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avoir senties pour les connaitre. Aura-t-il alors l'idée des devoirs et des droits qui s'y rattachent? Et s'il les ignore, comment en parlera-t-il aux autres? J'en conclus qu'un célibataire ne saurait être un instituteur religieux. Que serait en effet un instituteur religieux qui n'aurait pas l'autorité suffisante pour parler aux hommes de leurs premiers devoirs et de leurs premiers droits?

Le lecteur a eu déjà plusieurs occasions de remarquer que la plupart des récits évangéliques sont copiés de quelques uns des livres de l'Ancien Testament, avec quelques petites variantes, qui ne sont pas toujours des perfectionnements. Ici, par exemple, le copiste, en voulant renchérir sur son modèle, est resté fort au dessous de lui. Au 3e livre des Rois, ch. 19, v. 20, Élisée, qu'Élie vient trouver de la part de Dieu pour en faire un prophète, demande la permission d'aller embrasser son père et sa mère, avant de suivre son nouveau maître. Celui-ci accède sans difficulté à un désir aussi naturel; il se borne à recommander à Élisée de revenir, ce que celui-ci fait très exactement. Assurément, dans cette circonstance, l'avantage n'est pas du côté des Évangiles.

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D'après Matthieu, ch. 15, v. 54-58, Marc, ch. 6, v. 1-6, et Luc, ch. 4, v. 14-16, 22, 24, 28 et 29, Jésus étant venu en Galilée, son pays, se présente dans les synagogues. Ses compatriotes, après l'avoir entendu, exaltent sa sagesse et sa puis

sance. Et puis aussitôt ils se scandalisent. Dans Luc, les habitants de Nazareth, ses compatriotes, passent subitement de l'admiration à la colère et à la rage; car non contents de le chasser, ils veulent le précipiter du haut d'une montagne, v. 29. Matthieu fait remarquer qu'il n'opéra pas beaucoup de miracles parmi eux à cause de leur incrédulité, v. 58 : c'était au contraire une raison pour en faire beaucoup. Mais Marc va bien plus loin, en disant que Jésus ne pouvait faire là aucun miracle (1), si ce n'est de guérir quelques infirmes en leur imposant les mains, et qu'il s'étonnait de leur incrédulité, v. 5 et 6. Cela ne semble-t-il pas dire que Jésus ne faisait de miracles qu'auprès de ceux qui le croyaient d'avance capable d'en faire, et qui par conséquent n'en avaient pas besoin? En constatant que Jésus ne pouvait pas opérer de prodiges auprès de ceux qui ne croyant pas en lui, avaient d'autant plus besoin d'en voir, l'évangéliste ne s'aperçoit pas que cette naïveté peut être prise pour un aveu que les miracles attribués à Jésus n'avaient de réalité que dans l'imagination des croyants.

Jean, ch. 4, v. 43-45, fait également venir Jésus en Galilée, et la singulière raison qu'il donne de cette résolution, c'est que Jésus lui-même a témoigné qu'un prophète n'est point honoré dans sa patrie. Et comme si ce n'était pas assez de cette étrange considération, qui motiverait beaucoup mieux une résolution contraire, il donne immédiatement un démenti au proverbe, en disant que Jésus fut bien accueilli de ses compatriotes.

(1) Ουκ ἐδύνατο ἐκεῖ οὐδεμίαν δύναμιν ποιῆσαι.

Ꭶ 11.

MULTIPLICATION DES PAINS ET DES POISSONS. MARCHE

DE JÉSUS ET DE PIERRE SUR LA MER.

Matthieu, ch. 14, v. 15-17, présente les disciples de Jésus comme très embarrassés pour rassasier cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, avec cinq pains et deux poissons, et, pour la première fois que le cas se présente, leur embarras peut paraître assez naturel. Mais voilà que, dans le chapitre qui suit immédiatement, Matthieu ayant à raconter un miracle absolument semblable, fait les disciples aussi embarrassés que la première fois, v. 55. C'est en vérité les faire trop stupides ou supposer au lecteur trop peu de mémoire; c'est surtout imiter tous les conteurs de choses merveilleuses, qui pour mieux faire ressortir le mérite de leurs merveilles, ne croient jamais pouvoir paraître eux-mêmes assez étonnés. Marc raconte ces deux miracles de la même façon et à peu d'intervalle dans les chapitres 6 et 8. Mais il renchérit encore sur Matthieu; car, après avoir raconté la seconde multiplication des pains, au ch. 8, il dit, quelques lignes plus loin, v. 14 et 16, que les disciples, embarqués avec Jésus, sont inquiets pour leur subsistance parce qu'ils n'ont emporté qu'un pain avec eux. Déjà, dans les Évangiles de Marc, ch. 4, v. 40, et Luc, ch. 8, v. 25, les disciples de Jésus, l'ayant vu commander aux flots et apaiser la tempête, avaient témoigné le plus ridicule étonnement. Matthieu, ch. 8, v. 27, semble avoir voulu éviter ce contre-sens en ne disant pas précisément que ce sont les disciples qui s'étonnent, et en se servant d'une expression vague, qui peut s'appliquer à d'autres personnes de la barque, témoins comme eux du miracle.

