chair, vous mourrez; mais si vous faites mourir par l'esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Cette dernière phrase, isolée du reste, pourrait servir de formule à un spiritualisme dans lequel la foi n'aurait aucune place, et où ne figurerait aucun précédent hébraïque. Mais il ajoute aussitôt « Car tous ceux qui sont poussés par l'Esprit d'Adonaï sont fils d'Adonaï,... et si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers. » C'est toujours là que doivent aboutir tous ses raisonnements, parce que ce qu'il s'agit de démontrer est toujours la participation éternelle de ceux qui seront sauvés à l'héritage promis à Abraham. Quand on met un instant de côté cette conséquence toute spéciale qui ne permet pas d'oublier à quelle étrange histoire tout ceci se subordonne, on se trouve ici si près des principes fondamentaux de la morale issue de la notion de liberté, qu'on est tenté de croire que Paul les a entrevus. Il semble qu'il rend en passant un involontaire hommage à la dignité de l'homme libre qui, par ses seuls efforts se donne les mérites de la victoire sur les tendances inférieures de sa nature. Mais l'enfant d'Israël ne peut s'écarter à ce point de sa logique : tout cela, d'après lui, ne peut avoir lieu qu'en vertu de la prédestination. « Ceux qu'Adonaï a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères. Et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu'il a justifiés (vivifiés), il les a aussi glorifiés. Après cela, que nous reste-t-il à dire? Si Adonaï est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui a livré son fils pour nous, ne nous at-il pas donné toutes choses avec lui? » (Ch. ví, v. 29–32.) Une fois sur cette pente, Paul ne s'arrête devant aucune des monstrueuses conséquences engendrées par la conception théologique particulière à son peuple. Dans un rapide coup d'oeil rétrospectif, qui peut passer pour un spécimen des cas de tératologie intellectuelle qu'une déviation déterminée peut produire, il passe en revue les principaux actes de Jéhovah : «Avant que les deux enfants d'Isaac fussent nés, et avant qu'ils eussent fait aucun bien ni aucun mal, mais afin que le décret d'Adonaï demeurât selon son élection, non à cause de leurs œuvres, mais à cause de l'appel et du choix d'Adonaï, il lui fut dit : l'aîné sera assujetti au plus jeune; selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Ésaü. Que dirons-nous donc? Est-ce qu'il y a de l'injustice en Adonaï? Gardons-nous de le croire? » Que va-t-il ajouter? Par quoi va-t-il prouver qu'il n'y a pas d'injustice en Jéhovah? réserve quelque argument, difficile à prévoir, mais déci sif, qui va modifier l'impression de ses lecteurs et justifier son Dieu... Nous avons déjà donné un exemple de la tactique employée dans ces cas-là par l'apôtre; nous y insistons cette fois, car il importe de l'apprécier à sa juste valeur. Cette tactique revient fréquemment dans ses œuvres, toujours à peu près dans les mêmes termes; et, si elle fait illusion, c'est que le lecteur, persuadé d'avance, par la forme même de la phrase, que l'argument qui va lui être présenté doit être plein de force, n'a pas même l'idée de s'arrêter à en peser les termes; il passe outre, sans s'apercevoir que l'argument attendu est éludé ou n'est au fond qu'une répétition, une tautologie. On peut en juger par ce nouvel exemple. Reprenons. « Quoi donc! Est-ce qu'il y a de l'injustice en Adonaï? Gardons-nous de le croire; car il dit à Moïse : « Je ferai miséricorde à qui me plaira, et j'aurai pitié de qui il me plaira d'avoir pitié. » « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais d'Adonaï, qui fait miséricorde. » Il faut remarquer que cette miséricorde est faite d'avance et de toute éternité, par prédestination. On chercherait en vain une formule plus nette pour paralyser tout effort méritant, toute libre activité de l'âme. Paul continue. « Car, dans l'Écriture, Adonaï dit à Pharaon : « C'est pour cela même que je vous ai établi, pour faire éclater en vous ma puissance, et pour rendre mon nom célèbre dans toute la terre. >> << Il est donc vrai qu'il fait miséricorde à qui il lui plaît, et qu'il endurcit qui il lui plaît. Vous me direz peut-être : Après cela, pourquoi Adonaï se plaint-il? Car, qui est-ce qui résiste à sa volonté ? Mais, ô homme! qui es-tu pour contester avec Adonai? Un vase d'argile, dit-il à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? - Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d'argile un vase destiné à des usages honorables, et un autre destiné à des usages vils et honteux ! »> O mon grand Dieu ! sublime créateur du monde et de ses lois! toi qui ne peux rester Toi-même, aux sommets de la pensée humaine, que si cette pensée, consciente de ses limites, renonce à la prétention folle d'y attirer ton infini et de l'y contenir! toi qui cependant as voulu laisser pénétrer jusqu'au fond de nous, comme une émanation de ton essence inconnue, le sentiment de ta JUSTICE! voilà donc comment cette justice est comprise par ceux qui te réduisent aux dimensions de Jéhovah! Et voilà donc l'image que je dois me faire de toi... Voilà le blasphème auquel je dois forcer mes lèvres, si je veux que les hommes de mon temps ne me nomment pas athée!!! Poursuivons, et n'oublions pas que Paul écrivait il y a dix-huit siècles, et se croyait à la veille d'un renou vellement général de toutes les œuvres passées de son -Dieu. Malgré sa bonne envie de voir ses frères en Israël obtenir miséricorde, il ne leur cache pas qu'ils courent de grands dangers. : « Pour ce qui est d'Israël, Isaïe s'écrie Quand le nombre des enfants d'Israël serait égal à celui du sable de la mer, il n'y en aura qu'un petit reste de sauvés. Car Adonaï, dans sa justice, consumera et retranchera; il fera un grand retranchement sur la terre. Et comme le même Isaïe avait dit auparavant : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé quelquesuns de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe. Que dirons-nous donc à cela? sinon que les Gentils, qui ne cherchaient pas la justice, ont embrassé la justice, et la justice qui vient de la foi; et que les Israélites qui recherchaient la loi de la justice ne sont point parvenus à la loi de la justice. Et pourquoi? Parce qu'ils ne l'ont point par la foi, mais seulement par les œuvres. Ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement selon qu'il est écrit: Je vais mettre dans Sion une pierre d'achoppement, une pierre de scandale; mais tous ceux qui croiront en lui ne seront point confondus. » (Ibid., ch. Ix.) La question était de savoir quel était le nombre de ceux que Jéhovah avait destinés à trébucher sur la pierre d'achoppement qu'il avait mise de ses mains |