Testament, et souvent en regard de chaque mot, cet avertissement restrictif: Ceci doit être entendu autrement que ce n'est exprimé. Par quel autre procédé une philosophie rationnelle quelconque parviendrait-elle à trouver le plus petit accès dans un cycle intellectuel qui, par sa nature même, lui est irrévocablement fermé? Et quelle est la théodicée, quelle est la doctrine eschatologique qui se soit mise sincèrement et résolûment en face de cette question et qui, dédaigneuse des accommodements furtifs, ait procédé à un inventaire exact et nominatif de toutes les assertions bibliques qu'elle est contrainte d'écarter? Eh bien! supposons tout ce qu'une philosophie qui tient compte de l'état actuel des lumières est obligée de supposer pour établir un semblant d'accord entre elle et le christianisme. Supposons que la création du monde soit un acte assez raisonné pour que le péché du premier habitant de l'un des plus petits globes d'un système planétaire perdu parmi des millions d'autres, n'ait pu suffire à déterminer le repentir du créateur. Supposons que, depuis l'apparition de la vie intellectuelle et morale sur la terre, l'humanité, expression collective de ce grand phénomène, ait pu durant quatre mille ans présenter un autre intérêt que celui de sa division en circoncis et en incirconcis. Supposons que le vertigineux espoir qui s'est communiqué, il y a dix-huit siècles, de Jérusalem au monde grec et latin, ait été autre chose que la gratuite annonce d'un événement qui n'a pas eu lieu. Supposons... toutes les rectifications historiques devenues indispensables; supposons tout enfin... A quoi cela nous amène-t-il en dernier lieu? A reconnaître que l'idée chrétienne actuelle, en tant que relative aux destinées de l'homme, n'a absolument rien d'hébraïque, et qu'elle est entièrement grecque!! Oui, ce que nous nommons aujourd'hui le christianisme n'est qu'une infidélité flagrante à Moïse, à Jésus et à Paul, en faveur de Platon. Oui, spectacle digne de tous les étonnements de l'avenir ! - nous, descendants de l'antique race spiritualiste des Aryas, nous avons reconquis le dogme cher à nos pères d'une vie éternelle réservée aux âmes des justes en un séjour inconnu; mais, enchaînés par une foi étrangère, nous continuons à abriter cette idée sous le patronage du seul Dieu des temps anciens qui ait dénié à l'âme humaine la vie extra-terrestre et l'immatérialité ! Le spiritualisme de toutes les nuances n'a aujour d'hui qu'un seul credo; c'est celui-ci : SOCRATE, entouré de ses amis et sur le point de prendre le poison: « Les vrais philosophes ne s'appliquent ici-bas qu'à vivre comme s'ils étaient déjà morts. Si donc cela est vrai, ne serait-il pas absurde, après n'avoir toute sa vie aspiré qu'à mourir, de s'affliger en voyant venir la mort qu'on poursuit depuis longtemps? ... « Te paraît-il digne d'un philosophe de rechercher ce qu'on appelle les plaisirs? par exemple ceux du boire et du manger, les plaisirs de l'amour (physique), et tous les autres plaisirs qui regardent le corps, c'est-àdire les vêtements élégants, les brillantes chaussures, et les autres ornements? Crois-tu qu'il les estime ou qu'il 'les méprise, toutes les fois que la nécessité ne le force pas de s'en servir?... Il te semble donc que le philosophe doit, non pas s'occuper de son corps, mais au contraire s'en séparer autant que possible et donner tous ses soins à l'âme... Et cependant il semble à la plupart des hommes que, lorsqu'on ne prend pas plaisir à ces sortes de choses, autant vaudrait ne pas vivre. ... « Quand l'âme trouve-t-elle la vérité? car, pendant qu'elle la cherche avec le corps, nous voyons clairement que le corps la trompe et l'induit en erreur; - n'est-ce pas en se dégageant autant que possible de tout commerce et de tout contact avec le corps que l'âme aspire et parvient à connaître ce qui est? « Le juste, le bon, le beau, sont-ils quelque chose ou ne sont-ils rien? Et cependant as-tu vu ces choses-là? Est-ce par le moyen du corps qu'on parvient à les découvrir, on n'approche-t-on pas d'autant plus de leur connaissance qu'on s'est plus isolé du corps? A la recher che de l'essence des choses, on ne peut employer que la pensée pure. « Donc le vrai philosophe doit penser ainsi : il y a grande apparence que la raison ne peut arriver au but de ses recherches qu'en prenant un sentier détourné; tant que nous aurons notre corps, jamais nous ne posséderons l'objet de nos désirs, c'est-à-dire la vérité. Il nous est donc bien démontré que, si nous voulons savoir véritablement quelque chose, il faut nous séparer du corps et contempler avec l'âme les choses en ellesmêmes. C'est alors vraisemblablement que nous jouirons de la sagesse dont nous nous disons si passionnément épris; c'est-à-dire, non durant cette vie, mais après notre mort... Il faut de deux choses l'une, ou qu'on ne connaisse jamais la vérité, ou qu'on la connaisse après la mort... Ne permettons donc point au corps de nous remplir de sa corruption naturelle, et conservons-nous purs, si nous voulons arriver à la vérité pure; car, à ce qui n'est pas pur, il n'est pas permis de toucher à ce qui est pur... Aussi, ce voyage qu'on m'a ordonné me remplit-il d'une douce espérance. Je vais donc posséder ce dont la recherche m'a coûté tant de peine jusqu'ici! Il en sera de même de tout homme qui croira que son âme est préparée puisqu'elle est purifiée. L'âme purifiée est celle qui, dans cette vie et dans l'autre, VIT POUR ELLE-MÊME, «Ne serait-ce donc pas une chose ridicule qu'un homme, après s'être exercé toute sa vie à vivre comme s'il était mort, se fâchât en voyant la mort arriver? Dites, ne serait-ce pas ridicule ? ... «< Ainsi, toutes les fois que tu verras un homme reculer devant la mort, ce sera une marque sûre que c'est un homme qui n'aime pas la sagesse, mais le corps ; et quiconque aime le corps aime les honneurs et les richesses. Mais on peut s'abstenir des passions du corps dans la crainte de se ruiner et de tomber dans la pauvreté, ou de manquer de crédit-et de réputation. Les vrais philosophes n'agissent pas ainsi; ils prennent intėrêt à leur âme, et ils ne vivent pas comme ceux qui ne savent où ils vont; persuadés qu'il ne faut rien faire qui soit contraire à l'amour de la sagesse, rien qui s'oppose à l'affranchissement et à la purification que cet amour opère, ils s'abandonnent à sa conduite et le suivent partout où il ' veut les mener. ... « Chaque plaisir du corps attache l'âme au corps comme avec un clou, la rend corporelle et lui fait admettre pour vrai ce que le corps lui dit... ce qui la prive de tout commerce avec l'essence pure, simple et divine... >> « De quelle manière t'ensevelirons-nous? » demande Criton. << Comme il vous plaira; si toutefois vous pouvez me |