A la suite de la multiplication des pains et des poissons, que racontent les quatre évangélistes, vient immédiatement, dans Matthieu, Marc et Jean, la marche miraculeuse de Jésus sur la mer. Luc passe cette merveille sous silence. Je ne la mentionne que parce qu'elle donne lieu de remarquer qu'ici encore Marc, ch. 6, v. 51, porte à son comble l'étonnement des disciples, et parce que le récit de Matthieu contient, ch. 14, v. 28-31, un curieux incident dont les autres évangélistes ne disent mot. Pierre, voyant Jésus marcher sur la mer, voulut avec sa présomption et son étourderie accoutumées imiter son maître, et sans le secours qu'il en reçut à propos, il se serait fort mal trouvé de ce défi porté aux lois de la pesanteur.

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Matthieu, ch. 16, v. 18, fait dire à Jésus, s'adressant à son disciple Pierre « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon

église. » Cet indigne jeu de mots, auquel il manquait quelque chose dans le texte original (1), a obtenu, en passant dans notre langue, toute sa perfection, à cause de l'entière similitude des deux mots, Pierre, nom propre, et pierre, nom commun. C'est une des plus fortes bases sur lesquelles les prétendus successeurs de saint Pierre fondent leur primauté. On pense bien que je ne m'arrêterai pas ici à combattre cette souveraineté spirituelle des évêques de Rome, qui a eu besoin de s'appuyer sur une souveraineté temporelle. Je veux seulement faire remar

(1) Σὺ εἶ Πέτρὸς, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρα οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν.

T. II.

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quer combien une cause dont les plus exorbitantes prétentions reposent sur un pareil fondement, doit être dépourvue de bons arguments.

$ 15.

VENUE PROCHAINE DE JÉSUS APRÈS SA MORT.

D'après Matthieu, ch. 16, v. 28, et ch. 24, v. 54; Marc, ch. 8, v. 59, et ch. 15, v. 50; et Luc, ch. 9, v. 27, et ch. 21, v. 32, Jésus prédit, de la manière la plus expresse et la plus claire, qu'il reviendra prochainement sur terre, pour y établir le règne de Dieu. Il déclare non seulement que la génération des hommes alors vivants ne passera pas sans que cet événement ait lieu, mais que, parmi ses auditeurs mêmes, il en est qui ne mourront pas sans le voir venir en son règne. Le quatrième Évangile ne dit rien à cet égard d'aussi précis, et ce silence peut paraître d'autant plus surprenant qu'on lit, au chapitre 15, v. 5, de Marc, que Jean aurait été le seul des évangélistes qui aurait entendu cette importante prédiction de la bouche du Christ. Est-il croyable que Jésus eût fourni contre lui un argument si prochain et si péremptoire? Quoi qu'il en soit, cette prédiction paraît avoir été prise à la lettre dans les premiers temps de l'église chrétienne, et comme elle ne se réalisait pas, elle fournit matière aux railleries des payens et causa de grands embarras aux chefs, ainsi qu'on peut le voir dans des textes nombreux. (Paul, Épitre 1re aux Thessaloniciens, ch. 1oo, v. 10, et ch. 4, v. 15-17; Épître 2o aux mêmes, ch. 2, v. 1-6; Épître aux Hébreux, ch. 10, v. 37. Jacques, Épitre catholique, ch. 5, v. 7-9. Pierre, Épitre 1re, ch. 4, v. 7 et 17, et Épître 2o, ch. 3, v. 5-14. Jean, Epitre 1, ch. 2, v. 18 et 28, ch. 5, v. 2, et

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