sur lequel il les jetait en passant, et qui allaient s'y fixer, s'y acclimater et s'y répandre avec une vigueur de végétation si puissante. Tout entier à son entreprise de sauvetage par la foi, il n'y joignait les germes des saines et fécondes idées que le monde a dû depuis à cette inoculation fortuite que lorsqu'il était obligé, par quelque circonstance grave, à reconnaître qu'il ne suffisait pas de maintenir l'attente dans les esprits, et qu'il fallait encore au jour le jour y maintenir l'ordre. Mais, même alors, i insistait peu sur les conseils de ce genre, sentant bien à quel point l'adjonction de conditions étrangères quelconques nuisait à sa démonstration de l'efficacité topique de la foi pour enlever à la chair son principe de mort. C'est sur ce point non moins que sur celui de la circoncision que portèrent surtout ses ardents désaccords avec les autres apôtres et en particulier avec

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Jacques. Il n'y avait qu'un sentiment commun qui les réunissait tous; c'était la surprise de ne pas voir revenir Jésus. Les jours, les mois et les années s'accumulaient sans que ce retour, qui devait être si prochain, s'annoncât par aucun signe. Il y avait là pour Paul, aussi bien que pour ceux dont l'attente durait depuis plus longtemps, un incessant mécompte que chaque jour rendait plus pénible. En outre, le nombre de ceux qui étaient morts après avoir embrassé la foi, s'accroissait de jour en jour; et nul œil n'avait pu saisir la moindre différence entre cette mort - simple suspension de la vie d'après l'apôtre, et la mort de ceux pour qui mourir c'était définitivement cesser d'être. Quelle souplesse de talent, quelle diversité de ressources, et aussi quelle ardeur de foi ne fallait-il pas à Paul pour calmer l'impatience, prévenir le découragement, interpréter les apparences, entretenir les espoirs? Il avait reconnu qu'il fallait des réponses précises à toutes les questions, même aux plus embarrassantes, et surtout à celles qui avaient rapport aux dormants. C'est par ce nom qu'il désignait ceux qui, étant morts dans la foi, devaient être considérés comme attendant dans un sommeil paisible le grand jour de Jéhovah. Quelquefois il affectait de porter envie à ceux que ce sommeil mettait dans les meilleures conditions possibles de patience et de sécurité; mais on sent bien qu'au fond il se refusait à croire que, lui-même, il

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dût être de ceux dont la transformation s'opérerait dans la tombe; et dans les tableaux du jugement qu'il offre à ses lecteurs, il se représente toujours assistant en vie et de haut à ce spectacle terrible, avec la plupart de ceux auxquels il s'adresse et qu'il suppose devoir comme lui être jusque-là soustraits à la mort.

Sa carrière évangélique était fort avancée lorsque ses prédications, tout à fait indépendantes jusque-là, furent connues à Jérusalem. Ses plus fâcheux embarras lui vinrent alors des paroles imprudentes échappées à l'impatience de tous les anciens confidents de Jésus. Deux épîtres attribuées à Jean nous font voir quelle dut être, durant cette première période, la fréquence des alertes qui venaient tout à coup mettre tous les croyants en éveil pour les laisser retomber ensuite, non sans danger d'affaiblissement pour leur foi, dans une nouvelle attente. A toutes les fausses apparences d'en haut et d'en bas, à tous les prétendus signes, à tous les bruits enfantés par les imaginations en travail, il fallait que Paul opposât des considérations capables de calmer les agitations, sans toutefois porter atteinte aux espérances. Une question débattue avec la plus vive chaleur était celle de l'apparition ou de la non-apparition de l'Antechrist. Le nom même par lequel on désignait ce personnage mystérieux caractérise son rôle; il devait se montrer immédiatement avant le Christ, ante Christum. On conçoit d'après cela

combien il importait d'être exactement renseigné sur sa venue. Ézéchiel et Daniel n'avaient pas dépeint cet odieux précurseur du Messie en termes assez nets pour qu'il n'y eût pas matière à erreur; chaque fois donc que le bruit de l'apparition de l'Antechrist se répandait1, il fallait faire entendre que ce bruit n'était pas tout à fait vrai, mais qu'il pouvait cependant n'être pas tout à fait faux. Souvent Paul avait à se défendre d'avoir fixé une date sans remise au retour de Jésus; car c'était à luimême qu'on attribuait les propos qu'il avait ensuite beaucoup de peine à démentir; et ses ennemis allaient jusqu'à répandre en son nom des lettres qu'il n'avait jamais écrites.

On ne saurait s'étonner des violentes colères qu'excitaient, en un esprit si plein de généreuse fougue, les manœuvres de ceux dont il avait espéré l'aide et qu'il avait longtemps, sans ironie, déclarés ses supérieurs,

1. « Tout esprit qui divise Jésus n'est pas d'Adonaï; et c'est là l'Antechrist dont vous avez entendu dire qu'il doit venir; il est donc déjà dans le monde. » (Jean, ép. I, ch. iv, v. 3.)

et qui

il paraît qu'on

Au temps où a été écrite l'Apocalypse attribuée à Jean, n'est que la relation anticipée de l'événement attendu, avait fini par adopter un Antechrist, lequel n'était autre que Néron en personne, ou plutôt sa réapparition. Il ne saurait y avoir le moindre doute à cet égard, d'après la ghématrie on ne peut plus régulière qu'on trouve au verset 18 du ch. XIII. Le chiffre 666 indiqué dans le texte représente la valeur numérique exacte des lettres qui composent les deux

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en tant que dépositaires des confidences de Jésus. Ces luttes durent être encore bien plus vives qu'il n'y paraît aujourd'hui aux quelques passages qui nous permettent d'en juger. Comme en toute querelle religieuse, ce qui activait ici les haines, c'est que, à un certain point de vue particulier, chaque adversaire était en droit de croire à l'excellence de sa cause. Si la doctrine de Paul avait seule, sur les esprits, cette prise que des définitions et des raisonnements donnent à l'annonce d'un fait ardemment désiré, si, par ses aspects concrets et positifs, elle était seule capable de détrôner les abstractions et de s'imposer aux masses populaires, le parti dont l'opinion était représentée par l'Épître de Jacques, avait une supériorité trop incontestable, sur le terrain de la morale, pour consentir jamais à se déclarer vaincu.

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Un complément de sa doctrine, auquel Paul avait cru devoir recourir pour la fortifier sur d'autres points en la reliant davantage aux précédents hébraïques, achevait d'en exclure logiquement toute morale; ce complément, absolument injustifiable si l'apôtre avait cru s'adresser à une société destinée à durer, est sa théorie, -fameuse depuis, - de la grâce ou de la prédestination. Paul assurait à tous ceux qui demeuraient fermes dans la foi, que Jéhovah les avait marqués d'avance de toute éternité, pour les épargner au jour de sa colère. Le signe et le gage du salut qui leur arrivaient et s'impri

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